TRIBUNE LIBRE
Chirac ou le syndrome de Stockholm

Introduction: Le boomerang FN

Au soir du 21 avril, la gauche a subi une défaite monumentale. Pourtant, elle n'avait pas lésiné sur les moyens : attaques personnelles sur le candidat Chirac, démagogie active, et surtout, l'instrumentalisation du Front National pour diviser la Droite. Après tout, cette stratégie avait bien servi par le passé : d'une part, une partie des voix de Droite ne compte pas, car intouchable, et d'autre part, les idées défendues par le FN, qui sont avant tout des valeurs conservatrices et libérales non aseptisées par la vague soixante- huitarde, se retrouvent infréquentables. D'une pierre deux coup : la Droite dans son ensemble perd du potentiel électoral, et perd ses idées. Cf élections régionales gagnées dans les urnes et perdues dans les officines, et présence à Droite de personnalités qui n'en défendent pas vraiment les valeurs traditionnelles (Roselyne Bachelot...)

Le problème, c'est que Jospin n'est pas Mitterrand. L'un est un tâcheron besogneux, l'autre était un joueur talentueux (ce qui n'implique nullement d'approuver sa politique). Il faut du génie pour maîtriser un phénomène tel que le Front National, sinon, il vous échappe. Les socialistes d'aujourd'hui ont voulu continuer à jouer le petit jeu de la division, mais cette fois, le contexte ne leur était plus favorable, alors que l'actualité, elle, illustre clairement les thèses du FN.
Le soir du 21 avril, la gauche a récolté ce qu'elle a semé : la bombe qu'elle a voulu jeter sur la Droite lui a explosé au nez. Et ça saigne fort.

1- Urnes en l'air !

Pendant que les chiraquiens, eux-même conditionnés par la longue diabolisation du FN, pensaient moins à fêter la défaite de la gauche qu'à hurler au loup avec elle, celle-ci a très rapidement compris tout l'avantage qu'elle pouvait tirer d'une situation apparemment désespérée. Il faut dire que contrairement aux gens de Droite, elle n'a aucune honte de soi, solidement persuadée d'être le camp du Bien. C'était facile : voyant la droite conventionnelle se préoccuper du score de Jean-Marie Le Pen au point d'en oublier son écrasante victoire électorale sur la gauche, la tactique à adopter vient très vite à l'esprit : utiliser la droite inhibée contre elle-même, au profit de la gauche.

Pour ce faire, deux approches complémentaires.

D'abord, comme d'habitude, on fait descendre les troupes dans la rue pour crier le plus fort possible. Le poids immédiatement visible des faiseurs de bruit doit contrebalancer, voire neutraliser, celui de la seule expression légitime dans une démocratie digne de ce nom, celle des bulletins de vote. Forcément, quand "le peuple", ou tout au moins ceux qui se définissent comme tel, bat le pavé parisien, les esprits timides, hésitants, faibles, et ceux-ci sont apparemment légion au sein de la Droite la plus bête du monde, ont tendance à focaliser dessus. La gauche a incontestablement un savoir-faire dans ce domaine, que la droite a rarement maîtrisé : on se souvient des manifestation géantes pour la défense de la liberté d'enseignement au début des années 1980 (ça date !).

En même temps, dénier tout sens, toute valeur, toute légitimité au vote concurrent, dans ce cas celui du FN. Ainsi, on nous explique à longueur d'analyse, que c'est une réaction contestataire, et nullement une adhésion. Mieux, que les Français aient voté massivement vers la Droite la plus musclée, cela ne veut pas dire qu'ils ont envie d'une politique de Droite, mais que la Majorité Plurielle n'a pas gouverné assez à gauche ! Le message d'intimidation adressé à la Droite inhibée est clair : ne prenez surtout pas ces votes pour vous, ils sont en fait pour nous mais se sont égarés en route !

De même, l'appel au "Front Républicain" est un piège. Par ce biais, la gauche soutient Chirac comme la corde soutient le pendu. Le but est de vider l'éventuelle réélection de Chirac de toute substance, de noyer le vote de ses partisans sous celui de ses adversaires. Une figure de gauche comme le cinéaste communiste Romain Goupil le dit clairement : "Il faut un plébiscite, un score de République bananière, que Chirac ne puisse plus s'approprier." Ainsi, le nouveau Président n'aura pas de légitimité populaire, ce qui est totalement contre l'esprit de la Cinquième République, soit dit en passant. Une fois le danger mortel incarné par Jean-Marie Le Pen conjuré, il sera alors temps de retourner les armes et de flinguer Chirac : c'est le sens des slogans vus dans les manifestations actuelles "Barrage à le Pen, et après le second tour, Chirac en prison". Ce n'est plus le troisième tour social, c'est le troisième tour aux législatives. La gauche jetée dehors compte bien revenir par la fenêtre aux élections suivantes, et reprendre ainsi la place qu'elle estime être son dû. Dans l'esprit de tous les acteurs impliqués (hors Droite nationale), il n'est tout simplement pas normal et acceptable que le jeu électoral ne se fasse pas avec les deux acteurs traditionnels, institutionnels. Ah, vraiment, ces salauds d'électeurs nous ont joué un sale coup en bousculant notre routine habituelle !

2- Maman, la Bête Immonde revient !

Dans ces conditions, l'irruption tonitruante du FN dans cette mécanique bien réglée semble une anomalie monstrueuse, à corriger d'urgence. La classe politique en poste tente par tous les moyens d'éteindre la flamme bleu-blanc-rouge qui leur brûle déjà les fesses.

Le FN est la cible d'attaques concentrées. Tous les amalgames, toutes les déformations de la vérité, toutes les calomnies sont bonnes. Pas de critique factuelle, mais une véritable hystérie collective. Passons en revue quelques thèmes :

- le FN est raciste : peut-on dire cela quand le numéro 3 s'appelle Farid Smahi, que l'épouse du chef est à moitié grecque, sans même parler de M. Gollnisch mariée à une Japonaise... et les nombreux harkis visibles à chaque meeting du FN ?

- le FN est nazi : c'est tellement gros que c'en est ridicule.

- le FN veut supprimer la démocratie : c'est sans doute pour cela que Jean-Marie Le Pen propose un referendum par an sur un thème important !

- le FN a une service d'ordre musclé, le DPS : quand celui-ci a-t-il attaqué des rassemblements politiques adverses (comme le faisaient les nationaux-socialistes, avec l'aide des communistes, dans l'Allemagne des années 1930) ? Réponse : jamais. En revanche, on ne compte plus les agressions, attentats et menaces de mort à l'encontre du FN.

- les petites phrases de Jean-Marie Le Pen : vieilles affaires rebattues, citations tirées de leur contexte, et puis tous les hommes politiques ont un jour dit des âneries. A commencer par Chirac... qui a déclaré une chose puis son contraire plus qu'à son tour !

Vous qui voyez le spectacle en train de se jouer, regardez bien et dites : où est la haine, où est l'intolérance, où est la violence, où est l'exploitation de la peur ? La rumeur qui a circulé sur l'origine prétendument hitlérienne de la citation de Jean-Marie Le Pen ( "je suis de gauche socialement, de droite économiquement, et Français nationalement" ), rumeur mensongère, montre le niveau et l'honnêteté des attaques.

Et, chose amusante, ceux qu'hier la gauche qualifiait facilement de "fasciste" dès qu'ils prétendaient un tantinet défendre leurs idées, sont tenus aujourd'hui pour le rempart de la démocratie... les étudiants chiraquiens de l'Union Nationale Interuniversitaire, pour ne citer qu'eux, qui ont l'habitude de se faire traiter de facho-nazi-pas-beau par leurs adversaires d'extrême-gauche, doivent trouver cela diablement ironique ! De même, plus question d'épiloguer sur le "bruit et l'odeur" du Sauveur de la République en danger...

Certains fachos sont plus menaçants que d'autres !

On le voit, la campagne, depuis le premier tour, relève de la collection de fantasmes, de l'hystérie collective, de la malhonnêteté intellectuelle les plus flagrantes. En réalité, pour qui le FN est-il dangereux ?

3- Deux visions du monde opposées

Pour la gauche, l'enjeu est énorme, vital. Depuis mai 68, les idées de gauche, et la conception du monde portée par celle-ci, se sont imposés partout : enseignement, culture, justice, politique... Le pouvoir réel est détenu par la gauche et ses relais, dans ses diverses obédiences (trotskyste, socialiste, internationaliste, tiers-mondiste...). Gramsci, le théoricien de la subversion (abattre la société traditionnelle non par la simple lutte des classes, mais par la transformation de la culture et des structures sociales pour détruire les valeurs anciennes, ainsi que par une immigration massive pour briser l'homogénéité de la population) a trouvé en France des praticiens patients, obstinés et redoutablement efficaces. Cette vision du monde cosmopolite, métissée, dénationalisée, égalitariste règne sans partage, défendue par de nouvelles élites et une propagande si prégnante qu'elle passe le plus souvent inaperçue. Toute conception concurrente risque de subir l'accusation infamante de "réactionnaire, fasciste, ringarde...", de façon d'autant plus imparable que les critères de ce jugement sont imposés par le modèle dominant. La Droite inhibée, tétanisée par l'exploitation partiale que fait la gauche de la Seconde Guerre Mondiale, a perdu toute volonté de s'y opposer, hormis sur des points accessoires, à caractère économique et gestionnaire.

De fait, l'idéologie de gauche a conquis depuis 1789 la totalité des pouvoirs en étant de moins en moins remise en cause à mesure qu'elle accroissait ses moyens de coercition.

Or, le FN porte une vision antagoniste et radicalement incompatible. Sans même juger si elle est "meilleure" que celle de la gauche (et il faudrait plusieurs pages pour commencer à apporter des éléments de réponse), il suffit de voir qu'en face, la gauche a tout à perdre. Il ne s'agit pas de transiger, comme avec la droite inhibée, sur des aspects gestionnaires de la société, mais bel et bien de disputer le pouvoir réel. Si la Droite nationale devait s'imposer au pouvoir, c'en serait fini du règne de la gauche. Et CELA, c'est une question de vie ou de mort pour elle, ce qui justifie TOUT, y compris le pire (et après tout, c'est normal de sa part, je ne l'en blâme même pas).

Conclusion: Une victoire volée ?

Dans ces conditions, il est NATUREL que la gauche mise sur Chirac et la Droite prise en otage. Car elle sait pertinemment qu'ainsi, tout repartirait comme avant, sans remise en cause de sa suprématie réelle. Et qu'elle aurait donc le champ libre afin de renforcer et d'étendre sa mainmise, ce qui ne serait absolument pas le cas si la Droite nationale gagnait.

Elle agit selon ses intérêts, rien de scandaleux. Mais l'électeur de Droite, celui qui croit en une conception du monde différente, moins idéologue, plus humaine et fondée sur la réalité des choses, lui ne peut se tromper et doit faire son choix selon SES critères, pas ceux que la gauche lui propose.

C'est tout le sens du scrutin du 5 Mai.

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