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Le mouvement communiste
Première Partie : Définition Du Capital 14.

 

ÉTAT SOMMAIRE DE LA QUESTION
Marx a laissé une oeuvre formellement inachevée. Toute, fois, l'important n'est pas là, mais dans l'inachèvement réel du contenu du travail. En effet, les thèmes sont présents (le plus souvent sous forme d'esquisses non développées), mais non reliés entre eux en un tout global et cohérent  [151]. Les points essentiels sont bien là, mais dispersés. Sans doute la perspective communiste ne lui apparaissait pas avec assez de force pour qu'il puisse les unir en une analyse d'ensemble. La perspective du communisme, née dès les débuts du capitalisme moderne, n'était pas alors suffisamment mûre pour s'imposer en pratique ni se manifester dans toute sa lumière sur le plan théorique   [152].
En tout cas, à partir du dernier tiers du XIXe siècle, le monde capitaliste est assez fort et ses éléments assez soudés entre eux pour faire disparaître toute velléité de communisme en pratique et en théorie. Le mouvement ouvrier, sous la domination social-démocrate puis « stalinienne », conserva certains aspects de l'analyse de Marx : loin de les unifier, il les dispersa encore davantage  [153].
La discussion « classique » sur la question de la crise et de l'impérialisme fut une sorte de réaction contre cet état de fait (Lénine, Luxembourg, Boukharine, Hilferding, Pannekoek, etc.). Mais ses meilleurs protagonistes ne virent que la manifestation du mouvement valorisation/dévalorisation sans identifier le mouvement lui-même : ils ne pouvaient donc comprendre où il conduisait. Ils restaient au niveau des phénomènes (ce qui avait un rôle éminemment positif face au réformisme), sans voir la dynamique dans son ensemble. Ils étaient prisonniers des limites de l'époque, qui révélait le caractère destructeur et foncièrement contradictoire du capitalisme (cf. 1914-1918), sans déboucher pour autant sur le communisme. Dans le mouvement révolutionnaire qui suivit 1917, le mouvement communiste (au sens plein de mise en pratique -- ou de tentative de mise en pratique -- du programme communiste) n'apparut pour ainsi dire pas. A peine pourrait-on signaler par exemple, pour la Russie, les efforts théoriques -- d'ailleurs ambigus -- de Boukharine et Préobrajensky à l'époque du communisme de guerre (1919-1920)  [154]. Tout en dénonçant et dépassant le réformisme, la discussion classique aboutit, parce qu'elle ne pouvait pas voir le mouvement du capital dans sa totalité, et ignorait donc le mouvement communiste, à théoriser les limites dune époque. Le capital tend à faire éclater maintenant ces limites : les thèses des classiques ne peuvent servir qu'à condition d'être réinterprétées et replacées dans le cadre de la totalité de la définition du capital  [155].
La gauche italienne est justement importante dans la mesure où elle a effectué cette percée, renouant avec l'aspect en quelque sorte « visionnaire » (sans aucune nuance péjorative) de l'oeuvre de Marx, essayant de montrer le devenir du capital  [156]. C'est ce qui la distingue des autres courants radicaux issus de la défaite du mouvement révolutionnaire qui suivit la Première guerre mondiale, entraînant avec elle la défaite de la révolution russe : ultra-gauches (gauches allemande, hollandaise, Socialisme ou Barbarie... ), ainsi que d'autres courants moins connus (sur la gauche communiste, cf. Troisiéme partie : « Contre-révolutions »).
Au contraire de ces groupes, la gauche italienne a analysé le capitalisme dans l'ensemble de son mouvement, et mis ainsi à jour le mouvement communiste. Ses textes contiennent des vues profondes et indispensables, rarement développées, mais qui ont le mérite de montrer le capital comme cycle, et de le rattacher au cycle de la valeur. En ce sens, elle a indiqué le point essentiel, et son apport à la théorie communiste est fondamental. Malgré tout, elle reste engluée dans la période entamée par 1917, qu'elle dépasse tout en en restant prisonnière, sur le plan de la théorie du parti comme sur celui de la théorie du capital. C'est pourquoi elle n'a pas réussi à développer la question du capital en une synthèse satisfaisante  [157].
[151] Lettre d'Engels à Marx, 24 juin 1867, Marx, Engels, Lettres sur « Le Capital », Présentées et annotées par G. Badia, Ed. Sociales, 1964., p. 164. Marx dit lui-même avoir tendu des « pièges » dans le Livre I, cf. sa lettre à Engels, 27 juin 1867, id., p. 170. Il savait qu'il faudrait « attendre quelque temps » avant « une solide critique » (lettre à Kugelmann, 11 octobre 1867, id., p. 184).
[152] Il faut tenir compte de la méfiance de Marx à l'égard des programmes et des descriptions du communisme : cf. la postface au Livre I Marx, Oeuvres/Economie, I, édition établie par M. Rubel, Gallimard, 1963., p. 555; la lettre à D. Nieuwenhuis, 22 février 1881, Marx, Engels, La Commune de 1871, Lettres et déclarations pour la plupart inédites, Trad. et présentation de R. Dangeville, U.G.E., 1971.,, pp. 255-256; et la lettre à Bracke, 5 mai 1875, Marx, Oeuvres/Economie, I, édition établie par M. Rubel, Gallimard, 1963., pp. 1411-1412. Voir aussi Engels, La question du logement, Trad. par G. Lenoir, Ed. Sociales, 1957., p. 110, et son conseil à Schmidt : lettre du 1er juillet 1891, Marx, Engels, Lettres sur « Le Capital », Présentées et annotées par G. Badia, Ed. Sociales, 1964., p. 378.
[153] McInnes, « Les débuts du marxisme théorique en France et en Italie (1880-1897) », Cahiers de l'I.S.E.A., no. 102, juin 1960. Voir aussi les résumés du Capital par Mehring et Luxembourg dans Engels, Pour comprendre « Le Capital », Suivi de deux études de F. Mehring et R. Luxembourg sur le « Capital », Ed. Gît-le-coeur, s.d.,, pp. 101-121.
[154] ABC du communisme, Maspéro, 1968, 2 vol.
[155] « La critique du système de Marx ne peut consister en une réfutation... mais en un développement complet du système » (Engels, Complément et supplément au IIIe Livre du « Capital », dans Engels, Pour comprendre « Le Capital », Suivi de deux études de F. Mehring et R. Luxembourg sur le «  Capital », Ed. Gît-le-coeur, s.d.,, p. 79).
[156] Cf. la réunion de Piombino (1957), Invariance, no. 3, pp. 82-110 : « Dans l'oeuvre de Marx, ce qui est au premier plan, -- pour le dire carrément, en dehors de toute équivoque -- c'est la description des caractères de la société communiste » (p. 82). Voir aussi la réunion de Florence (1960), id., no. 7, pp. 129-140.
[157] Voir la liste des études sur le Capital faites par ce mouvement dans Programme communiste, no. 46, pp. 82-83.

 

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