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Bilan et contre-bilan (11)


L'enjeu révisionniste

A chercher le grain de sable enrayer de rouages idéologiques, une bonne partie de l'ultra-gauche a perdu le tout dans la partie. Contrairement à ce que nous martèle le démocratisme, ce n'est pas le Goulag qui explique l'URSS, ni Auschwitz le nazisme, mais l'inverse, et les chambres à gaz, gigantesque détail de la 2nde guerre mondiale, ne sont compréhensibles qu'à partir de la mécanique hitlérienne. A.Mayer ( La "solution finale" dans 1 'histoire ) regrette les "sources rares et peu sûres" à propos des chambres à gaz d'Auschwitz : cela ne l'empêche d'analyser ni ce camp ni l'ensemble du génocide. La préface de Vidal-Naquet, observe d'ailleurs qu'il n'est plus possible aujourd'hui de parler de sources rares et peu sûres. Persuadé des limites de telles sources, Faurisson construit toute une oeuvre sur ces limitations : ce qui l'occupe, ce n'est pas le phénomène, pas même les sources, seulement leur rareté, leur faible fiabilité. A. Mayer, lui, ne fait pas de cet aspect sa priorité. Il n'en a pas besoin. Des archives et documents à ses yeux insuffisants sur ce point ne l'empêchent nullement de décrire comment un racisme d'Etat conduit à exterminer, car c'est cela son objet d'étude ( et qui nous importe ), et c'est cela que Faurisson n'étudie pas et ne veut pas étudier.

Le révisionnisme n'est pas le fait de « douter » des chambres à gaz. Faurisson joue à l'agnostique pour cacher sa religion. Rarement sceptique a été autant pétri de certitudes. Le révisionnisme consiste à récuser chaque preuve proposée du génocide, à en exiger chaque fois une nouvelle, au point de dissoudre morceau par morceau la réalité de l'extermination : il ne vise en effet pas autre chose que cela. Il ne doute pas des chambres à gaz, il nie le génocide, mais comme il est difficile de nier, il minimise.

A supposer que demain le révisionnisme admette l'existence de chambres à gaz, sa position ne changerait pas au fond. Il reconnaîtrait qu'elles étaient conçues non pour éliminer des poux mais des humains, en grand nombre certes mais pas systématiquement dirait-il, et continuerait à nier l'organisation du massacre.

L'enjeu n'est pas la mort en masse, mais la logique d'Etat qui y menait. Himmler qualifia la déportation des Juifs d'événement immense dont l'histoire ne serait jamais faite, ni ne devait l'être. Après avoir longtemps clamé leur antisémitisme, les nazis n'ont pas revendiqué la Solution Finale. Dans sa biographie d'Hitler, J.Fest observe que les discours publics du Führer mentionnent peu la question juive pendant la guerre. Contrastant avec l'inflation verbale antérieure, l'élimination méthodique des Juifs tombés entre les mains nazies après 1939, puis après 1941, fut un acte sans parole : avec les corps, c'est la mémoire qui était tuée.

Les chambres à gaz ont existé. N'auraient-elles pas existé, Auschwitz eut été aussi horrible. L'abominable ne se mesure ni relativise. Il n'y a d'horreur qu'absolue. Mais cette nouvelle technique était justement adéquate à un meurtre sans nom. Le gaz introduisait une distance assassin/assassiné, une dimension collective et automatique, une mort administrée et industrielle sans précédent, distincte des pyramides de têtes entassées par le vainqueur d'une ville assiégée, ou des Polonais exécutés à Katyn d'une balle dans la nuque :

Pour autant, le long mécanisme historique meurtrier importe plus que le moment du crime et sa méthode. Les chambres à gaz n'ont d'ailleurs jamais été le véritable enjeu révisionniste. Comme autrefois Rassinier, Faurisson refait le procès ( pas plus truqué que les autres ) de Nuremberg, et parle et écrit en avocat des nazis. Impossible d'effacer les piles de cadavres ? Il met en cause le modus operandi. On lui sort la preuve de l'existence d'une chambre à gaz ? Il récuse son usage réel et l'intention de l'utilisateur... Normal, puisque son but est de toujours trouver aux nazis des circonstances atténuantes, afin de nier leur antisémitisme follement rationnel.

« Pour moi ( pour nous, j'espère ) l'ignominie ( et je pèse mes mots ) du système hitlérien n'a jamais tenu à tel ou tel aspect de la mort de telle ou telle quantité de gens, c'est en cela que je me distingue des tenants du discours officiel, du délire officiel, qui ont besoin de leur 39.000 tonnes de cadavres juifs pour que ce soit vraiment horrible. Le programme ( parfaitement en accord avec l'idéal démocratique, d'ailleurs ) nazi comportait la liquidation d'un certain nombre d'obstacles ( fussent-ils humains ) à la bonne marche d'une Allemagne et d'une Europe et d'un monde capitalistes, ce programme était aussi chargé d'horreur en 1933 qu'en 1945, comme le programme de la démocratie contenait les morts de Hiroshima en 1942 aussi bien qu'en 1945. En entrant dans le calcul des tenants du délire, même pour les réfuter, .je renoncerais à ce qui me distingue d'eux. Or, cette différence, c'est, si je ne me trompe, la seule garantie réelle dont je dispose PERSONNELLEMENT quant au fait qu'autre chose est possible. Aucun savoir théorique ne peut remplacer cette différence. Je n'en veux pour preuve que l'existence d'une myriade de chiens de garde du capital qui sont sans doute plus malin que moi, mieux armés théoriquement, qui pourraient citer la totalité des oeuvres de Marx et Lukacs dans trois langues et qui sont pourtant CONTRE-REVOLUTIONNAIRES. » ( extrait d'une lettre adressée en mars 1980 à P.Guillaume par l'un des futurs rédacteurs de La Banquise )


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