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Bilan et contre-bilan (6)


La Radicalite

Après 68, et plus encore après le reflux autour de 72, divers groupes et individus inspirés notamment du bordiguisme reprochaient au gauchisme de critiquer tout, sauf l'essentiel : le capitalisme comme système social où dominent des pôles de valeur se valorisant par le travail marchandisé. La tentation était forte de reécrire passé et présent en n'y voyant que la main du capital. La Commune ? un affrontement entre deux programmes bourgeois. Russie, 1917 : une avancée du capital. Allemagne, 1917-21 : l'insurrection du travail salarié en tant que tel. Mai 68 : le passage à la domination réelle du capital. Pertinente dans la déconstruction des images d'Epinal du mouvement ouvrier, cette tendance aboutissait à ne juger une lutte sociale qu'à la lumière de son échec, non des contradictions du mouvement. Là où le gauchisme voyait facilement dans toute grève un germe subversif, l'oeil hypercritique y décelait du capital variable ( = les ouvriers ) en quête de reconnaissance à l'intérieur du capital tout court. Le féminisme, une revendication bourgeoise. L'avortement, un besoin capitaliste. L'IS, l'exigence d'autogérer sa vie quotidienne dans cette société. Et quand les prolos s'expriment, c'est « la parole au capital ». Tout combat se voyant disqualifié car non susceptible de transcroissance communiste, il ne restait qu'à attendre les assauts posant enfin une revendication totale face à « la loi de la valeur ». Les gauchistes s'en prenaient aux patrons, les radicaux au capitalisme, et même de plus en plus au capital, allant chercher au sein et presque en deçà du système social son être profond, réalité fluide, valeur quasi intangible à force de circuler partout sans jamais apparaître, bref une abstraction.

Les critiques superficiels du capitalisme fonctionnent à l'aide d'ennemis : au premier rang, le bourgeois en haut de forme gaspillant sur le champ de courses l'argent accumulé par la sueur ouvrière. La solution n'a pas varié depuis qu'existent des partis « du travail » : récupérer dans la poche du profiteur ce qu'il a volé, soit par un partage moins inégal ( version molle ), soit par expropriation du bourgeois au profit de l'intérêt collectif représenté par un Etat des travailleurs ( version dure ). Les désaccords internes à la gauche, notamment entre les frères ennemis socio-démocrate et stalinien, portent sur le mode de re-répartition d'une richesse dont la production comme la nature ( quel parti a jamais remis en cause le nucléaire ? ) sont acceptées quasi telles quelles.

Contre le réformisme, les petits groupes radicaux affirmaient la nécessité de transformer la société au coeur. Mais à force de récuser toute lutte comme partielle, de ne s'intéresser qu'à des actes porteurs d'emblée d'une exigence globale, ils finissaient par n'être eux-mêmes nulle part... et ne plus rien comprendre que des vérités fondamentales désincarnées.

Trotskystes et maoistes ne cessaient de s'enthousiasmer pour des causes dont ils revenaient déçus ou floués, dénoncés par les mêmes ouvriers qu'ils soutenaient, matraqués par un PC sourd à leurs appels à réaliser avec eux le front uni, méprisés par des mouvements de libération nationale tant applaudis, amers après un retour de Pékin ou de Managua, virant de plus en plus au « réalisme » et à la modération, jusqu'à juger comme un fait positif et nouveau en 81 l'élection d'un personnage dix fois ministre sous la IVe République.

La radicalite en fut le contre-pied, érigeant en principe son isolement social. De cette tentation, tous ne mouraient pas, mais chacun était frappé.

L'ultra-gauche rejoignait ainsi certains bordiguistes historiques, les héritiers de Bilan en Belgique par exemple, qui n'avaient rien fait pour republier la revue, gardien d'un trésor sans emploi. Le prolétariat avait disparu, leur faisait-on dire. Apocryphe, la formule définissait bien une attitude. Révolutionnaires sans révolution, belle contradiction dans les termes. Programme Communiste n'aspirait qu'à un futur rôle dirigeant de la révolution, d'autres entendaient éditer éternellement leur bulletin théorique, les héritiers de Bilan ne prétendaient à rien. Comportements stériles. Mais au moins une bonne raideur immunise contre le dérapage. Les plus fidèles à l'héritage ( PCI, CCI ), accaparés par leur prosélytisme, trop occupés d'eux-mêmes, ne risquaient pas la moindre faurrissonade.

Pour glisser du roc de quelques vérités de base monolithiques au bras du professeur Faurisson, il fallait autre chose, qui prétende justement donner un emploi à cet or théorique en vain thésaurisé.


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