au tour
[...] L'année [1998] devra compter
Une seconde. Une minuscule seconde. Passe encore une minute. Mais une seconde et sur un an de surcroît. Est-ce encore de la précision à ces échelles-là? Ou de la maniaquerie trempée dans un bain de science mégalomane? Disons plutôt que l'appétit vient en mangeant et que le dîner des métrologues d'aujourd'hui s'assaisonne au temps atomique. À ce compte-là, une seconde équivaut désormais à 9 192 631 770 oscillations d'un atome de césium 133. Toujours plus bas
Descendre au milliardième de seconde,
la performance n'est pas banale. À se demander s'il est possible d'aller
plus bas encore: «Oui, nous le pouvons, affirme Giovanni Busca,
directeur de l'Observatoire cantonal de Neuchâtel. Ici, nous fabriquons
et utilisons des horloges un peu différentes, baptisées maser
à hydrogène. Elles sont plus précises que celles au
césium, mais elles tiennent moins la distance. Elles ne sont pas
stables au-delà d'une heure ou deux.»
Ce serait mal connaître la science que de penser qu'elle se contenterait longtemps de ces précisions
de courte durée. À l'Observatoire de Neuchâtel, on planche
par exemple sur une nouvelle horloge au césium aussi performante
que le maser à hydrogène, mais bien plus endurante. Un progrès
que l'on doit à une technique révolutionnaire de refroidissement
des atomes. Ses inventeurs, William Phillips, Steven Chu et Claude Cohen-Tannoudji,
ont d'ailleurs obtenu le Prix Nobel de physique 1997. Le principe consiste
à immobiliser les atomes grâce à un piège de
faisceaux laser. Coincé dans cette souricière, l'atome voit
sa température baisser jusqu'à quelques microdegrés
(Kelvin) au-dessus du zéro absolu. Et c'est là le rêve
de toute horloge atomique. Car plus les atomes sont calmes, plus leurs
oscillations sont stables et donc précises.
Ne reste plus alors qu'à utiliser
ces merveilles de technologie pour évaluer la rotation terrestre
et débusquer les frissons qui la troublent. Mais comment réaliser
cette mesure, alors même que les scientifiques se trouvent à
la surface de la Terre et tournent avec elle. «C'est à
cause de cela, explique le spécialiste de Neuchâtel, qu'il
faut s'extraire du référentiel terrestre, aller chercher
ailleurs un point fixe, comme une ancre qui ne subit pas l'influence de
notre système solaire.»
Pour y parvenir, les métrologues
ont aujourd'hui recours au «Very Long Baseline Interferometry»,
un réseau international de radiotélescopes. En pratique,
il s'agit d'en choisir deux, distants de plusieurs milliers de kilomètres,
et de les faire viser un même objet très lointain, une source
radio cosmique comme un quasar par exemple. Comme chacun des instruments
est couplé à une horloge atomique parfaitement synchronisée,
il ne reste plus qu'à calculer la différence de temps que
met l'onde radio pour atteindre chacun des télescopes. «Grâce
à cet écart, il est possible de mesurer la vitesse de la
rotation de la Terre avec une précision d'une dizaine de microsecondes,
reprend Giovanni Busca. Et ainsi mettre en évidence des perturbations
qui se produisent sur une seule journée.» Arythmie cardiaque
Nombre de facteurs contribuent à ralentir
imperceptiblement, mais régulièrement la vitesse de rotation
terrestre. Notre planète souffre par exemple d'arythmie cardiaque.
Son coeur métallique, liquide et incandescent, tourne de façon
chaotique, imposant son irrégularité à l'ensemble
du globe. A ce problème de coeur, il faut ajouter les convulsions
du manteau terrestre, victime des assauts gravitationnels de la Lune. On
estime que le frottement qui résulte des effets de marée
entraîne un ralentissement d'un millième de seconde par siècle.
D'ailleurs, notre satellite n'est pas le seul responsable. Le Soleil et
les autres planètes participent également à la fête.
Aux caprices astronomiques, il faut ajouter
d'autres causes, notoirement terrestres celles-ci, comme la dérive
des continents ou encore les variations du niveau de la mer. Plus surprenante
peut-être est l'influence des phénomènes météorologiques.
Sans doute parce qu'on imagine mal leur légèreté en
imposer à l'extraordinaire masse de la planète. Et pourtant,
les grands mouvements atmosphériques ont leur mot à dire.
Il n'y a qu'à constater l'influence d'El Niño, ce phénomène
caractéristique du Pacifique Sud qui parfois inverse les climats
entre l'Asie-Océanie et l'Amérique du Sud. Une équipe
de chercheurs américains a réussi à chiffrer ses effets.
Les résultats, annoncés en mai dernier lors d'une convention
à Boston de l'Union américaine de géophysique, montrent
un allongement de la longueur du jour d'environ 600 microsecondes pour
les années 1997-98. En 1982-83, lors d'un autre El Niño particulièrement
fort, l'allongement avait même atteint 800 microsecondes.
Accélérations, ralentissements.
Ralentissements, accélérations. Notre globe ressemble à
un ballon ballotté par des flots imperceptibles vus d'ici. Et l'on
comprend mieux que ses heures méritent quelques ajustements périodiques.
D'autant que l'homme lui-même, par une petite erreur de jugement,
a ajouté son grain de sel au chaos. En effet, la seconde atomique,
définie comme 9 192 631 770 oscillations d'un atome de césium
133, ne divise pas parfaitement le jour réel, astronomique. À la
fin de celui-ci, quelques miettes de temps restent en suspens. D'un point
de vue scientifique, il suffirait de redéfinir une nouvelle seconde
atomique pour remédier au problème. Mais économiquement,
on ne veut pas en entendre parler. «Trop de systèmes se
basent aujourd'hui sur la définition actuelle de la seconde,
précise Giovanni Busca. Il y a tous les projets scientifiques,
mais aussi les applications militaires qui emploient des satellites. Sans
compter que les différents réseaux de télécommunication
se synchronisent grâce à elle. Adopter une nouvelle définition
de la seconde coûterait un argent fou. On préfère la
méthode des rattrapages.»
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