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Un Monde Sans Argent : Le Communisme
IX. Le Devenir Humain



NIVELEURS

En Angleterre, après la Révolution de 1648, un courant favorable au communisme se développe au sein du parti des "niveleurs". Plusieurs ouvrages communistes apparaissent à cette époque. On y prône l'obligation du travail pour tous et la distribution gratuite des biens.

Les contacts avec les sociétés non-occidentales nourrissent les réflexions philosophiques. En 1704 Gueudeville publie les "Dialogues ou entretiens entre un sauvage et le baron de La Houtan". L'Indien serait supérieur à l'Européen parce qu'ignorant la distinction du mien et du tien.

En 1755 Morelly publie son "Code de la Nature". Il y affirme que l'homme n'est ni vicieux ni méchant. Il faut rompre avec le "désir d'avoir" et la propriété : "Otez la propriété, l'aveugle et l'impitoyable intérêt qui l'accompagne, faites tomber tous les préjugés, les erreurs qui les soutiennent, il n'y a plus de résistance offensive ou défensive chez les hommes, il n'y a plus de passions furieuses, plus d'actions féroces, plus de notions, plus d'idées de mal moral."

Malgré sa confiance dans la nature humaine Morelly en arrive contradictoirement à définir des lois régissant la vie des gens jusqu'à dans les moindres détails. L'habillement, le mariage, le divorce, l'éducation des enfants, la pensée et la rêverie même sont réglée de façon stricte.

Le communisme de Morelly influencera notamment le révolutionnaire Gracchus Babeuf qui sera exécuté en 1797 après l'échec de la conjuration des Egaux.

Il était fondamentalement juste de considérer que le communisme correspond à la nature humaine; qu'il est l'état naturel de l'espèce. Cela non pas parce que l'homme serait spontanément bon ou moral, non pas parce que les sociétés se succèderaient sans modifier une nature humaine inaltérable. Simplement les classes, la propriété, l'échange, l'Etat s'imposent comme des nécessitée sociales, donc aussi humaines, mais ils ne sont que des nécessités momentanées correspondant au passage d'une forme sociale communiste à une autre. Le communisme ne s'impose pas. Il surgit sans cesse même s'il ne peut se développer qu'à certains moments. Nous avons vu qu'une manifestation spontanée et typiquement humaine comme la parole reste communiste, tout au moins au niveau de la forme. Pour la compréhension même, le communisme reste beaucoup plus simple, transparent que le capitalisme : forme sociale dominante. C'est parce qu'il est même aujourd'hui une réalité plus immédiate. Lorsque nous tournons en dérision la richesse bourgeoise fondée sur l'accaparement et exprimée par l'argent, et que nous jouons les naïfs, c'est parce que nous pouvons nous appuyer immédiatement sur une conception communiste de la richesse qui existe à l'état latent.

On nous reprochera d'être simplistes ou naïfs. Jusqu'à un certain point ce sont des vertus que nous cultivons. Heureux les simples d'esprit car le royaume des cieux leur appartient; et pas seulement celui-là. On reproche au communisme non pas d'être incompréhensible et inadmissible mais d'être naïf, de ne pas tenir compte de la réalité qu'il prétend renverser. On combat le communisme parce que l'on sait qu'il n'est pas si naïf que ça et que les moyens de sa réussite existent.

La théorie est une nécessité. Elle est nécessaire dans un monde où la réalité humaine échappe aux hommes. Mais si la théorie ne sert qu'à compliquer les choses, à renforcer l'écran qui sépare les hommes de leur humanité, alors il vaut mieux s'abstenir. La théorie révolutionnaire n'est pas comme la théorie de la relativité. Elle parle d'une réalité dans laquelle nous baignons. La complexité et l'éloignement qu'elle cherche à réduire, dans un mouvement qui de ce fait est lui-même communiste, ne sont pas liés à des raisons physiques mais humaines et humainement modifiables.

L'on est tenté ou de se droguer avec de la théorie et ainsi de refuser la vie, ou de refuser la théorie et de se droguer avec du vécu. Le manque à vivre, l'éloignement des mécanismes qui organisent la vie des hommes ne débouchent pas sur une volonté de compréhension forcément active, mais sur une recherche effrénée d'images, des possibilités d'identification. Ce qui importe, ce n'est pas de comprendre et de se mettre ainsi dans la possibilité de transformer la réalité, mais de trouver des responsables, des coupables, des fauteurs de guerre et des voleurs de travail. Ce n'est qu'à cause de cette recherche de concret et d'images que le système et ses gestionnaires ont pu concentrer la haine populaire contre tel ou tel groupe social. A ce besoin perverti de vécu on doit opposer des explications mais surtout la vie elle-même. On ne guérit pas des drogués avec des paroles.

Morelly constate : "Il n'est malheureusement que trop vrai, qu'il serait comme impossible de former de nos jours une pareille république." Les utopistes ne saisissent pas le mouvement qui peut mener au communisme. A cette époque le prolétariat n'apparaît encore que très peu comme une force autonome. Mais les descriptions utopiques manifestent déjà le besoin historique du communisme et en font une exigence immédiate conformément à sa nature profonde.

L'avenir n'est pas un point extérieur à la réalité que nous vivons. Il est cette réalité, il est son dépassement. Le communisme est ici et ailleurs, aujourd'hui et demain, ma subjectivité et le développement objectif des forces productives. L'on ne peut sans s'égarer opposer le communisme comme utopie et comme mouvement historique. Un des grands mérites des utopistes est de ne pas avoir nourri d'illusion quant à la possibilité historique de leur projet.

C'est plus tard que sont venus des réformateurs communistes comme Cabet et Owen qui ont essayé de faire entrer leurs idées dans la réalité en créant de petites communautés ou des institutions"communistes" ou à but communiste.

La force de l'utopiste est qu'il ne s'attarde pas à construire une représentation de l'évolution, à déduire ce qui va venir de ce qui est. Il anticipe directement. Il s'attaque radicalement, c'est-à-dire au niveau humain, aux problèmes que soulève et dévoile le capital. Problèmes que l'humanité sera un jour acculée à traiter.

Comme utopie le communisme s'affirme dans sa discontinuité avec le présent. Il est conçu comme un nouvel équilibre global.

A cela on oppose un déterminisme de pacotille qui ramène l'évolution à un processus continu où chaque phase est la prolongation ou la production par démoulage de la phase précédente. L'utopiste est ramené à un rêveur ou à un rationnaliste mystique. On ne saisit pas sa démarche et sa base de départ comme une partie du mouvement en question.

Le communisme est une expression du déploiement permis et ordonné historiquement des capacités de l'espèce humaine. Il est l'état naturel de l'espèce. Mais cette nature est historiquement produite. L'histoire ne fait elle-même qu'ordonner et remâcher les mêmes matériaux sans pourtant faire du surplace ou décrire un cercle fermé.

La phase intermédiaire des sociétés de classes qui tend à nier l'homme en faisant de l'homme un instrument n'a elle-même été rendue possible et nécessaire que par les caractéristiques propres et inscrites génétiquement de l'espèce. C'est la capacité humaine à s'adapter mais aussi à subir, à utiliser des outils mais aussi à être utilisé comme outil qui n'est retournée contre l'humanité. Cette phase en engendrant le capitalisme et le machinisme a signé son propre arrêt de mort.



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