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Un Monde Sans Argent : Le Communisme
IX. Le Devenir Humain



HISTOIRE

Sur le plan théorique le communisme apparaît avec le renouveau des idées de la Renaissance. En 1516 l'Anglais Thomas More publie à Louvain son "Utopie". En 1602 le Dominicain Campanella écrit "La cité du soleil". Il est alors en prison pour avoir suscité un complot anti-espagnol en Calabre. Il s'agit de décrire un monde où l'argent, la propriété et la division en classes ont disparu et de le poser comme alternative au monde présent. More, Campanella et d'autres qui penchent pour le communisme ne sont ni des prolétaires, ni même des révoltés. Ce sont plutôt des esprits brillants et d'avant-garde qui flirtent avec les pouvoirs en place ou sont pourchassés pour leur indépendance ou leur non-conformisme.

Pourtant à la même époque, avec la guerre des paysans et Thomas Munzer, le communisme commence à se matérialiser. Il épouvante les princes, les bourgeois et les réformateurs religieux à la Luther qui s'exclame : "Malheureux égarés que vous êtes ! C'est la voix de la chair et du sang qui monte à vos oreilles."

"Ils confondaient la foi avec l'espérance : n'est-il pas naturel de croire quand on ne possède rien ? Or, ce qui était grave, c'est que, la sainte espérance qui les animait, ils entendaient la réaliser non pas dans un autre monde, après la mort, mais bien sur cette terre, et le plus tôt possible." ( La Révolution des Saints 1520-1536, G. d'Aubarède 1946 )

"Mais avec les anabaptistes de ce temps-là, ce n'était pas seulement de la religion qu'il s'agissait. Leur doctrine sapait les fondements de tout l'ordre social, propriétés, lois, magistratures." ( ... )

( ... ) "Quant aux maisons particulières, chacun s'en accommoda comme il voulut. Tel se transportait dans un hôtel, qui, auparavant, habitait sous le chaume. Les domestiques des nobles et du clergé s'approprièrent sans scrupule ce qui avait appartenu à leurs maîtres.

On pilla le palais épiscopal, les archives, les titres, les privilèges, tous les papiers. De quelle utilité pouvaient être ces bagatelles dans la nouvelle Sion, dont les fondements étaient la liberté évangélique et l'égalité fraternelle ?" ( Jean Bockelson, M.Baston 1824 )

"Trop de personnes ignorent que le communisme est entré déjà comme fait pratique dans le domaine de l'histoire, qu'il a fait ses preuves, qu'il a triomphé pendant quelques années, et s'est posé violemment dans quelques provinces, il n'y a pas plus de trois cents ans.

C'étaient les mêmes prétextes qu'à présent, à peu près les mêmes tendances, la mise en oeuvre des mêmes procédés d'action, mais avec un puissant moyen de plus, un levier d'une force immense, la forme religieuse et mystique dont s'enveloppaient les puissants révolutionnaires d'alors." ( Études historiques sur le communisme et les insurrections au XVIe siècle, Arnoul, 1850 )

On trouve des traces de la tendance au communisme plus loin dans le temps, avant même le développement du capitalisme. C'est la vieille aspiration pour retrouver l'abondance et la communauté perdue.

Les premières tentatives pratiques du communisme moderne s'appuieront elles-même sur les restes de communisme primitif qui auront survécu au développement des sociétés de classes.

Le communisme moderne prend son inspiration chez les anciens partisans de la communauté des biens : Platon qui la prônait à la mode aristocratique pour les membres de la classe supérieure; les premiers chrétiens qui mettaient leurs biens en commun selon l'esprit évangélique.

Pourtant, même en s'inspirant et en se rattachant au passé, le communisme moderne innove.

Le communisme se pose en adversaire de la société en place et veut s'y substituer. Thomas More consacre la première partie de son ouvrage à dénoncer les malheurs présents et à en découvrir les causes. Il constate les ravages occasionnées par le développement du capital.

Le communisme n'est plus un état d'esprit ou une façon de vivre en mettant ses ressources en commun. Il est une solution globale et sociale, un mode d'organisation de la production.

Thomas More met en scène un navigateur, Hythlodée, qui a visité les îles imaginaires d'Utopie. Hythlodée se penche sur notre société :

"Mon cher More", dit-il, "pour te dire le fond de ma pensée, là où tous mesurent toutes choses d'après l'argent, dans ces pays-là, il est à peu près impossible que la justice et la prospérité règnent dans la chose publique.. Cet homme très sage ( Platon ) avait vu qu'il n'y a qu'un seul et unique chemin vers le salut public, à savoir l'égalité, qui ne me parait pas pouvoir être réalisée là où les biens appartiennent aux particuliers... Je suis donc convaincu que les biens ne peuvent être répartis équitablement et raisonnablement, que les affaires des hommes ne peuvent-être gérées heureusement, si l'on ne supprime totalement la propriété."

More dénonce les dégâts qu'occasionne le développement de la propriété foncière et du capitalisme terrien qui chasse les paysans pour y mettre des moutons; "vos moutons si doux, si faciles à nourrir de peu de chose, mais qui, à ce qu'on me dit, commencent à être si gourmands et si indomptables qu'ils dévorent même les hommes". Il dénonce l'impuissance de la politique et la distance qui sépare obligatoirement les bons précepte de leur application pratique.

En Utopie les choses sont différentes. "Chaque père de famille vient chercher tout ce dont il a besoin et l'emporte sans paiement, sans compensation d'aucune sorte. Pourquoi refuser quelque chose à quelqu'un puisque tout existe en abondance et que personne ne craint que le voisin demande plus qu'il ne lui faut ? Car pourquoi réclamer trop, alors que l'on sait que rien ne sera refusé ? Ce qui rend avide et rapace, c'est la terreur de manquer..."

"Partout ailleurs", écrit-il, "ceux qui parlent d'intérêt général ne songent qu'à leur intérêt personnel; tandis que là où l'on ne possède rien en propre tout le monde s'occupe sérieusement de la chose publique, puisque le bien particulier se confond réellement avec le bien général...

En Utopie..., où tout appartient à tous, personne ne peut manquer de rien, une fois que les greniers publics sont remplis. Car la fortune de l'État n'est jamais injustement distribuée en ce pays; l'on n'y voit ni pauvre ni mendiant, et quoique personne n'ait rien à soi, cependant tout le monde est riche...

N'est-elle pas inique et ingrate la société qui prodigue tant de biens à ceux qu'on appelle nobles, à des joailliers, à des oisifs, ou à des artisans de luxe qui ne savent que flatter et servir les voluptés frivoles ? Quand, d'autre part, elle n'a ni coeur ni pensée pour le laboureur, le charbonnier, le manoeuvre, le charretier, l'ouvrier, sans lesquels il n'existerait pas de société. Dans son cruel égoïsme, elle abuse de la vigueur de leur jeunesse pour tirer d'eux le plus de travail et de profit; et dès qu'ils faiblissent sous le poids de l'âge ou de la maladie, alors qu'ils manquent de tout, elle oublie leurs nombreuses veilles, leurs nombreux et importants services, elle les récompense en les laissant mourir de faim."

More conclut son livre ainsi : "Il y a chez les Utopiens une foule de choses que je souhaite voir établies dans nos cités. Je le souhaite plus que je ne l'espère." Et le mot utopie désigne dans la langue courante un rêve irréalisable. Et pourtant...

Et pourtant un peu plus d'un siècle après allait se dérouler une expérience remarquablement proche du rêve de More. Il est fort rare qu'un projet social se réalise aussi fidèlement.



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