Tifinagh Libyque ~ Plaidoyer pour l’authenticité
L’adoption de tout alphabet autre que le Tifinagh
serait une atteinte à la sacro-sainte authenticité de
notre patrimoine. Nous ne ferons que commettre la même erreur une
fois de trop : importer une culture étrangère. Il est
temps que l’on surmonte notre frilosité envers Tifinagh que plusieurs
Imazighen considèrent à tort comme une relique de la
préhistoire inapplicable au XXIéme siècle.
En bon scientifique (presque), j’éviterai les positions
subjectives dans les paragraphes qui suivent. J’essayerai plutôt
de soulever des arguments rationnels en faveur de l’adoption du
Tifinagh et plus précisément du Tifinagh libyque occidental.
Voici les principaux points de mon développement :
- Arguments anti-Tifinagh
- Le problème fondamental du Tifinagh
- Implications politiques
- Standardisation du Tifinagh
I. Arguments anti-Tifinagh: Infondés.
Je vais relever texto quelques arguments que j’ai lu sur des forums
Internet de la part des partisans de la graphie latine :
- Le choix fait pour Tifinagh est un choix basé
sur des raisons affectives et non pas pratiques.
- Personnellement je préfère les caractères
latins et ce pour des raisons pratiques. Le latin nous ouvrira le monde
de la modernité et de la communication avec le reste de
l'humanité. Les Tifinagh sont belles, mais nous risquerons
de nous isoler, car à part nous-mêmes, il n'y a aucun autre
peuple au monde qui pourra le lire ou les déchiffrer.
- J'opte pour l'alphabet latin comme Ataturk a fait en 1919 pour
la langue Turque. Ils ont remplacé l'alphabet arabe par
l'alphabet latin. Nous devons apprendre beaucoup de chose sur l'expérience
de la Turquie moderne.
- Il faut aussi, en matière d’écriture de langue,
ouvrir des horizons jusque là jamais imaginés par
nos ancêtres. Le latin fait partie de ces horizons à
redécouvrir et à explorer. Ce système d’écriture
fait non seulement partie de l’héritage culturel nord-africain
mais aussi de ce qui nous lie aux peuples méditerranéens
depuis très longtemps déjà.
En résumé, la plupart de ceux qui
prônent les caractères latins avancent deux qualités
incontestables de la graphie latine : universelle et pratique. Je
vois déjà une redondance dans ces deux termes :
Universelle ? La langue Tamazight n’est pas universelle. Elle n’appartient
qu’aux Nord Africains et à l'Afrique du Nord. Nous ne cherchons
pas à faire du prosélytisme culturel mais tout simplement
à sortir les masses amazighes arabisées de leur amnésie
identitaire.
Pratique ? Certains prétendent que la graphie latine va rendre
Tamazight plus accessible. Cet argument trahit tout simplement
la paresse (très répandue sous nos latitudes) d’apprendre
la trentaine de lettres Tifinagh. Admettons que la graphie latine
va nous rattacher au reste du monde. Autrement dit que Tamazight sera
déchiffrable par les étrangers. Il n’en reste pas moins
qu’il ne sert a rien de pouvoir déchiffrer les lettres si on
ne comprend pas la langue elle-même. Il y a là une confusion
entre pragmatisme et solution de facilité.
Difficulté technique ? Certains soulignent des difficultés
techniques et financières dans la préparation de
systèmes d’imprimerie ou de traitement de texte en Tifinagh.
Il y a la une ignorance de leur part car nous sommes en plein dans
l’ère informatique. Préparer de polices de caractères
pour n’importe quel alphabet imaginable peut être faite en une
après-midi pour moins de cents dollars. Les polices de caractères
digitales peuvent être ensuite distribuées gratuitement
au monde entier à la vitesse de la lumière via l’Internet.
Il n’y a d’obstacle technique (ou financier) que pour ceux qui optent pour
la méthode moyenâgeuse de Gutenberg. Il n’y a rien de sorcier
à mettre l’écriture amazighe au numérique, n’importe
qui ayant accès à un ordinateur peut le faire.
Le modèle turc ? À ceux qui avancent le modèle
Turc je rétorquerai tout simplement par le modèle
Hébreux. Ce dernier est incontestablement le plus grand
succès de ressuscitation linguistique et culturelle de tout
les temps. D’ailleurs, pour ce qui est du turc, je n’ai retenu de ma
visite à Istanbul qu’une affreuse graphie bâtardisée
et défigurée par une panoplie d’accents circonflexes
et de cédilles.
Sentimentalisme ? D’autres (notamment parmi les Imazighen RME) soutiennent
que le choix du Tifinagh n’est pas basé sur la rationalité mais plutôt sur le sentimentalisme. Mais ?! Toute la cause
identitaire amazighe se réduirait donc au sentimentalisme
avec un tel raisonnement. Objection rejetée !!
Finalement, les lettres latines ne sont tout simplement pas adaptées
à la phonologie amazighe : des lettres telles que P, E,
et X sont superflues, d’autres sont ambiguës selon qu’elles
soient emphatisées pour pas (T, D, Z, S, J). D’autre encore
nécessitent toutes sortes d’accents et certaines sont tout
simplement redondantes (W, U et O, I et Y). Le Tifinagh, par nature,
convient à la langue amazighe comme un gant.
J’ai essayé de dresser une table de pour et contre mais
je n’ai pas pu trouver le moindre argument pertinent en faveur de
la graphie latine à part que ça nous économise
soixante minutes pour apprendre les lettres Tifinagh. Tout ce que
j’ai lu jusqu'à présent n’est qu’un mélange confus
de pseudo pragmatisme et de paresse.
Puis il y a l’autre… L’autre… La possibilité de transcrire
Tamazight en arabe, mais … je ne saurais perdre de temps à débattre ce choix suicidaire !
II. Problème fondamental avec le système Tifinagh
Pour rester intellectuellement honnête, je dois néanmoins
concéder un problème fondamental avec la graphie
Tifinagh (a priori !). Ceux qui en sont familiers le connaissent
sans doute : Le Tifinagh se prête mal a l’écriture a main
levée (c'est-à-dire a l’archaïque duo « main & stylo »). Comme le Tifinagh n’est pas une écriture
cursive, les caractères géométriques anguleux
(qu’on pourrait tous considérer comme majuscules) sont pénibles
à être tracés pendant de longues durées
à la main. On pourrait très bien créer des Tifinagh
cursifs mais là encore ça serait léser l’authenticité du Tifinagh (et de la philosophie visuelle amazighe en général)
qui a justement pour devise la géométrie.
Serait-ce donc là le handicap pratique du Tifinagh ? La
réponse se trouve une fois de plus dans l’informatique.
Depuis trois ans, j’écris quasi-exclusivement sur ordinateurs
(à 90% du temps – sans exagération). Or, avec un clavier
le problème ci-dessus disparaît. En fait, on écrit
quatre à cinq fois plus vite avec un clavier qu’à la
main. De plus la forme des caractères n’a aucune importance, écrire
une lettre latine ou tracer un idéogramme asiatique (tel que
健 ) ne prennent que le temps d’appuyer sur une touche. Certes,
le jour où la majorité des marocains auront accès
ordinateurs n’arrivera pas avant la fin de la décennie mais ça
viendra plus tôt que tard. Il ne faut pas oublier qu'il n'y a
même pas soixante ans, la quasi-totalité des nord-africains
ne connaissaient ni ampoule ni robinet. La graphie latine ne doit en aucun
cas prendre de l’inertie au détriment du Tifinagh car ça
sera difficile de faire marche arrière. Ça serait une erreur
de chercher à faire les choses en hâte à cause des conjectures
du moment. Seul le long terme compte, après tout, Tamazight a attendu
2000 ans et elle patientera certainement quelques années de plus
le temps de bien faire les choses et de rasseoir le Tifinagh dans
sa légitimité.
III. Implications politiques
Si nous n’adoptons pas le Tifinagh de façon systématique,
non seulement nous escamoterons notre héritage culturel
mais, pire, nous signerons de nos propres mains l’arrêt de
mort de notre indépendance vis-à-vis des cultures
étrangères. Cela régalera les panarabistes
qui depuis toujours ont taxé Tamazight d’être un ramassis
de dialecte sans écriture et sans histoire (alors que le Tifinagh
a marqué les parois du Yagour bien avant qu’ils s’avisent
à plagier l’alphabet des Araméens).
Mis à part les panarabistes que l’on connaît bien
maintenant, il reste les autres, la communauté internationale.
Par expérience personnelle, je m’arrache les cheveux pour
expliquer aux internationaux qui sont Imazighen, leur
langue et leur histoire. Si on adopte un alphabet européen,
ils nous confondront avec une peuplade exotique comme les rescapés
basques ou celtes ; si on adopte l’arabe, nous scelleront à tout jamais l’amalgame `musulman = arabe`. Ce sont là des
sorts bien indésirables et les qualifier de masochiste serait
un euphémisme.
IV. Standardisation du Tifinagh
Il reste donc à trouver un standard pour Tifinagh. C’est
en fait là le principal but de mon message.
(a) Foisonnement des néo-Tifinaghs
Il existe une myriade de graphies Tifinagh sur l’Internet. Ce
sont des polices de caractères (nom technique : fontes TTF)
qu’on peut télécharger et installer sur son ordinateur
pour ensuite utiliser dans toutes sortes d’applications (ex : traitement
de texte, publication en ligne, présentations vidéo
et graphiques, imprimantes, etc.). La plus rependue est la version
de l’Académie Berbère. Il y a néanmoins un problème
avec cette version : elle a été constituée à
partir de lettres glanées ci et là aux alphabets Tamajq
et libyques. Il reste le quart de ces caractères qui sont néo-tifinagh.
Ils pullulent sous toutes sortes de versions dans les journaux amazighs
(Tifawt, Tawiza, etc.). Ces néo-tifinagh n’ont aucune base
historique, je pense notamment aux lettres /K/, /S~/(emphatique)
(ﺺ ), /T~/(emphatique)( ﻁ), /GH/(ﻍ
), /Q/(ﻕ), /KH/( ﺥ) et /H/ ( ﻫ ). Ils ont été choisis de façon arbitraire, contrairement au principe de fidélité historique dont on devrait en faire une règle (il en va de même
pour tout travail de standardisation).
Il faudrait bannir ces néo-tifinaghs. Ce que je propose,
c’est qu’on regarde de plus prés les « vrais »
alphabets Tifinagh qui nous ont été légués
par l’histoire. On les tamise les uns après les autres pour
pouvoir juger, dans l’objectivité, quel serait le véritable
candidat pour la position d’alphabet standard de la langue amazighe.
(b) Tifinagh Tamajq ?
Certains pensent que si on doit adopter le Tifinagh ça
devrait être la version Tamajq que l’on devrait utiliser.
Nous leur devons en effet ce tribut pour être les seuls
à avoir préservé l’alphabet en vie au fil des millénaires.
Soit ; mais ça serait oublier que l’alphabet des Kel Tamajq
est dérivé des alphabet libyque (ledit « Saharien
Ancien ») et que le Tifinagh Tamajq est lui-même émietté
en plusieurs versions (Ghat, Aïr, Hoggar, Azawad, Adrar, Tanslemt,
etc.). De plus Tifinagh-Tamajq présente un handicap pratique
: Il comporte au près du quart de lettres faites de points
qui ne peuvent mener qu’à confondre les lecteurs. C’est probablement
parce qu’ils sont faciles à tracer du bout des doigts sur le
sable que l’on trouve autant de points dans l’alphabet Tamajq (pure
spéculation mais ça m’a l’air probable).
(c) La solution libyque
Pourquoi ne tout simplement pas revenir aux racines, aux fondements
même de la langue amazighe ? Tous les alphabets Tifinagh
d’aujourd’hui sont dérivés du libyque (l’occidental
serait antérieur a l’oriental). En regardant de plus près
cet alphabet on se rend compte qu’on a bien affaire au seul véritable
alphabet Tifinagh que tous Imazighen, à l’unisson, peuvent
revendiquer comme le leur de part sa logique phonétique et
son authenticité historique.
Sans me risquer dans l’étude du linguiste que je ne suis
pas, je retranscris ici quelques unes de mes analyses de profane sur
l’alphabet libyque occidental. C’est un essai de preuve de son
statut de « véritable » et « légitime
» alphabet amazigh qui illustre sa qualité fédératrice
pour toutes les variantes linguistiques de Tamazgha.
Voilà donc une série de remarques (sans ordre particulier)
sur la logique phonétique du libyque occidental (Cf. tableau des variantes Tifinagh):
- Le libyque ne différentie
pas le /GH/ et le /Q/. On pourrait s’imaginer qu’une des deux lettre
manque mais il serait plus logique de croire que le proto-Amazigh n’avait
qu’un seul son pour les deux. Par exemple, Tamajq et Tamaz
gh sont deux prononciations du même mot où /Q/ a
été transformé en /GH/ (ou vice-versa). On retrouve
ce phénomène dans le dialecte Hassania également
où pour dire « al Maghrib », on dit «
al Maqrib ».
- Les sons /F/ et /S/ ont la même structure.
Ceci est logique du point de vue phonétique (quelqu’un
qui a perdu une de ces incisives prononce /F/ au lieu de /S/).
- Comme l’exemple Tamajq~Tamazgh l’illustre, les sons /J/ et /Z/ devraient être semblables.
Effectivement, en libyque /J/ et /Z/ ont une structure similaire
(segment horizontal).
- De la même manière on peut rapprocher
/J/ et /G/ qui sont souvent interchangeables d’un dialecte à un autre (comme dans l’arabe Egyptien par exemple).
- De même, /G/ est la moitié inférieure de /K/ vu
que les deux sons sont similaires.
- Le fameux /Z/ amazigh qui est maintenant devenu
un symbole du mouvement identitaire n’apparaît pas dans
le libyque occidental. Par contre le /Z~/(emphatique) en libyque est en fait la moitié inférieure du /Z/ actuel
qui s’en est probablement constitué par extension.
- Le son /OU/ est une autre illustration que le
libyque est le seul parmi les alphabets Tifinagh a pouvoir prétendre
au statut de seule authentique version. Le /OU/ dans les alphabets
Tamajq (ainsi que dans la version de l’Académie Berbère)
consiste deux points alors qu’en libyque /OU/ est dénote
par deux segments superposés. Comme suggéré
plus haut, le passage de [=] a [:] est du au fait que
les Kel Tamajq tracent plus facilement deux points avec le bout des
doigts sur le sable. Sachant que l’évolution d’une langues est
souvent un passage du difficile au plus facile, et qu’il est plus facile
de tracer deux points que deux segments superposés on peut conclure
que [ =] est en fait la transcription orthodoxe du son /OU/ et
non pas [:].
- Dans la même logique que celle du /OU/
suivent les sons /H/ (ﻫ) : trois segments superposés dans
le libyque pour trois points alignés verticalement dans
toutes les autres variantes Tamajq.
Finalement, le trait caractéristique (pour
ne pas dire mathématique) du véritable Tifinagh
réside dans la géométrie. En effet, pas une
seule des lettres libyques n’échappe à l’orthodoxie géométrique
d’Imazighen: Toutes les lettres ont au moins un axe ou un centre
de symétrie. C’est là le test ultime à mon avis
pour l’authenticité de cet alphabet. Par contre, les caractères
de l’Académie Berbère contiennent des lettres qui
transgressent la règle d’or de la géométrie (/K/,
/S~/ (emphatique), /T~/ (emphatique), /GH/, /Q/,
/KH/ et /H/) voire même qui sont cursifs (/SH/).
(d) Remarques finales sur la standardisation du Tifinagh
- Certaines variantes de
Tamazight ne pourront néanmoins pas se passer de néo-Tifinaghs.
Notamment les Tamazights méditerranéens ou de l’Adrar
n`Ufezaz où l’on retrouve les sons /Th/(ﺙ), /Dh/(
ﻅ ) et /V/ en abondance. Le choix de ces nouvelles lettres revient
donc au Imazighen concernés puisque la version libyque originelle
ne comporte pas ces sons.
- Il est inutile d’avoir comme en latin des redondances
/I/ et /Y/ ou /U/ et /OU/. Une seule lettre suffit, il n’est pas
nécessaire d’alourdir l’alphabet avec deux lettre pour un
même son qui serait clair de part le contexte (c’est là encore un défaut du système de l’Académie Berbère
qui contient les mêmes redondances qu’en latin).
- Le /A/ devrait ne doit être place ni trop
haut ni trop bas pour éviter la confusion avec le point
[.] ou le signe pour degrés [º]. (La version de l’Académie
Berbère le met trop bas).
- Pour éviter de confondre les sons /L/
et /N/ (║ et │) on devrait trouver une astuce pour le dédoublement.
Une possibilité serait d’utiliser le principe de la shadda
avec peut être une espèce d’accent circonflexe
sur les lettres à être dédoublées.
- Le libyque est par nature flexible quant à
l’orientation de l’écriture. La convention de gauche à
droite serait la plus logique (dans ce cas précis, la ressemblance
avec le latin est souhaitée).
- Lettres dans l’Amazigh moderne à être
ajoutées au libyque : /Ĥ/(
ح ), /Â
/(ﻉ) et /KH/( خ).
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© This article was published on August 21, 2002
by Wagrzam n'Tagant.