Tifinagh Libyque ~ Plaidoyer pour l’authenticité



L’adoption de tout alphabet autre que le Tifinagh serait une atteinte à la sacro-sainte authenticité de notre patrimoine. Nous ne ferons que commettre la même erreur une fois de trop : importer une culture étrangère. Il est temps que l’on surmonte notre frilosité envers Tifinagh que plusieurs Imazighen considèrent à tort comme une relique de la préhistoire inapplicable au XXIéme siècle.

En bon scientifique (presque), j’éviterai les positions subjectives dans les paragraphes qui suivent. J’essayerai plutôt de soulever des arguments rationnels en faveur de l’adoption du Tifinagh et plus précisément du Tifinagh libyque occidental.

Voici les principaux points de mon développement :
  1. Arguments anti-Tifinagh
  2. Le problème fondamental du Tifinagh
  3. Implications politiques
  4. Standardisation du Tifinagh
I. Arguments anti-Tifinagh: Infondés.

Je vais relever texto quelques arguments que j’ai lu sur des forums Internet de la part des partisans de la graphie latine :
En résumé, la plupart de ceux qui prônent les caractères latins avancent deux qualités incontestables de la graphie latine : universelle et pratique. Je vois déjà une redondance dans ces deux termes :

Universelle ? La langue Tamazight n’est pas universelle. Elle n’appartient qu’aux Nord Africains et à l'Afrique du Nord. Nous ne cherchons pas à faire du prosélytisme culturel mais tout simplement à sortir les masses amazighes arabisées de leur amnésie identitaire.

Pratique ? Certains prétendent que la graphie latine va rendre Tamazight plus accessible.  Cet argument trahit tout simplement la paresse (très répandue sous nos latitudes) d’apprendre la trentaine de lettres Tifinagh. Admettons que la graphie latine va nous rattacher au reste du monde. Autrement dit que Tamazight sera déchiffrable par les étrangers. Il n’en reste pas moins qu’il ne sert a rien de pouvoir déchiffrer les lettres si on ne comprend pas la langue elle-même. Il y a là une confusion entre pragmatisme et solution de facilité.

Difficulté technique ? Certains soulignent des difficultés techniques et financières dans la préparation de systèmes d’imprimerie ou de traitement de texte en Tifinagh. Il y a la une ignorance de leur part car nous sommes en plein dans l’ère informatique. Préparer de polices de caractères pour n’importe quel alphabet imaginable peut être faite en une après-midi pour moins de cents dollars. Les polices de caractères digitales peuvent être ensuite distribuées gratuitement au monde entier à la vitesse de la lumière via l’Internet. Il n’y a d’obstacle technique (ou financier) que pour ceux qui optent pour la méthode moyenâgeuse de Gutenberg. Il n‎’y a rien de sorcier à mettre l’écriture amazighe au numérique, n’importe qui ayant accès à un ordinateur peut le faire.

Le modèle turc ? À ceux qui avancent le modèle Turc je rétorquerai tout simplement par le modèle Hébreux. Ce dernier est incontestablement le plus grand succès de ressuscitation linguistique et culturelle de tout les temps. D’ailleurs, pour ce qui est du turc, je n’ai retenu de ma visite à Istanbul qu’une affreuse graphie bâtardisée et défigurée par une panoplie d’accents circonflexes et de cédilles.

Sentimentalisme ? D’autres (notamment parmi les Imazighen RME) soutiennent que le choix du Tifinagh n’est pas basé sur la rationalité mais plutôt sur le sentimentalisme. Mais ?! Toute la cause identitaire amazighe se réduirait donc au sentimentalisme avec un tel raisonnement. Objection rejetée !!

Finalement, les lettres latines ne sont tout simplement pas adaptées à la phonologie amazighe : des lettres telles que P, E, et X sont superflues, d’autres sont ambiguës selon qu’elles soient emphatisées pour pas (T, D, Z, S, J). D’autre encore nécessitent toutes sortes d’accents et certaines sont tout simplement redondantes (W, U et O, I et Y). Le Tifinagh, par nature, convient à la langue amazighe comme un gant.

J’ai essayé de dresser une table de pour et contre mais je n’ai pas pu trouver le moindre argument pertinent en faveur de la graphie latine à part que ça nous économise soixante minutes pour apprendre les lettres Tifinagh. Tout ce que j’ai lu jusqu'à présent n’est qu’un mélange confus de pseudo pragmatisme et de paresse.

Puis il y a l’autre… L’autre… La possibilité de transcrire Tamazight en arabe, mais … je ne saurais perdre de temps à débattre ce choix suicidaire !

II. Problème fondamental avec le système Tifinagh

Pour rester intellectuellement honnête, je dois néanmoins concéder un problème fondamental avec la graphie Tifinagh (a priori !). Ceux qui en sont familiers le connaissent sans doute : Le Tifinagh se prête mal a l’écriture a main levée (c'est-à-dire a l’archaïque duo « main & stylo »). Comme le Tifinagh n’est pas une écriture cursive, les caractères géométriques anguleux (qu’on pourrait tous considérer comme majuscules) sont pénibles à être tracés pendant de longues durées à la main. On pourrait très bien créer des Tifinagh cursifs mais là encore ça serait léser l’authenticité du Tifinagh (et de la philosophie visuelle amazighe en général) qui a justement pour devise la géométrie.

Serait-ce donc là le handicap pratique du Tifinagh ? La réponse se trouve une fois de plus dans l’informatique. Depuis trois ans, j’écris quasi-exclusivement sur ordinateurs (à 90% du temps – sans exagération). Or, avec un clavier le problème ci-dessus disparaît. En fait, on écrit quatre à cinq fois plus vite avec un clavier qu’à la main. De plus la forme des caractères n’a aucune importance, écrire une lettre latine ou tracer un idéogramme asiatique (tel que ) ne prennent que le temps d’appuyer sur une touche. Certes, le jour où la majorité des marocains auront accès ordinateurs n’arrivera pas avant la fin de la décennie mais ça viendra plus tôt que tard. Il ne faut pas oublier qu'il n'y a même pas soixante ans, la quasi-totalité des nord-africains ne connaissaient ni ampoule ni robinet. La graphie latine ne doit en aucun cas prendre de l’inertie au détriment du Tifinagh car ça sera difficile de faire marche arrière. Ça serait une erreur de chercher à faire les choses en hâte à cause des conjectures du moment. Seul le long terme compte, après tout, Tamazight a attendu 2000 ans et elle patientera certainement quelques années de plus le temps de bien faire les choses et de rasseoir  le Tifinagh dans sa légitimité.

III. Implications politiques

Si nous n’adoptons pas le Tifinagh de façon systématique, non seulement nous escamoterons notre héritage culturel mais, pire, nous signerons de nos propres mains l’arrêt de mort de notre indépendance vis-à-vis des cultures étrangères. Cela régalera les panarabistes qui depuis toujours ont taxé Tamazight d’être un ramassis de dialecte sans écriture et sans histoire (alors que le Tifinagh a marqué les parois du Yagour bien avant qu’ils s’avisent à plagier l’alphabet des Araméens).

Mis à part les panarabistes que l’on connaît bien maintenant, il reste les autres, la communauté internationale. Par expérience personnelle, je m’arrache les cheveux pour expliquer aux internationaux qui sont Imazighen, leur langue et leur histoire. Si on adopte un alphabet européen, ils nous confondront avec une peuplade exotique comme les rescapés basques ou celtes ; si on adopte l’arabe, nous scelleront à tout jamais l’amalgame `musulman = arabe`. Ce sont là des sorts bien indésirables et les qualifier de masochiste serait un euphémisme.

IV. Standardisation du Tifinagh

Il reste donc à trouver un standard pour Tifinagh. C’est en fait là le principal but de mon message.

(a) Foisonnement des néo-Tifinaghs

Il existe une myriade de graphies Tifinagh sur l’Internet. Ce sont des polices de caractères (nom technique : fontes TTF) qu’on peut télécharger et installer sur son ordinateur pour ensuite utiliser dans toutes sortes d’applications (ex : traitement de texte, publication en ligne, présentations vidéo et graphiques, imprimantes, etc.). La plus rependue est la version de l’Académie Berbère. Il y a néanmoins un problème avec cette version : elle a été constituée à partir de lettres glanées ci et là aux alphabets Tamajq et libyques. Il reste le quart de ces caractères qui sont néo-tifinagh. Ils pullulent sous toutes sortes de versions dans les journaux amazighs (Tifawt, Tawiza, etc.). Ces néo-tifinagh n’ont  aucune base historique, je pense notamment aux lettres /K/, /S~/(emphatique) ( ), /T~/(emphatique)(), /GH/( ), /Q/(), /KH/() et /H/ ( ). Ils ont été choisis de façon arbitraire, contrairement au principe de fidélité historique dont on devrait en faire une règle (il en va de même pour tout travail de standardisation).

Il faudrait bannir ces néo-tifinaghs. Ce que je propose, c’est qu’on regarde de plus prés les « vrais » alphabets Tifinagh qui nous ont été légués par l’histoire. On les tamise les uns après les autres pour pouvoir juger, dans l’objectivité, quel serait le véritable candidat pour la position d’alphabet standard de la langue amazighe.

(b) Tifinagh Tamajq ?

Certains pensent que si on doit adopter le Tifinagh ça devrait être la version Tamajq que l’on devrait utiliser. Nous leur devons en effet ce tribut pour être les seuls à avoir préservé l’alphabet en vie au fil des millénaires. Soit ; mais ça serait oublier que l’alphabet des Kel Tamajq est dérivé des alphabet libyque (ledit « Saharien Ancien ») et que le Tifinagh Tamajq est lui-même émietté en plusieurs versions (Ghat, Aïr, Hoggar, Azawad, Adrar, Tanslemt, etc.). De plus Tifinagh-Tamajq présente un handicap pratique : Il comporte au près du quart de lettres faites de points qui ne peuvent mener qu’à confondre les lecteurs. C’est probablement parce qu’ils sont faciles à tracer du bout des doigts sur le sable que l’on trouve autant de points dans l’alphabet Tamajq (pure spéculation mais ça m’a l’air probable).

(c) La solution libyque

Pourquoi ne tout simplement pas revenir aux racines, aux fondements même de la langue amazighe ? Tous les alphabets Tifinagh d’aujourd’hui sont dérivés du libyque (l’occidental serait antérieur a l’oriental). En regardant de plus près cet alphabet on se rend compte qu’on a bien affaire au seul véritable alphabet Tifinagh que tous Imazighen, à l’unisson, peuvent revendiquer comme le leur de part sa logique phonétique et son authenticité historique.

Sans me risquer dans l’étude du linguiste que je ne suis pas, je retranscris ici quelques unes de mes analyses de profane sur l’alphabet libyque occidental. C’est un essai de preuve de son statut de « véritable » et « légitime » alphabet amazigh qui illustre sa qualité fédératrice pour toutes les variantes linguistiques de Tamazgha.

Voilà donc une série de remarques (sans ordre particulier) sur la logique phonétique du libyque occidental (Cf. tableau des variantes Tifinagh):
Finalement, le trait caractéristique (pour ne pas dire mathématique) du véritable Tifinagh réside dans la géométrie. En effet, pas une seule des lettres libyques n’échappe à l’orthodoxie géométrique d’Imazighen: Toutes les lettres ont au moins un axe ou un centre de symétrie. C’est là le test ultime à mon avis pour l’authenticité de cet alphabet. Par contre, les caractères de l’Académie Berbère contiennent des lettres qui transgressent la règle d’or de la géométrie (/K/, /S~/ (emphatique), /T~/ (emphatique), /GH/, /Q/, /KH/ et /H/) voire même qui sont cursifs (/SH/).

(d) Remarques finales sur la standardisation du Tifinagh
  1. Certaines variantes de Tamazight ne pourront néanmoins pas se passer de néo-Tifinaghs. Notamment les Tamazights méditerranéens ou de l’Adrar n`Ufezaz où l’on retrouve les sons /Th/(), /Dh/( ) et /V/ en abondance. Le choix de ces nouvelles lettres revient donc au Imazighen concernés puisque la version libyque originelle ne comporte pas ces sons.
  2. Il est inutile d’avoir comme en latin des redondances /I/ et /Y/ ou /U/ et /OU/. Une seule lettre suffit, il n’est pas nécessaire d’alourdir l’alphabet avec deux lettre pour un même son qui serait clair de part le contexte (c’est là encore un défaut du système de l’Académie Berbère qui contient les mêmes redondances qu’en latin).
  3. Le /A/ devrait ne doit être place ni trop haut ni trop bas pour éviter la confusion avec le point [.] ou le signe pour degrés [º]. (La version de l’Académie Berbère le met trop bas).
  4. Pour éviter de confondre les sons /L/ et /N/ (║ et │) on devrait trouver une astuce pour le dédoublement. Une possibilité serait d’utiliser le principe de la shadda avec peut être une espèce d’accent circonflexe sur les lettres à être dédoublées.
  5. Le libyque est par nature flexible quant à l’orientation de l’écriture. La convention de gauche à droite serait la plus logique (dans ce cas précis, la ressemblance avec le latin est souhaitée).
  6. Lettres dans l’Amazigh moderne à être ajoutées au libyque : /Ĥ/( ح ), /Â /() et /KH/( خ).


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© This article was published on August 21, 2002 by Wagrzam n'Tagant.