4 juillet 2004


Robert Brunet est propriétaire de la boutique « le Yéti », sur Saint-Laurent, coin Fairmount.
photo : Armand Trottier

Le Yéti, un drôle d'animal

Au printemps, une pub pour le moins osée a flashé dans les pages des médias montréalais : sur un grand lit, un cycliste vu de dos tétait une bouteille d'eau et chevauchait une dame dont on ne voyait que les pieds.

C'était Le Yéti qui annonçait l'inauguration du rayon vélo, au magasin du boulevard Saint-Laurent. Une pub qui caractérise bien les entreprises de l'artère la plus éclectique de Montréal.

Du coup, il fallait s'étonner alors que d'autres disparaissent dans le remous causé par les initiatives des géants Mountain Equipment Coop ou Atmosphère (Forzani), ce petit Yéti prend de l'expansion, ajoute un troisième étage. Coup d'audace ou calcul éclairé ?

Dans un petit bureau avec vue sur le coin Fairmount et Saint-Laurent, Robert Brunet raconte son affaire sans jamais lever le ton, avec simplicité. Une business construite sur la passion du plein air, mais menée avec rigueur et - pardonnez le cliché - dynamisme. Non, Le Yéti ne fermera pas ses portes demain ou dans six mois à cause d'une abominable erreur de stratégie ou d'une ambition enflammée.

Au contraire, Brunet avance chacune de ses pièces sur l'échiquier en comptant les coups à venir. Il ne s'en vante pas, mais il est clair qu'il sait avec (ou contre) qui il joue et que son regard porte loin devant.

« Nous sommes un gros petit magasin, tente-il en guise d'exlication. Nous allons passer à travers le gigantisme. Tout le monde est arrivé. »

Mais tout le monde n'est peut-être pas encore parti. Black's Camping International- - a fermé ses magasins du chemin Queen Mary et de l'avenue Laurier ; L'Aventurier, rue Saint-Denis a été englouti par la nouvelle bannière Atmosphère (le groupe Forzani, propriétaire de Sports-Experts, qui investit le marché du plein air motorisé).

« On se reparle dans cinq ou six ans, lance Robert Brunet avec un mince sourire. On verra si Atmosphère est encore là. » Il ne craint pas pour les gros joueurs, mais il sait bien que « les opportunistes », comme il les appelle, iront voir ailleurs dès que le vent tournera.

Une grosse saison
D'aucuns estiment que l'arrivée de Mountain Equipment Coop à Montréal, il y a un an, a complètement changé la donne.

Brunet n'est pas entièrement de cet avis.

« C'est moins pire que ce à quoi je m'attendais, assure-t-il. L'effet tracteur est moins fort que prévu. Au Yéti, nous avons connu une méga-saison dans le domaine du ski de fond l'hiver dernier, le vélo se porte assez bien pour que nous lui consacrions un nouvel étage complet.

« MEC est là, mais elle était là bien avant, avec son catalogue de vente par la poste, et il nous fallait faire l'exercice. Nous savons que le prix n'est pas le premier critère du client, mais nous vendons à juste prix. MEC ne fitte pas tous les clients et nous savons ce qu'il nous reste.

« J'ai connu il y a sept ou huit ans des périodes plus difficiles que depuis l'arrivée de MEC. »

Bref, ça va plutôt bien pour Le Yéti. Dans ce magasin, comme dans les autres vrais établissements comme La Cordée ou MEC, le personnel est hautement compétent. On n'y est jamais pris avec un vendeur ou à un technicien qui ne sait pas de quoi il parle quand il vend un vélo ou des skis ou qu'il discute avec le client d'un problème relié à la pratique d'une activité.

« Notre défi, poursuit Robert Brunet, est de continuer à susciter la curiosité des clients, à les attirer dans un magasin où il est agréable de se trouver et où ils sont bien servis, où on s'occupe bien d'eux. »

Le Yéti est un des derniers magasins de plein air indépendants à avoir encore pignon sur rue. Un petit, donc. Pourtant, l'établissement est étonnamment grand. Ce qui ne veut pas dire qu'on y trouve tout. Le plein air non motorisé - que MEC se plaît à qualifier d'activités de grande nature pour éviter la confusion avec ceux qui incluent dans le plein air les tout-terrains, les munitions et les agrès de pêche - impose des choix.

Même MEC avec sa grande surface au Marché Central, fait des choix - par exemple, on y trouve des articles de cyclisme, mais pas de vélos.

« Un magasin, ce n'est pas un musée, lance Pierre Brunet. Il y a des magasins qui ont vécu 100 ans, qu'on n'aurait jamais imaginé voir disparaître comme Steinberg, Pascal, et qui sont morts. Chez nous, par exemple, le vélo est une force, mais au rayon de l'escalade, nous faisons plutôt du dépannage et nous n'avons pas de kayaks.

Un magasin urbain...
« Il y a plus de monde sur le même gâteau. Mais cela a des bons côtés, la concurrence brasse la cage. Il nous a fallu réfléchir aux produits que nous offrons, au travail de nos employés, à notre manière de traiter avec la clientèle. »

Le patron du Yéti a ses méthodes. Il suit l'actualité de près de même que les tendances et pratique à cet égard une sorte de prospective qui n'est pas étrangère à la démarche des investisseurs du monde des affaires.

« Je ne lis pas que les magazines de plein air, révèle-t-il, je lis aussi Elle Québec par exemple. Évidemment, je ne lis pas comme un lecteur ordinaire, je cherche à voir des choses, anticiper les tendances.

« Nous sonunes un magasin urbain, il faut tenir compte de ça et offrir des marques, de vêtements surtout, qu'on ne trouve pas dans les autres magasins de plein air. Je passe du temps à essayer de comprendre où vont les marchés. Je pense que nous sommes en avant de la vague. »

On sait que le vélo de montagne progresse plus doucement qu'avant, « mais il y a le créneau du free ride, pour s'amuser, qui est en forte croissance dans l'Ouest. Nous ne faisons pas que vendre des vélos de montagne, nous offrons des activités, des sorties avec notre personnel ».

Plus audacieux, ou plutôt davantage typique d'un calcul qui anticipe une tendance, le ski de haute route, pratiqué dans les Alpes, trouve un de ses rares créneaux ici au Yéti. Le Québec offre de bons terrains pour ce type de ski alpin à talons réglables : les Chics-Chocs, Sutton et son Round Top, les monts Groulx...

Diplômé en géomorphologie de l'Université de Montréal, « parce que j'aimais être dehors », Robert Brunet a d'abord travaillé chez Arlington Sports, un (autre) établissement aujourd'hui disparu, pour monter des raquettes et des vélos. Il a fait du vélo, du canot-camping et du ski, alpin comme de fond.

Attiré par les défis, il n'a pas craint de faire des essais, il a été camionneur, il a enseigné la musique au secondaire. Très tôt, il avait décidé de monter sa propre entreprise. Il a ouvert Le Yéti en 1986 en face du restaurant La Cucina, parce qu'il sentait que le Lux - cet inclassable complexe magazine-café ouvert 24 heures par jour et malheureusement disparu depuis - était en train,de changer le boulevard Saint-Laurent.

Âgé de 44 ans, père de deux enfants - une fille de 11 ans et un garçon de 13 ans qui sont libres de pratiquer les activités de plein air ou les sports qu'ils veulent mais qui doivent en faire - Robert Brunet s'adonne à la voile et participe à des régates chaque semaine sur le lac des Deux-Montagnes.

Il peut se permettre de s'accorder des temps libres pour faire ces choses. « Je peux me libérer et aussi accommoder mes employés. Nos employés pratiquent le plein air et participent à des aventures. C'est l'essence de notre business. »


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Guy Maguire, webmestre, SVPsports@sympatico.ca
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