Hommage à Susan Saros Septembre 27, 2002

Le 18 juillet dernier, à 74 ans, décédait Susan Saros, une des pionnières de la Gestalt thérapie au Québec. Née en 1927, d'une famille juive orthodoxe, à Komaron, une petite ville en Tchéchoslovaquie maintenant partie de l'Hongrie, Susan Saros a fui les Nazis après la mort de sa mère et l'envoie de son père dans un camp de concentration. À la fin de la deuxième guerre mondiale, Susan avait perdu 17 membres de sa parenté. En 1951, en compagnie de son premier mari, Ricky, et de leur fille, Jeannie, Susan immigre à Chicago. En 1958, elle se remarie avec Cass, son compagnon des derniers 45 ans de sa vie. Le couple a deux enfants, Lynn et Niki. Plusieurs années plus tard, l'aînée et la cadette des trois filles deviendront psychothérapeute à leur tour.

Malgré les impacts indéniables de l'Holocauste, Susan a continué de vivre chaque jour avec détermination et conviction. Même si les jours de festivités juifs ont gardé leur caractère de réflexion et de deuil, Susan a su transmettre à ses enfants et petits-enfants l'espoir d'un futur meilleur, ainsi que les souvenirs d'une histoire de vie remplie de rebondissements.

C'est à l'age de 42 ans que Susan est retournée aux études universitaires pour compléter le baccalauréat puis la maîtrise en counselling à la New York State University, ce que lui a demandé plusieurs allers-retours entre Montréal et Plattsburgh, à chaque semaine pendant cette période-là.

En 1972-73, Susan Saros fondait le Gestalt Institute of Québec avec Don Horne, le premier centre gestaltiste québecois. Plus tard Susan a ouvert le Gestalt Training and Counselling Center oû de nombreux gestaltistes ont reçu leur formation. Au cours des trente dernières années, Susan a accompagné, supervisé et formé un nombre important de personnes qui gardent en eux le souvenir de sa vivacité, de sa présence intense, chaleureuse et dynamique. Ils se rappelleront aussi de son talent pour aider à surmonter ce qui semblait insurmontable, sa perspicacité, la franchise de ses opinions, son sourire, sa discrétion, la richesse de son expérience de vie. Dans la Gestalt, Susan Saros a trouvé une position existentielle et une passion qui l'ont animée au fil des années. Avec cette passion, elle a dirigé des ateliers de formation auprès de centaines de personnes. Elle a été psychothérapeute et coordinatrice des programmes au Centre des services sociaux Ville-Marie (Montréal). Cette passion était aussi présente dans chaque instant de sa vie.

Son conjoint, ses filles e ses petits-enfants ont été surpris et terriblement peinés par le départ inattendu d'une personne dont la force, le sens de l'humour, la sagesse et l'intelligence faisaient de chaque jour un moment spécial et unique. Sa famille se rappelle que Susan répétait souvent "those who are not bus bing bon are bus ding" (ceux qui ne sont pas occupés à naître sont occupés à mourir"), ce qui la représentait bien. Ils citent aussi un vieux proverbe amérindien en sa mémoire: "When you were bon, you cried and the world rejoiced.. Live your life so that when you die, the world cries and you rejoice" ("Quand tu es née tu as crié et le monde s'est réjoui. Vis ta vie de manière à ce que à ta mort le monde pleure et tu te réjouisses"). Et ils ajoutent :"May our mother's neshama rejoice for the life she led and the people she touched. And may she know that at this moment, for so many, the world is truly crying" (Puisse l'âme de notre mère se réjouir de la vie qu'elle a menée et des personnes qu'elle a touchées. Et puisse-t-elle savoir, qu'en ce moment, nombreux sont ceux et celles qui pleurent son départ").

L'Association Québécoise de Gestalt souhait exprimer ses plus chaleureuse sympathies à sa famille ainsi qu'à tous ceux et celles qui ont travaillé avec cette collègue remarquable. Nous la remercions de ses contributions à la communauté gestaltiste québécoise et du soutien donné a ceux et celles qu'elle a aidés. Nous gardons Susan Saros dans notre mémoire et lui souhait d'avoir trouvé la paix "là et pour toujours", oû qu'elle se trouve maintenant.

Jorge Vasco

President de l'Association Québécoise de Gestalt

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Il n'est pas facile pour moi de rendre hommage à Susan. Je crois qu'elle aimait bien qu'on l'aime... mais elle n'aimait pas qu'on le lui dise. Susan a été ma première formatrice, mon premier superviseur. C'est Jean Gagnon qui m'a plus ou moins traîné chez elle dans les années 70.

Je me souviens bien de mon entrevue de sélection. De toute ma vie je n'avais jamais rencontre quelqu'un d'aussi déconcertant et d'aussi irrévérencieux. Moi, qui arrivais, avec beaucoup de mal, à me donner l'apparence d'un gars bien élevé, poli à force de rétroflexion et de dissimulation, j'étais redevenu le petit gars de la rue Ontario qui veux se battre avec tout le monde. Elle savait, elle réveillait quelque chose d'enfoui en moi, et ce quelque chose est resté depuis...

Les souvenirs que j,ai de Susan sont très chauds dans mon coeur. Je me souviens par exemple de lui avoir référé en thérapie, un ami très porté sur intellect, sur les choses réflexives. Quand il m'a raconté sa première séance, il était, lui aussi, passablement déconcerté. Il avait commencé par un long discours autour du fait qu'il n'était pas certain, de pouvoir travailler en anglais, qu'il n'avait pas le vocabulaire pour le faire. Susan lui avait répondu, dans son accent inimitable: « Sweetheart , you have too much vocabulary. »... À mon tour, je ne veux pas parler trop longtemps...

Susan avait deux façons de réveiller ceux qui s'endormaient. La première c'était : « You have more courage than brains ». L'autre, « You have more brains than courage ». Et on savait jamais lequel des reproches était le pire... on essayait de se situer à peu près dans un créneau qui ne nous mérite ni l'un ni l'autre.

Susan, vous l'avez vue dans le vidéo, était une personne très typée, une personne qui marquait ceux qu'elle touchait, Quant à moi, je peux dire aujourd'hui qu'elle m'a en quelque sorte libéré de moi-même et aussi de l'envie d'être comme elle, C'est sûrement le plus beau cadeau que l'on puisse faire à ceux que nous touchons.

I want to end this in English , because this is how she and I spoke. I imagine she's in here somewhere, thinking: Don't get mushy now. She hated mushiness. So Susan, I want to say to you, I don't feel very brainy tonight, not much courage either. I have moved on. I just feel a little sad that you are gone, and happy that you were in my life. God bless you.

Gilles Déslisle Directeur du centre gestaltiste Le Reflet

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Au printemps 1988 j'ai téléphoné au Centre de Consultation et de Formation de Gestalt. Quand j'ai entendu le coût du programme j'ai exprimé mon étonnement. La voix à l'autre bout du fil disait : « Tout ce qui est valable coût cher, rappellez-moi quand vous êtes prêt ».

Six mois plus tard, j'ai monté l`escalier menant à 5147 Clanranald. Des chiens jappaient, puis une voix a crépitée : ``Allo``! J`ai passé la porte pour trouver une petite femme assise dans un fauteuil en cuir, habillé dans un complet en soie, fumant une cigarette, avec les cheveux teints, la peau bronzé, portant des lunettes de soleil. « Allô » a-t-elle répété. Tout à coup j`avais chaud.

Je me suis assis. Quelques secondes plus tard, une main tenant une tasse fumante glissait à travers l'entrebâillement de la porte. Ce sera dix ans plus tard que je verrai le visage appartenant à cette main : c`était celle de Cass, son mari bien-aimé.

Susan Saros était une thérapeute résolument imparfaite, une fumeuse impertinente, une adoratrice insatiable du soleil, une joueuse invétérée de carte, chevaux et casino. Elle savait que la plupart de nos choix étaient circonscrits par la chance. Elle, qui l'a échappé belle des camps de concentration Nazi.

Elle trouvait l`obsession du contrôle drôle sinon, absurde. Elle considérait l'univers chaotique, mais insistait pour que nous nous engagions dans le petit espace sous notre province. Pour elle, c'était à nous d'investir dans nos propres vies afin de rendre notre séjour valable. ``Il n`y a pas assez du temps pour faire toutes les erreurs nécessaires dans une vie``, disait-elle.

Chacun avait son seuil de vérité tolérable. Elle valorisait le déni. Elle le préférait à l`anxiété constante.

Elle n`a jamais prétendu être une sainte et elle était horrifiée par les illusions Nouvel Age exigeant une partenaire parfaite, un bonheur éternel ou même une vie heureuse. Le bonheur était un état parmi des milliers d`autres. Mais une vie riche, oui.

Elle avertissait ses étudiants que de vouloir devenir un thérapeute parfait sera la pire erreur qui soit, une recette qui blessera de nouveau nos clients et assura qu`au première erreur mineure, le client débarquera.

Elle ne poussait jamais ses clients à bouger avant qu`ils soient prêts. Elle mettait au défi les impulsifs pour leur démontrer qu`ils n`avaient pas la stabilité interne requise pour passer à l`acte désiré. Elle croyait qu`un couple en chicane était plus fort qu`un individu isolé. Puis elle ne « chantait » jamais de berceuses aux clients pris avec une histoire d`abus, une agression ou d`une perte brutale. Quand les gens dans le groupe voulait rassurer une victime d'abus en disant « que tout ira bien », Susan intervenait immédiatement pour dire : ``Vous serez marqué pour le reste de votre vie, mais ce que vous faites avec, … dépendra de vous-même``.

Elle était une thérapeute sensée. Elle nous disait souvent : « Sois simple, idiot, c`est le secret, mais ne sous-estime jamais l`intelligence de tes clients ». Pour elle la thérapie était un art, non une science. Elle était plus consternée par des clients sans motivation qu`un thérapeute inexpérimenté ou dans sa propre bulle.

Elle admirait ses étudiants qui pondaient des charpentes théoriques, mais me demandait souvent : « Pourquoi font-ils cela ? Au bout du compte, tout revient à la présence, pourquoi pas commencer tout de suite ? »

Dans le groupe de formation, elle protégeait les plus vulnérables. Je ne l`ai jamais vu réprimander un client-étudiant pour avoir menti, volé ou triché car elle était consciente de la faiblesse humaine. Sa force résidait dans sa capacité à voir dans tout acte pervers l'étonnante expression d`un sain désir cherchant l`accomplissement.

Pour Susan ce qui distingue un thérapeute, est son authenticité; ce qui distingue la Gestalt, est sa sincérité. Elle pouvait être irritée, ennuyée, fâchée, jalouse, mais elle s`intéressait toujours à son client.

Pour elle la Gestalt était un acte professionnel, son gagne pain, une fenêtre à l`autre, un moment de répit de son propre chagrin, une action sociale, une source de fascination, sa prière et une bénédiction, mais avant tout un acte d`amour. « Si vous ne pouvez pas aimer vos clients, referez-les à quelqu`un d`autre », nous disait-elle.

Il y a trois ans ce mois-ci, une de ses étudiantes était mourante aux soins intensifs. Quand elle retournait à sa chambre il y avait un message téléphonique de Susan. « Je rode dans les rues de Montréal » elle disait avec désarroi. « Je te cherche. Je ne te vois plus. Où es-tu? » Pendant cinq mois Susan l`a téléphoné pour exprimer son affection et déjouer son pessimisme enraciné. ``Si j`ai survécu, m`a-t-elle dit, c`est parce que cette dose quotidienne de soutien et de confrontation m`adonné le courage de combattre la mort``.

Son œuvre se résume dans l`aphorisme de sa propre tradition millénaire :

``Si ce n`est pas moi, qui alors? Si c`est seulement moi, quoi donc alors? Si ce n`est pas maintenant, quand alors? ``

Alehah HaShalom. (Qu`elle repose en paix.)

Victor Levant

In the spring of 1988 I phoned the Gestalt Training and Counselling Centre to inquire their training program. When I heard the cost of the program I expressed my astonishment. The voice on the other end of the line simply said: "Anything worthwhile costs you dear; call me when you're ready", and hung up.

Six months later I was walking up the second floor stairway at 5147 Clanranald. Dogs barked and a voice crackled "Hello" through the open door. Sitting in a leather chair was a small sun-tanned woman, robed in silk, wearing sunglasses, her hair coiffed and smoking a cigarette. "Hello", she said again her sunglasses pointed up to my face. Suddenly I felt warm all over.

I sat down. A few minutes later, a steaming cup slipped through the crack in the door. It would be ten years before I saw the face belonging to the hand that held it; it was her beloved husband's, Cass.

Susan was a resolutely imperfect therapist, a fanatic sun worshipper, a chain smoker, and inveterate gambler playing cards, horses, and the casino. She knew that most of our choices were pure the product of pure luck and circumstance. Her own escape from the jaws of the Nazi concentration camps was evidence enough.

She laughed heartily at control freaks; she found them touching and absurd. Yet she insisted we commit to the little space we can influence. She considered the universe chaotic yet demanded we invest our energies to make our lives meaningful.

There's only so much reality anyone can take. Everybody has his or her own threshold for truth. Susan never underestimated denial. She preferred it in fact to constant anxiety.

She never pretended to a saint. "There isn't enough time in one life to make all the mistakes necessary to get it right", she would say. She was horrified with New Age illusions of perfect partners or even a happy life. A rich life, yes. But happiness for her was but one of a thousand states.

She warned her students not to try to be a perfect therapist. It was a recipe that would end up wounding the client anew and ensure their exit from therapy at our slightest mistake.

She never pushed a client to make a move they weren't ready for. But she did challenged impulsive clients in order to demonstrate they didn't have the inner stability required to make the change they desired. She believed a couple in conflict was stronger than any isolated individual. And she never sang lullabies to those who'd were abused, raped or suffering brutal loss. When group members would naively console a victim of abuse promising them all would be well, Susan would weigh in: "You will be marked by this all your life, but what you do with it, will depend on you".

She was as she put it, a kitchen therapist. How many times did she tell us: "KISS, Keep it simple stupid... but never underestimate the intelligence of your clients". For her therapy was an art, not a science.

She had great admiration for her students who went on to build theoretical frameworks, but she often asked me. "What's the point? In the end it will come down to being in the present? Why not begin with that now"? She was troubled more by under-motivated patients, than an inexperienced or moody therapist.

In group therapy, her attention went to the most vulnerable. She protected them. I never saw her admonish a client/student for lying, cheating or stealing. She understood human weakness. Her strength was to see in any perverse behaviour the startling expression of a vital human need seeking fulfilment. She spoke to that need.

For her, what distinguished a therapist was his or her authenticity; what distinguished Gestalt therapy was its sincerity. She could be irritated, bored, angry, envious, or even jealous, but her clients always touched her.

For Susan therapy was a professional act, a means to earn a living, a form of social action, a respite from her own grief, a source of fascination, a prayer and a blessing, and above all, an act of love. "If you cannot love your client", she would tell us, "refer them to someone else".

Three years ago one of her students lay dying in intensive care. When he returned a few days later to his room he found a telephone message from Susan. "I'm wandering through the streets of Montreal", she said distraughtly, "I'm looking for you but I can't see you. I can't find you. Where are you?" For the next 5 months she phoned him every day to give her affection and challenge his ingrained pessimism. "If I survived", he told me, "it was because her daily dose of support and confrontation gave me the courage to fight for my life".

Her work can be summarized by an aphorism from her own five thousand year tradition:

"If not me, who then? If only me, what then? If not now, when?"

Alehah HaShalom (May she rest in peace.)

Victor Levant

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Before training as a Gestalt therapist, Susan ran a dance school.

She was a most graceful dancer. She had fully integrated the basic steps, and could, and most certainly did, create her own dance.

She lived and taught Gestalt in this way: in being creatively loyal to the fundamentals of the basic theory.

Being close to Susan was like doing a dance in which there were no pre-determined steps. Yet, we were sure to be both held and moved, at the same time. Each and every time...

Dancing is very Gestalt, as it requires being aware, being in touch with oneself, with one's partner, and with the environment. It demands a focus in the present moment.

The dancer is guided by the music.

Susan taught us to be guided by each unique situation; she mastered the art of looking at the same person with what she called a "fresh eye". Each and every time.

Susan was a Holocaust survivor. She took nothing in life for granted.

She used to say "the only thing which we cannot survive is our own death", and that "humour made the unbearable, bearable"...

It was one of those simple yet not simplistic truths; obvious yet easy to miss; one of those basic and profound statements which she had a remarkable talent for expressing, always

in context, as only she could; with her thick Hungarian accent, her radiantly captivating eyes, and her expressively talking body.

Her life of thriving, and not merely surviving, stands as an example of the possible in the face of what often seems so impossible...and as a challenge to us all, in the present.

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Thanks Susan

Angela Idelson