Justice globale et démocratisation selon John Rawls


 

 

Nythamar de Oliveira

Université Catholique

Porto Alegre, Brésil

 

 

        Depuis le début des années soixante-dix, la mondialisation s’est avéré un phénomène aussi complexe que polémique, non seulement dans son sens économique et financier originaire, mais encore dans les domaines sociaux et culturels des rapports internationaux. Comme l’a bien signalé le Carnegie Council Program on Justice and Global Economy, “globalization has become a buzzword for the overarching economic, political, social, and cultural trends of the late twentieth century. Considered from the perspective of social and economic justice, however, globalization has had a mixed record of success, at best”[1]. Les avantages incertains – ou plutôt, comme l’on dit en anglais, les “mixed blessings” – de la mondialisation sont en effet devenus un paradigme de l’ambiguïté, comme l’attestent des récentes rencontres internationales comme le Sommet des Amériques au Québec et le Forum Social Mondial à Porto Alegre (Brésil), au seuil de ce nouveau siècle.  On ne saurait ébaucher la dimension normative de la mondialisation sans évoquer une idée directrice de justice mondiale ou globale, à la suite de la théorie de la justice de John Rawls. Puisque je ne cherche pas ici à réexaminer la théorie rawlsienne du droit des peuples ou d’une justice globale, je me bornerai à en tracer une esquisse, appliquée au cadre de la « transition vers la démocratie » au Brésil. Si l’on part de ce qu’on appelle une « réception brésilienne du libéralisme » – particulièrement, des conceptions du libéralisme politique et d’une démocratie délibérativo-participative, on peut proposer une idée de raison publique qui répond, à la fois, aux exigences d’un ethos autonome et délibératif pour l’action locale et à l’idéal d’une conception égalitariste universalisable de justice et de liberté. Mon propos (qui est aussi une hypothèse de travail) va consister à montrer dans quelle mesure les défis de la justice globale peuvent être mis en œuvre par l’exécutabilité de la démocratisation effective des institutions sociales, économiques et politiques dans des sociétés émergentes (en particulier le Brésil), au niveau d’une cristallisation de la dimension normative de la mondialisation, au travers de revendications des droits humains et de la participation chaque fois plus inclusive de citoyens dans les processus décisoires qui consolident la démocratie. Je crois, en effet, qu’il serait possible de montrer dans quel sens la société civile peut considérer une insertion globale à partir de pratiques locales, par l’intermédiaire de mouvements sociaux, des ONG et de l’exercice de la citoyenneté, sans se soumettre aux intérêts exclusivement économiques de groupes dominants (G-7, FMI, Bird, OMC) et sans se confiner dans l’isolationnisme envers des échanges déjà existants, sans, donc, se fermer aux possibles ouvertures de nouveaux rapports internationaux (Mercosur, ALCA, OEA, ONU).

        Tout d’abord, il faut situer ce propos dans le vaste champ interdisciplinaire de la philosophie sociale, où doivent converger non seulement les réflexions philosophiques autour de l’éthique et de la justification de la sociabilité et des institutions politiques, mais encore les résultats de recherches empiriques et ses respectives articulations théoriques en sociologie et dans les sciences politiques. La tension entre l’éthique et la politique restera toujours insoluble dans la mesure où la philosophie politique elle-même remet continuellement en question ce qui est tout simplement donné dans les pratiques empiriques concrètes, par la problématisation permanente de la theoria et de la praxis. En fait, il s’agit tout d’abord de problématiser le “fait” moral dans les études sociales, car la normativité ne saurait point être constatée, comme s’il s’agissait d’une donnée mesurable. Une solution réside, toutefois, dans la propre spécificité théorique de la philosophie politique, irréductible à une science politique et à tout principe métaphysique de fondation. C’est précisément dans ce sens d’une articulation entre une théorie idéale et une théorie non-idéale que des auteurs comme Rawls peuvent nous aider à mieux comprendre les défis normatifs issus du processus complexe de mondialisation, dans la mesure même où ils dépassent les matrices économiques et géopolitiques d’un nouvel ordre mondial. Dans ses travaux fructueux en théorie politique, au cours des années soixante-dix, quatre-vingt et quatre-vingt-dix, Rawls a contribué de façon décisive à corroborer une théorie de la démocratie capable de répondre à de tels défis, rendant la mondialisation acceptable, voire tenable dans la mesure où elle coïncide avec la démocratisation. Ainsi, comme la démocratie est un phénomène politique relevant de la civilisation grecque, la mondialisation doit-elle être entendue à la lumière de la modernisation et de la rationalisation inhérentes aux processus de la civilisation occidentale, comme l’ont déjà montré Braudel, Wallerstein, Held et Ianni [2]. Rawls, aussi bien que Habermas, partent de présupposés pragmatiques quant à la solidification de la démocratie et des processus de démocratisation dans les sociétés occidentales: après plusieurs siècles de conflits et de luttes pour la reconnaissance dans le sillage de toute la série d’impérialismes et de colonialismes que nous avons connue, le monde depuis la guerre a pu enfin examiner la possibilité d’une coexistence pacifique, au fur et à la mesure qu’un nombre toujours plus grand de nations adhérait aux règles du jeu démocratique. Bien que nous soyons encore loin d’avoir réalisé le rêve illuministe d’une paix perpétuelle – anticipé par l’Abbé de St. Pierre, Jean-Jacques Rousseau et Emmanuel Kant – on a assisté au cours du dernier siècle à la création de la Ligue des Nations (1919), de l’Organisation des Nations Unies (1945), et des institutions économiques corrélatives du développement global lors de la conférence de Bretton Woods (1944), notamment le FMI, la Banque Mondiale et l’Organisation Mondiale du Commerce – successeur du GATT, dans un effort pour sauvegarder la Déclaration Universelle des Droits Humains et l’étendre à tous les peuples.

        Lorsque A Theory of Justice parut à Harvard en 1971, il y avait un consensus tacite parmi les théoriciens de la philosophie politique, dans la mesure où aucun ouvrage important dans ce domaine n’avait paru depuis le début de la soi-disant Guerre Froide.[3] Certes on peut signaler des contributions significatives dans la première moitié du Xxème siècle, de la part de néomarxistes comme Antonio Gramsci, Georg Lukács et des penseurs de la première génération de l’école de Francfort (Theodor W. Adorno, Max Horkheimer, Herbert Marcuse, Walter Benjamin), ainsi que les travaux isolés de Carl Schmitt, Léo Strauss et Hannah Arendt. Cependant, avec la publication du chef-d’œuvre de Rawls en 1971, on assiste à une véritable renaissance du libéralisme politique et du contractualisme, dont l’origine remonte à des auteurs classiques comme Hobbes, Locke, Rousseau et Kant, mais surtout on assiste à l’essor d’un débat entre rationalistes et contextualistes, universalistes et particularistes, libéraux et communautaristes, au-delà de la polarisation idéologique entre capitalistes et socialistes. En conséquence, la Théorie de la justice doit être lue en tant qu’oeuvre fructueuse en de multiples sens, mais ce qui importe surtout qu’elle a suscité des discussions autour des problèmes classiques d’éthique et de philosophie politique; par suite de leur reformulation, ils ont déclenché des réflexions et des problématiques originales au sujet de la nature et de la justification des institutions sociales, politiques et économiques – cela est vrai en particulier pour celles qui interrogent la viabilité du soi-disant état démocratique de droit. Comme le disait Rawls dans une interview de 1998 (à la revue catholique libérale Commonwealth), le problème central de sa réflexion éthico-politique, depuis la Théorie de la justice jusqu’à son Libéralisme politique (1993) et Le droit des peuples (1999), a toujours été celui d’articuler des arguments raisonnables en faveur de la démocratie constitutionnelle, par l’intermédiaire d’une idée de la raison publique. La conception d’une théorie de la justice comme équité (justice as fairness) ne fut que le jalon initial pour un défi normatif qui se poursuit de nos jours en plein cœur de la mondialisation. Il s’agit de remettre en question le sens propre de la pensée éthico-politique: pourquoi, en fin de compte, faut-il défendre la démocratie aujourd’hui – qu’elle soit la meilleure forme de régime ou gouvernement, ou qu’elle soit la raison d’être de la sociabilité? Le livre de Rawls fut d’emblée identifié comme un manifeste de ce qu’on pourrait appeler « l’État de bien-être social » (welfare state), peut-être à cause de la dimension égalitariste de son libéralisme et de l’idée de justice distributive inhérente à sa théorie. En fait, Rawls recherchait alors une voie de réconciliation entre les soi-disant « libertés des anciens et des modernes ». Quoique son articulation originaire d’une théorie de la justice comme équité aie été révisée et remaniée au cours de son élaboration du libéralisme politique, Rawls est resté fidèle à son dessein programmatique, qui était de justifier la sociabilité par le moyen d’un modèle procédural, surtout pour répondre aux questions fondamentales de la tolérance politique, à savoir: Comment tolérer l’intolérant? Comment réconcilier des intérêts incompatibles grâce à une conception publique du bien commun? (TJ §§ 34, 35). Cette dernière question demeure, du reste, la problématique la plus cruciale du contractualisme classique, lorsqu’il s’agit de justifier le passage d’un état hypothétique de nature à un état de société civile par le moyen du contrat social. Cependant, il serait erroné, à mon avis, de réduire la théorie rawlsienne de la justice à un contractualisme amendé ou à un néocontractualisme. Le propos de Rawls est, en effet, moins modeste qu’on l’imagine, dans la mesure où il soutient qu’il n’y a pas de voie pour parvenir à une conception normative de la justice que ne soit pas procédurale. Sa problématisation du contractualisme au moyen de l’idée d’une « position originelle » (original position) envisage différents niveaux d’articulation entre l’éthique et la philosophie politique, reprenant des questions d’anthropologie philosophique, d’économie politique, de théories du langage, d’épistémologie morale, de sociologie politique et de psychologie morale. Il s’agit donc d’une interlocution productive impliquant plusieurs auteurs et les multiples courants de l’éthique et de la philosophie politique. Bref, la pensée politique de Rawls a la prétention de soumettre un plaidoyer rationnel en faveur de la démocratie libérale en fonction d’une raison publique; il espère y arriver grâce à des arguments et des critères raisonnables qui peuvent être mis en œuvre publiquement, afin d’organiser la distribution des droits et des devoirs d’une société de plus en plus juste. En d’autres termes, nos sociétés démocratiques s’approchent d’une société idéalement juste (well-ordered society) dans la mesure où leurs institutions se conforment à des principes fondamentaux, qui seraient choisis par les parties contractantes sous un voile d’ignorance, à savoir:

Principe I: « chaque personne doit avoir un droit égal à la plus grande liberté fondamentale, avec une liberté semblable pour tous » (principe d’égale liberté);

Principe II: « les inégalités sociales et économiques doivent être arrangées de telles sorte qu’elles soient: (a) liées à des emplois et à des postes, accessibles à tous, dans des conditions d'égalité impartiale des chances (principe d’égalité des chances) et (b) pour le plus grand profit des plus désavantagés » (principe de différence). (TJ § 46). 

        La « position originelle » de Rawls doit être ainsi conçue comme un dispositif procédural de représentation capable de mettre en œuvre un processus équitable, le seul qui permettrait de réaliser une idée de justice sociale. Il s’agit donc d’une justice procédurale pure et non parfaite – puisqu’elle ne présuppose pas une reconnaissance de privilèges, de préférences ou autres avantages particuliers. Le modèle procédural de la théorie rawlsienne se veut à la fois conséquentialiste et égalitariste, car la procédure s’applique aux structures d’une société conçue comme entreprise de coopération en vue d’avantages mutuels. La conception rawlsienne de la “position originelle” peut être considérée comme point de départ de sa théorie de la justice (TJ § 4) dans son ensemble (justice comme équité), précisément lorsqu’il s’agit de la résoudre dans les termes d’une théorie du choix rationnel (rational choice theory). En effet, c’est dans ce même contexte conceptuel qu’on doit entendre sa conception de l’équilibre réflexif, puisque Rawls, ajustant de manière interactive la théorie idéale à la théorie non-idéale, la rapproche de la justification de principes d’inférence de Nelson Goodman et qu’il se démarque de la neutralité impartiale soutenue par Thomas Nagel. [4] L’objectivité en question, d’après Rawls, vient ici à son aide pour se débarrasser des apories dans lesquelles s’empêtrent toutes les positions extrêmes – les  relativismes et les objectivismes de tout genre. C’est d’ailleurs dans ce sens que Rawls reconnaît dans le constructivisme kantien une troisième voie entre des conceptions téléologiques de la morale (éthiques des vertus et utilitarismes) et les conceptions intuitionnistes. Il s’agit avant tout de bâtir un ensemble de règles de procédure capables d’évaluer d’une manière critique la légitimité de normes et institutions sociales au moyen d’une conception normative de la raison pratique. [5] En outre, afin d’explorer les arguments centraux d’une telle version de constructivisme, il s’agit de savoir si celui-ci peut tenir la promesse d’élucidation des fondements normatifs de la critique sociale, dont la justification est dans le dernier ressort réflexive ou récurrente, à la limite même de l’accord ultime entre des personnes égales et morales.

     Tout le programme éthico-politique exposé dans sa Théorie de la justice de 1971 fut continuellement révisé par l’auteur, tout au long de trois décennies, comme l’attestent ses Collected Papers (1999), les Lectures on the History of Moral Philosophy (2000) et plus récemment son Restatement (2001).[6] Nous pouvons soulever trois grands problèmes qui sont à l’origine de sa théorie de la justice, surtout en ce qui concerne le développement des thèses centrales de sa trilogie ( Théorie de la justice, Libéralisme politique, Le droit des peuples), à savoir:


i. Le problème du procéduralisme, par contraste avec des modèles téléologiques et utilitaristes en éthique et philosophie politique;

ii. Le problème de l’universalisme, en opposition aux modèles communautaristes

ou particularistes;

iii. Le problème de l’égalitarisme, par contraste à l’individualisme possessif.

 

        i. On peut situer dans le cadre du premier problème toutes les questions qui concernent les modèles de l’éthique en général, par exemple, les modèles eudémonistes, l’éthique des vertus (§§ 30, 67, 83), les versions de l’utilitarisme classique, l’utilitarisme de règle et l’utilitarisme de l’acte (§§ 5, 30, 50), l’éthique déontologique et l’éthique du devoir (§§ 6, 40), la téléologie (§§ 5, 7, 50, 85), l’hédonisme (§§ 5, 84) et le perfectionnisme (§ 50). Ainsi, la question du contrat social, et toute la question de savoir s’il faut classer la théorie rawlsienne comme une forme de néocontractualisme (§§ 3, 6, 85) seraient, semble-t-il, mieux situées dans ce vaste champ thématique, où se configurent encore le problème du constructivisme (§§ 14, 47) et les questions corrélatives de l’intuitionnisme, du sophisme naturaliste, du réalisme et de l’anti-réalisme en morale (§§ 7, 39, 87), qui apparaissent dans ses écrits des années quatre-vingt aboutissant au Libéralisme politique. Sans doute, une rubrique sous laquelle on pourrait énoncer tout ce premier ensemble de problèmes serait celle du § 40 de la Théorie de la justice, « L’interprétation kantienne de la justice comme équité » (The Kantian interpretation of justice as fairness). La prétention de la théorie rawlsienne est, en effet, d’incorporer toutes les revendications raisonnables de modèles déjà développés, afin de rendre compte de la tension irrésolue entre l’égoïsme et l’altruisme (§§ 21, 30), comme en témoigne les modèles énumérés au § 21 de la Théorie. Du reste, la dimension déontologique de la théorie rawlsienne n’a jamais été abandonnée mais plutôt renforcée dans ses écrits tardifs.

     ii. En second lieu, il s’agit d’opposer un universalisme d’inspiration kantienne (§§ 23, 29) à un communautarisme d’inspiration hégélienne (§§ 41-43). Le communautarisme de Rawls a provoqué des critiques de Rawls venant d’auteurs aussi variés que Alasdair MacIntyre, Charles Taylor, Michael Sandel et Michael Walzer. Alors que des auteurs comme Amy Gutmann et Will Kymlicka ont prouvé les limitations de la plupart de ces critiques du communautarisme, dans la mesure où celles-ci présupposent des valeurs libérales de modèles universalistes, Otfried Höffe a montré que le rapprochement d’un tel courant avec un forme de néo-aristotélisme est problématique et même erroné ; quant à Jürgen Habermas, il a combattu de façon fort éloquente l’identification subtile du communautarisme avec un républicanisme d’inspiration  rousseauiste.[7]  Tenant compte de ces deux conditions, on peut essayer de formuler une définition du communautarisme de la manière suivante : il s’agit d’un remaniement théorico-politique de l’idéal républicain de la communauté en tant que fondement, principe ou justification rationnelle de la sociabilité et de la justice, dans le but de refuser explicitement l’idéal de l’autonomie individuelle. Ainsi, tandis que le contrat social et le principe de l’universalisabilité servent à fonder ou justifier les modèles universalistes libéraux (néo-contractualistes), l’idéal de la communauté et ses idées corrélatives (tradition, ethos, langue, histoire, identité culturelle, ethnique et religieuse) sont convoqués par les communautaristes en ayant recours, non plus à l’idéal révolutionnaire marxiste, mais davantage à la conception hégélienne de communauté (Gemeinde, Gemeinschaft), appliquée à l’intérieur de tous les rapports sociaux et institutions, de manière à intégrer les sphères privées et publiques (famille, société civile-bourgeoise, État). Bien que le terme “communauté” ne soit pas précis, tant est riche sa polysémie – un sociologue américain distingue pas moins de 94 sens différents pour le seul mot “community”, on peut néanmoins indiquer cinq caractéristiques fondamentales pour délimiter la spécificité théorico-politique du communautarisme [8]:

        1. Toute communauté présuppose une idée de bien commun, soit au travers d’intérêts ou de fins communs, soit au travers de valeurs ou qualités communes, capables d’assurer la cohésion et l’intégration d’un groupe social quelconque – des associations volontaires, des communautés, des corporations, des états et des ordres.

        2. Les idéaux libéraux de liberté et égalité sous-entendent une corrélation fondamentale avec la fraternité, dans la mesure où la solidarité et l’intersubjectivité sont présupposées dans le sens originaire d’appartenance (membership, Mitgliedschaft) inhérent à tout groupe social.

        3. Suivant une critique fameuse adressée par Michael Sandel à la conception rawlsienne du self, qui consiste à distinguer le « moi » (i.e., le sujet moral et l’agent social) de ses fins -lesquelles, d’après le modèle déontologique de Rawls, seraient toujours données a posteriori (“the self is prior to the ends which are affirmed by it,” TJ p. 560) -, on retombe inévitablement dans l’une des deux situations antithétiques: celle d’un sujet radicalement situé (“a radically situated subject”) ou celle d’un sujet radicalement désincarné (“a radically disembodied subject”). Sandel et MacIntyre soutiennent, à l’encontre de la soi-disant neutralité du libéralisme déontologique, que notre identité (sociale, culturelle, ethnique) est en fait déterminée par des fins que n’ont pas été choisies par des individus isolés ou désintéressés, mais plutôt découvertes et dévoilées par notre insertion dans un contexte social déterminé – d’où la formule lapidaire du “embedded self”, le moi intégré, inséré, situé, érigée contre le “unencumbered self” (le moi non-encombré, isolé).

        4. Les sentiments moraux ne peuvent être suffisamment exprimés en termes individuels, ce qui rendrait impossible l’articulation déontologique entre une justification transcendantale ou procédurale et une application morale empirique. Taylor émet des objections à l’encontre de l’individualisme méthodologique des modèles contractualistes libéraux, précisément à cause du fait qu’il négligent des pratiques et des croyances d’arrière-fond (background beliefs and practices), celles-là même qui constituent une normativité tacite à l’origine des sentiments moraux de la vie quotidienne et du sens commun.

        5. Une médiation est donc nécessaire pour expliquer les corrélations entre les individus et la société, ainsi que l’intersubjectivité de tout rapport humain et de l’individuation propre par la socialisation. C’est seulement par le moyen de la Sittlichkeit que s’opère le passage de l’idéal universalisable d’une moralité particulière à la réalisation effective de la sociabilité, réunissant droit et morale, éthique et politique.

 

     iii. Finalement, dans le troisième champ de problèmes, nous retrouvons la question de l’égalitarisme, découlant de l’articulation du principe de l’équité (fairness) (TJ §§ 18, 58) et du principe de la différence (§§ 13, 80), non seulement dans l’idée d’égalité équitable de chances mais encore dans le premier principe de la justice lui-même, celui de l’égale liberté. Ma thèse centrale est que le libéralisme politique ne peut être soutenu indépendamment de l’égalitarisme, dans la mesure où il articule les libertés fondamentales et le principe libéral de la tolérance (§§ 32-35) dans une version libérale du républicanisme démocratique (volonté générale et égalité politique) (§§ 17). En dernière analyse, il s’agit d’une théorie libérale de la démocratie constitutionnelle qui envisage de promouvoir la liberté égale pour tous, ainsi que l’égalité équitable de chances, dans la mesure où les inégalités sont acceptables par les plus désavantagés. Au contraire de l’individualisme possessif du modèle hobbesien et des différentes versions libertaires, la conception rawlsienne de la justice comme équité s’appuie sur une conception de la justice comme impartialité, ce qui la distingue d’une conception où la justice est le résultat d’un règlement entre des intérêts en conflit. Il serait donc tout à fait erroné de rapprocher le modèle rawlsien d’une version néo-libérale (loi du marché) ou libertaire (l’État minimal). De plus, la théorie de la justice chez Rawls ne saurait être confondue avec un égalitarisme radical, comme celui de certains modèles communautaristes (surtout ceux d’inspiration marxiste), ou même avec une apologie sans réserve de l’État de bien-être. L’égalitarisme conséquentialiste de Rawls est en effet apparent dans les principes libéraux de tolérance et de réciprocité, qui sont élaborés respectivement dans Le libéralisme politique et dans Le droit des peuples.

     Dans son Libéralisme politique, John Rawls remanie le problème du libéralisme en fonction de l’existence possible d’une “societé stable et juste, de citoyens libres et égaux, profondément divisés par des doctrines religieuses, philosophiques et morales raisonnables” (“How is it possible that there may exist over time a stable and just society of free and equal citizens profoundly divided by reasonable religious, philosophical, and moral doctrines?”). D’après Rawls, la liberté des anciens se différencie de celle des modernes non seulement par l’émergence d’un nouveau paradigme de subjectivité (l’individu politique, ses droits civiques et ses libertés fondamentales), mais encore – et de façon encore plus fondamentale – par l’introduction d’un “choc [clash] entre les religions du salut, doctrinaires et expansionnistes” et par l’internalisation d’un tel conflit “latent et irréconciliable”: “What is new about this clash is that it introduces into people’s conceptions of their good a transcendent element not admitting of compromise. This element forces either mortal conflict moderated only by circumstance and exhaustion, or equal liberty of conscience and freedom of thought.” (PL Introduction p. xxviii) La reconnaissance publique de ces libertés et la conception raisonnable du bien commun sont développées surtout après les mouvements sociaux qui suivent la Réforme protestante. C’est ainsi que Rawls va jusqu’à affirmer, sur le ton d’une simple constatation, que “l’origine historique du libéralisme politique et du libéralisme en général se trouve dans la Réforme et ses conséquences, avec les longues controverses autour de la tolérance religieuse aux seizième et dix-septième siècles” (PL p. xxvi). Selon Rawls, chez les modernes, le bien se prêtait à faire l’objet d’une connaissance dans et par la religion, alors que de profondes divisions ne permettaient pas d’envisager la réalisation d’une societé viable et juste. C’est pourquoi les différentiations des sphères du politique, du social et de l’économique suivent de façon pour ainsi dire organique la séparation post-luthérienne entre la sphère ecclésiastique et la sphère civile. D’après Rawls, la caractéristique la plus fondamentale et permanente d’une culture politique démocratique publique, c’est précisément ce qu’il appelle le « fait du pluralisme raisonnable ». Selon le Libéralisme politique, une telle « culture publique comprend les institutions politiques d’un régime constitutionnel et les traditions publiques de son interprétation (y compris celles du judiciaire)” (PL p. 80). Par suite de son caractère spécifiquement politique et auto-suffisant (freestanding) -dans la mesure où elle s’applique à la structure fondamentale de la société, c’est-à-dire aux institutions politiques, sociales et économiques d’une démocratie constitutionnelle moderne sans pouvoir être réduite à une doctrine compréhensive quelconque – la « justice comme équité » part d’une « certaine tradition politique », lorsque, d’une génération à l’autre, elle assume comme son idée fondamentale la société en tant que système équitable de coopération. Rawls croit donc pouvoir répondre aux critiques communautaristes, tout en maintenant la dimension intersubjective de la communauté au même niveau de sa conception des citoyens (ceux qui font partie d’une telle coopération) en tant que personnes libres et égales (PL §§ 3.3 et 5). La culture publique modèle, en même temps qu’elle est modelée, par l’idéal d’une société bien ordonnée, réglée par une conception politique publique de la justice (PL § 6), de telle sorte qu’elle s’approche toujours davantage d’un consensus de recoupement (overlapping consensus).

        Venons-en maintenant à la situation brésilienne. Entre 1983 et 1987, la question brésilienne de la transition vers la démocratie a été débattue de façon systématique et incisive par des chercheurs, historiens, intellectuels et théoriciens politiques liés au Centre Brésilien des Recherches Sociales (CEBRAP) et aux universités de Yale et Columbia (aux USA). Le résultat fut la publication d’un volume, Democratizing Brazil, sous la direction du “brasilianista” Alfred Stepan. En fait, ce volume reprend une analyse approfondie des problèmes sociaux, politiques et économiques qui ont affligé le Brésil pendant la dictature militaire, analyse qui s’est traduite par l’édition d’un premier volume, Authoritarian Brazil, entre 1971 et 1972, alors que le pays vivait sous le coupe de l’autoritarisme.[9] Le passage du régime militaire à un régime civil en mars 1985, après 21 ans de dictature, a signalé le début d’un véritable processus de démocratisation, au-delà des arguties de la longue période idéologique de la Guerre Froide – à l’intérieur de laquelle toute analyse discursive trouve d’ailleurs son locus politicus, y compris le discours de libération des années soixante et soixante-dix. Or, les théologies de la libération, aussi bien que les mouvements sociaux et les révoltes partout en Amérique latine, témoignent de l’existence d’un  unique processus de démocratisation : ce sont des alternatives aux entreprises néo-libérales capitalistes du « développementalisme », selon lequel ce serait tout simplement une question de temps pour que plusieurs pays du soi-disant Tiers-Monde (en particulier des pays en voie de développement comme le Brésil, l’Inde et la Chine) « décollent » (take off) vers le développement (desarollo) désiré. Rappelons que la théorie rawlsienne de la justice apparaît en 1971, quelques années après la publication des chefs-d’oeuvres sur la théologie de la libération par des auteurs comme Gustavo Gutiérrez et Rubem Alves.[10] D’après la plus récente idéologie dite du « développement soutenable », pour des théoriciens européens et américains, une transition vers la démocratie n’est plus considérée comme un phénomène inévitable ou un desideratum théorique dans un monde de plus en plus en globalisé, mais elle devient plus simplement une question de survie pour des millions de pauvres et misérables qui vivent toujours sous le signe tragique du sous-développement.

     Le remaniement rawlsien de son libéralisme dans les écrits des années quatre-vingt cherche à garder l’idée directrice de la primauté du juste sur le bien, de façon à réaliser les conditions préalables inhérentes à un conséquentialisme contractuel, égalitariste. Outre la primauté du juste vis-à-vis des idées du bien (Conférence V), les deux autres idées centrales du Libéralisme politique sont le overlapping consensus et la raison publique – reprises respectivement aux Conférences IV et VI. Des questions de réformes administratives et constitutionnelles, ainsi que celles du pouvoir judiciaire renvoient au problème du passage d’un consensus constitutionnel à un consensus de recoupement (§§ 6,7). Dans le consensus constitutionnel, selon Rawls, « une constitution qui satisfait à certains principes fondamentaux établit des procédures electorales démocratiques afin de modérer la rivalité politique à l’intérieur de la société » (PL p.175). Les principes libéraux de justice, ainsi que le principe de la tolérance et les règles du jeu démocratique, sont avalisés au fur et à mesure comme modus vivendi, dès le moment où ils sont adoptés par une constitution et se mettent à influer sur les doctrines des citoyens vers un pluralisme raisonnable. Rawls croit, en effet, que de telles doctrines – comme d’ailleurs ce qu’on appelle l’ethos    permettent la création d’un espace pour le développement d’une adhésion indépendante à la conception politique, ce qui aboutit à l’émergence d’un consensus (PL p.185). Le grand problème de positions intransigeantes (par exemple, celles des intégristes, « fondamentalistes » et autres radicaux) c’est de ne pas permettre l’émergence d’un tel consensus, essentiel pour tout processus démocratique.

     Rawls élabore, ainsi, le problème de savoir comment passer d’un seul modus vivendi (par exemple, celui de la tolérance libérale) à un consensus constitutionnel où de tels principes sont en effet avalisés ; comment, par la suite, ces principes mettent l’idéal de la raison publique en pratique de façon à nous renvoyer au consensus de recoupement, selon les règles du jeu démocratique en tant que “rule of law” ou « état démocratique de droit » (chez Habermas, cela correspond au demokratische Rechtsstaat)”.[11] D’après Rawls, “in a democratic society, public reason is the reason of equal citizens who, as a collective body, exercice final political and coercive power over one another in enacting laws and in amending their constitution”(PL pp. 214s.). C’est ainsi que Rawls, au § 6 du chap. VI, dit de la Cour Suprême qu’elle est le paradigme – exemplar dans le texte original, c’est-à-dire « exemplaire » - de la raison publique, à condition de – et dans la mesure où – elle maintient en effet les limites nécessaires imposées par une constitution démocratique et par la volonté générale: “constitutional democracy is dualist: it distinguishes constituent power from ordinary power as well as the higher law of the people from the ordinary law of legislative bodies order . Parliamentary supremacy is rejected” (PL p. 233).

        De la sorte, comme le libéralisme politique recourt à une conception politique de justice, sous-jacente à un consensus de recoupement (overlapping consensus) entre les représentants de différentes conceptions religieuses, philosophiques et morales a priori incompatibles, Rawls élargit sa théorie de la justice pour concevoir une société des peuples – libéraux et non-libéraux « décents » – qui souscrivent aux principes internationaux de la raison publique, comme l’autodétermination, la non-intervention, l’autodéfense, les droits humains, la conduite des peuples dans la guerre et l’aide à d’autres peuples vivant dans des conditions défavorables (burdened by unfavorable conditions). La raison publique rend ainsi possible, au moyen et de la tolérance et de la réciprocité, la coexistence entre toutes les sociétés démocratiques et les peuples non-libéraux (y compris les musulmans et les groupes islamiques qui adhèrent à la jihad, du moins tant qu’elle est interprétée dans un sens non-militaire), dès l’instant où tous les « peuples bien ordonnés » - terme que Rawls emprunte à l’idée de « république bien ordonnée » chez Jean Bodin (1576) – avalisent les principes internationaux de la paix entre les peuples, en tant que limite établie pour le pluralisme raisonnable parmi les peuples.[12] Selon Rawls, le droit des peuples n’est pas ethnocentrique –  c’est un argument contre Rorty –  puisqu’il ne s’agit pas d’appliquer un idéal européen ou nord-américain de démocratie ou, moins encore, de l’imposer en tant que modèle politique de développement à d’autres peuples et à d’autres civilisations de notre planète.[13] D’après Rawls, l’objectivité du droit des peuples demeure procédurale, dans la mesure où elle ne dépend ni du temps ni du lieu ou de la culture d’origine, mais elle consiste à satisfaire « le critère de réciprocité et à participer à la raison publique de la société des peuples libéraux et décents ».[14] 

        En guise de conclusion, on soulignera que la dimension normative de la démocratisation au Brésil coïncide avec les défis normatifs de l’insertion de ce pays dans la mondialisation. Cela permet de relever les questions de justice sociale entraînées par un processus qui ne saurait être réduit aux dimensions économiques et financières. Le primat d’un souci politique, voire éthique, par rapport aux intérêts économiques est, du reste, l’un des trophées de la philosophie politique occidentale, comme l’attestent non seulement les œuvres d’une tradition qui va de Platon et Aristote jusqu’à Rawls et Habermas, mais encore un formidable mouvement de « l’éthique dans la politique » au Brésil, à l’origine de l’impeachment du Président Collor en 1992 et qui sert toujours à jalonner le processus de démocratisation des institutions politiques, sociales et économiques de ce pays.[15] Les idées directrices du contractualisme et du libéralisme politique peuvent en effet être reprises pour répondre aux défis de nos institutions publiques, ainsi comme l’a proposé Rawls dans le passage de sa théorie originale de la justice comme équité vers une théorie cosmopolite de justice. Les idéaux de la paix perpétuelle sont alors repris par Rawls dans son ambitieux projet de ce qu’il appelle une « utopie réaliste », en tant qu’alternative concrète à la pax americana de la Realpolitik de nos jours. Ainsi comme la pax romana il y a deux mille ans, il nous manque encore les fondements normatifs pour l’imposition d’intérêts économiques particuliers – des USA et des pays plus développés par rapport au Tiers-Monde. Rawls est du reste implacable dans ses critiques de la politique externe américaine, qu’il s’agisse de l’emploi des bombes atomiques contre la population civile de Hiroshima et Nagasaki ou de l’intervention désastreuse contre des régimes démocratiques en Amérique latine, comme celui de Salvador Allende, mue par des intérêts économiques et idéologiques de sécurité nationale. Rawls n’hésite pas non plus à rattacher l’Holocauste nazi à l’anti-sémitisme chrétien pour montrer que le problème des guerres de l’intolérance, reproduit actuellement en Irlande du Nord et dans les conflits entre palestiniens et israéliens, demeure aujourd’hui le plus gros défi pour la normativité éthico-politique, à savoir, comment arriver à la coexistence pacifique entre différentes doctrines compréhensives (religieuses, morales, idéologiques, culturelles) incompatibles entre elles ? Le modèle procéduraliste de Rawls s’avère, dans ce sens, très adéquat pour une société en voie de développement comme la société brésilienne, dont la culture politique est toujours en train de se démocratiser, après plusieurs siècles de colonialisme et d’autoritarisme. C’est ainsi que, au Brésil, des néo-libéraux aussi bien que des socialistes peuvent recourir à Rawls lorsqu’ils poursuivent un fondement théorique pour leurs projets de justice sociale et d’émancipation politique.

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1. Voir le site internet http://www.cceia.org. Publié in Jean-François Mattéi et Denis Rosenfield (eds.), Civilisation et Barbarie. Paris: PUF, 2002, p. 211-229.

 

2. Cf. BRAUDEL, Fernand. La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II (Paris: Armand Colin, 1949); WALLERSTEIN, Immanuel. The Modern World-System (New York: Academic Press, 1979); HELD, David. Democracy and the Global Order: From the Modern State to Cosmopolitan Governance (Cambridge: Polity Press, 1995); IANNI, Octavio. Teorias da Globalização (Rio de Janeiro: Civilização Brasileira, 2001).

 

3. Cf. RAWLS, John. Théorie de la justice (Paris: Seuil, 1971); Le libéralisme politique (Paris: PUF, 1995). Je m’en sers des versions originales, désormais abrégées TJ et PL.

 

4. Cf. TJ p. 20 n. 7, où Rawls nous renvoie à l’ouvrage de Goodman de 1955, Fact, Fiction, and Forecast; la critique de l’observateur impersonnel et du point de vue impersonnel de Nagel  (The View from Nowhere) se trouve en TJ pp. 184-92 et en PL pp. 116 n. 19.

 

5. Cf. BAYNES, Kenneth. The Normative Grounds of Social Criticism: Kant, Rawls, Habermas (Albany: SUNY Press, 1992), p. 52.

 

6. RAWLS, John. Collected Papers (Harvard U. P., 1999), Lectures on the History of Moral Philosophy (Harvard U. P., 2000), Justice as Fairness: A Restatement (Harvard U. P., 2001).

 

7. Cf. HÖFFE, Otfried. Politische Gerechtigkeit: Grundlegung einer kritischen Philosophie von Recht und Staat (Frankfurt: Suhrkamp Verlag, 1987) ; HABERMAS, Jürgen. Faktizität und Geltung: Beiträge zur Diskurstheorie des Rechts und des demokratischen Rechtsstaats (Frankfurt: Suhrkamp Verlag, 1992).

 

8. FOWLER, Robert Booth. The Dance with Community: The Contemporary Debate in American Political Thought (Lawrence: University of Kansas Press, 1991).

 

9. STEPAN, Alfred (dir.) Democratizing Brazil: Problems of Transition and Consolidation (New York: Oxford University Press, 1989); Authoritarian Brazil: Origins, Policies and Future (New Haven: Yale University Press, 1973).

 

10. Cf. GUTIÉRREZ, Gustavo. Teología de la Liberación. En français, Théologie de la libération (Paris: Lumen Vitae, 1974); ALVES, Rubem. A Theology of Human Liberation. En français,Christianisme: opium ou libération? (Paris: Le Cerf, 1972) .

 

11. Au sujet du débat Rawls-Habermas, voir ma “Critique of Public Reason Revisited: Kant as Arbiter between Rawls and Habermas”, Veritas 44 (2000): 583-606 ; Tractatus ethico-politicus (Porto Alegre: Edipucrs, 1999), ch. 7 et 8.

 

12. The law of peoples, II § 9.3.

 

13 . Ibidem, Introduction n. 6.

 

14. Ibidem, IV § 17.

 

15. Cf. ROSENFIELD, Denis. A ética na politica (São Paulo: Brasiliense, 1992).

 


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