Sectes : Comment on tire les ficelles
 

  Les membres des sectes peuvent parfaitement identifier un futur adepte et lui présenter une offre qu'il ne pourra refuser... Des techniques simples, mais qui ont fait leurs preuves.
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Dans le film The Manchurian Candidate, un thriller psychologique réalisé en 1962, un homme assis dans son appartement fait tranquillement un jeu de patience. Lorsqu'il retourne la dame de carreau, un déclic se produit dans son cerveau programmé : il se lève et, sans une once de culpabilité, il va assassiner la femme de sa vie... Cette scène terrifiante a contribué à ancrer dans l'imaginaire populaire le mythe du lavage de cerveau. Une technique qui, croyait-on à cette époque, permettait d'inculquer au premier venu des idées ou comportements aux antipodes de sa personnalité.
Durant les années 70, l'inquiétude qu'inspirait la popularité grandissante des sectes a incité plusieurs spécialistes à conclure que ces groupes devaient forcément laver le cerveau de leurs membres pour les pousser à abandonner famille et amis, à donner tout leur argent ou encore à poser des actes violents ou suicidaires. Mais, aujourd'hui, la plupart des spécialistes s'entendent pour dire que la réalité est beaucoup plus complexe et que le lavage de cerveau, s'il existe vraiment, n'explique en rien les excès auxquels peuvent se livrer certains groupes fanatiques.

« Ce n'est qu'un mythe politique créé de toutes pièces pour attaquer certains groupes, religieux ou non », affirme Massimo Introvigne, directeur du Centre d'étude sur les nouvelles religions (CESNUR) de Turin, un organisme qui informe le public sur les nouvelles religions et prend leur défense. « En Italie, pendant les années fascistes, un article de loi sur le lavage de cerveau a été utilisé contre les homosexuels. On affirmait que les jeunes homosexuels se faisaient laver le cerveau par des homosexuels plus âgés qu'eux ! »

En 1981, la cour constitutionnelle italienne a finalement fait disparaître l'article en question après qu'un défilé de psychiatres eurent affirmé que le terme n'était pas accepté par la profession. L'Association des psychologues américains a fait la même chose en 1987, et les tribunaux de la plupart des pays occidentaux rejettent maintenant cet argument lors de poursuites d'ex-membres contre leur ancien gourou.

Si on a écarté pour de bon l'idée fantaisiste du lavage de cerveau, certains principes ont quand même été dégagés des expérimentations pour le moins « orwelliennes » qu'on a faites au nom de cette pseudoscience depuis un demi-siècle (voir encadré). On a ainsi constaté que, combiné à un stress intense, l'épuisement nerveux provoqué par l'absence de sommeil peut éliminer toute résistance à l'autorité. Et que l'isolation sensorielle, telle qu'on la pratiquait durant les années 70 dans les prisons de l'Allemagne de l'Est - de longs séjours dans une cellule aux murs blancs et totalement insonorisée -, peut briser les plus récalcitrants.

Mais alors, si le lavage de cerveaux n'existe pas, que se passe-t-il dans la tête des adeptes ?

On parle maintenant de contrôle de la pensée, d'influence indue, de manipulation ou encore de resocialisation, explique Mike Kropveld, directeur d'Info-Secte. Des techniques plus « subtiles » de contrôle de la pensée, mais d'une redoutable efficacité.

Selon lui, les premières études qui ont permis de mieux comprendre le fonctionnement des sectes et des idéologies totalitaires nous viennent du psychiatre américain Robert Jay Lifton, qui a, entre autres choses, étudié le fonctionnement des camps de rééducation chinois.

Dans un essai publié en 1961 (Thought Reform and the Psychology of Totalitarism, chap. 22), Lifton identifie une série critères essentiels au contrôle de la pensée, des critères qui servent encore aujourd'hui de référence aux groupes d'information et de prévention qui s'intéressent aux sectes (voir tableau). Évidemment, certains de ces critères peuvent se retrouver dans n'importe quel genre d'organisation, mais Lifton précise que si chacun d'eux est appliqué à la lettre, on peut conclure qu'il y a pratique du contrôle de la pensée.


 
On pousse les adeptes à se censurer et à se discipliner. Bref, à construire autour de chacun d'eux une prison invisible.    D'autres chercheurs, comme Edgar Schein ou Steven Hassan, ont observé des variantes et des subtilités dans les méthodes d'endoctrinement des sectes ou d'autres organisations à tendance totalitaire. Privation de sommeil, alimentation pauvre en protéines, membres coupés de tous liens familiaux, obligés de travailler ou de prier sans arrêt : l'inventaire est large. Plus efficaces que la seule contrainte physique, ces règles enferment le membre dans sa propre culpabilité. On le pousse à se censurer et à se discipliner lui-même. Bref, à construire autour de lui une prison invisible.

Massimo Introvigne est en désaccord avec cette approche, qu'il compare à l'idée que se faisaient nos ancêtres de l'envoûtement. « Si ces forces étaient aussi magiques qu'on le dit, elles devraient retenir les adeptes plus longtemps. Or, on a démontré que le passage moyen d'un adepte dans l'Église de Moon était de trois ans en Europe. » Il est vrai que certains d'entre eux sont littéralement kidnappés de la secte par leur famille pour être ensuite déprogrammés (une pratique interdite dans plusieurs pays du monde), mais la majorité quitte la secte spontanément. Ce qui semblerait démontrer qu'ils ont conservé un peu de leur libre arbitre.



      Mike Kropveld admet que les déprogrammeurs, en vogue dans les années 70 et 80, ont utilisé sur des ex-adeptes des méthodes aussi brutales qu'un lavage de cerveau ! Mais on a compris avec les années que le problème des sectes et des groupes totalitaires ne se posait plus simplement en termes de bourreaux et de victimes. C'est d'ailleurs ce qui, selon lui, rend la question aussi complexe. « Il se passe quelque chose entre le recruteur et le futur adepte qui ressemble à une manipulation à deux. Le recruteur ne choisit pas n'importe qui : il cherche une personne troublée, qui a besoin de réponses, et il s'adresse à elle en lui disant qu'il peut lui donner ce qu'elle cherche. » Dans ces conditions, la personne est évidemment beaucoup plus vulnérable aux arguments du recruteur - un peu à l'image de celui qui se dit prêt à tomber amoureux et qui croit rencontrer la personne de ses rêves. On sait tous que ce genre de situation peut sérieusement altérer le sens critique...

Mais comment expliquer qu'un adepte soit prêt à tout abandonner de son ancienne vie, à donner sa fortune ou même à tuer pour combler les attentes de son gourou ou de sa secte ?

« Aucun recruteur ne va vous aborder en vous disant : embarque dans ma secte, on se suicide tous mercredi prochain ! poursuit Mike Kropveld. Comme tout bon vendeur, il doit d'abord se vendre lui-même et cacher les intentions réelles de son groupe... s'il les connaît lui-même, bien sûr ! Il est également fascinant de constater que les membres n'ont pas l'impression de faire un travail malhonnête. Dans certaines sectes, des femmes vont jusqu'à se prostituer pour attirer des hommes, et d'autres abusent de leurs enfants sans remords. Et tous persistent à croire que leurs gestes sont posés de bonne foi. »

Il n'existe évidemment aucun guide pratique pour comprendre les techniques employées par les sectes. Cependant, le Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens de Robert-Vincent Joules et Jean-Léon Beauvois relate plusieurs expériences de psychosociologie comportementale montrant qu'on peut aisément manipuler les gens à leur insu.

Par exemple, on a démontré qu'il est plus facile de quêter de l'argent à un passant en lui demandant d'abord l'heure. Ce premier geste anodin établit un climat de confiance qui peut suffire à dissimuler un moment les intentions réelles de celui qui quête.

Dans un registre plus inquiétant, on retrouve les expériences de l'Américain Stanley Milgram. Milgram a installé deux étudiants de chaque côté d'une vitre et demandé à l'un d'eux d'envoyer une décharge électrique à l'autre lorsque ce dernier fournissait une mauvaise réponse à un jeu de vocabulaire. Durant l'expérience, les charges administrées à la victime (qui ne faisait que jouer la comédie) ont augmenté jusqu'à un seuil très dangereux. En fait, Milgram a constaté que la présence de son équipe et le sérieux du protocole scientifique suffisaient à dégager l'étudiant de toute responsabilité morale. À littéralement dédouaner ses actes.

« Dans la vie de tous les jours, nous sommes bombardés d'idées et de tendances contradictoires, dit Jean-Léon Beauvois, et c'est à travers ce fouillis qu'on se forge une opinion de soi-même. Mais si vous êtes plongé dans l'isolement d'un système totalitaire, vous n'entendez plus qu'une seule voix et, dans ces conditions, les méthodes de manipulation deviennent très efficaces. »

Un amalgame de ces techniques de désinformation et de manipulation, parfois combinées à l'attraction d'un gourou charismatique, pourrait donc expliquer en partie comment des adeptes en arrivent à vider leur compte de banque au profit de la secte pour suivre des cours de perfectionnement toujours plus coûteux ou simplement à consacrer leur existence au porte-à-porte.

Un rapport de la commission nationale française sur les sectes en France, publié en janvier dernier, recensait 172 groupes religieux dont les agissements seraient contraires à l'éthique. C'est un nombre qui fait sérieusement réfléchir. Pourtant, les groupes d'étude sur les religions comme le CESNUR ont vertement dénoncé ce rapport lors de leur congrès international, qui se déroulait à Montréal l'été dernier, l'accusant d'être tendancieux et alarmiste.

Le Suisse Jean-François Meyer, probablement le spécialiste le mieux informé sur l'OTS, a ajouté qu'une pression exagérée des médias et de la société sur des mouvements comme l'OTS ont pu contribuer au suicide collectif des membres. Les observations de Roland J. Campiche, de l'Université de Lausanne, semblent lui donner raison. Dans son livre Quand les sectes affolent, le sociologue ne réfute pas le caractère paranoïaque de certains leaders, mais fait remarquer que ce sont les pressions exercées sur eux qui provoquent les pires catastrophes. Ainsi, c'est l'assaut de la police américaine contre la secte de Waco en avril 1993 qui a été à l'origine du suicide de 80 de ses adeptes. On a appris par la suite, écrit-il, que le leader David Koresh n'avait aucune intention de se suicider et que des négociations plus sérieuses auraient pu éviter le massacre. Selon lui, on ne peut donc pas généraliser le potentiel de danger d'une religion. Il donne également en exemple la secte japonaise Aum, qu'il qualifie d'organisation terroriste à tendance vaguement religieuse. Pour lui, on ne peut comprendre les agissements d'Aum que dans le contexte d'un Japon où « la porosité entre le politique et le religieux » demeure très forte.

Même s'il trouve ces arguments trop complaisants envers les sectes, Mike Kropveld admet que le rapport français a été bâclé et qu'une telle approche n'aide guère à apaiser les esprits et à démystifier les sectes. « Certaines organisations, indique-t-il, ont été déclarées dangereuses à la seule lecture de leurs écrits. C'est absurde ! Est-ce que la Bible est dangereuse ? Non, à moins d'en faire un usage incorrect, bien sûr. » Selon lui, il faut se rappeler que le débat sur les sectes n'est pas un débat sur les religions mais, avant tout, sur la responsabilité des individus.

« Tout le monde peut croire ce qu'il veut, mais les adeptes demeurent toujours responsables de leurs actes, dit-il. Le problème, c'est que lorsqu'on sait comment s'y prendre, on peut sérieusement diminuer la résistance d'une personne et l'exploiter ensuite sans trop de difficultés. »



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La recette des sectes

Selon Robert Jay Lifton, huit critères permettent de déterminer si une organisation pratique le contrôle de la pensée.


1. On exerce un contrôle sur l'environnement et la communication. Non seulement la communication entre les individus, mais entre le membre et lui-même...

2. On met en scène des mystifications. Une personne croit vivre une expérience dont les causes sont spirituelles, mais, en fait, elle est le résultat d'une mise en scène de ses supérieurs.

3. On utilise un langage au vocabulaire polarisé et difficile d'accès. Les mots, incompréhensibles pour les non-initiés, servent surtout à enfermer le membre dans un langage simplificateur qui l'empêche de formuler des réflexions complexes et de réfléchir librement.

4. On fait passer la doctrine avant les individus. Peu importe la situation particulière d'une personne, la croyance au dogme doit déterminer tous ses gestes.

5. On vénère une science sacrée. Comme dans le système nazi ou la Chine du temps de Mao, la doctrine de l'État est indiscutable et parfaite. Si on s'oppose à l'État, c'est qu'on s'oppose à la raison. Donc, on est fou.

6. On encourage fortement la confession et la dénonciation. L'entourage exige l'absence totale de barrières entre l'individu et le groupe. Toute action ou pensée contraire à la doctrine doit être confessée. L'espionnage par les pairs est fortement encouragé.

7. On exige la pureté absolue. Le milieu suscite la culpabilité de l'individu en le contraignant à atteindre des standards de perfection inaccessibles.

8. L'organisation possède un droit de vie ou de mort sur ses membres. La secte détermine qui a le droit d'exister ou non. Par exemple : le groupe convainc ses membres qu'ils font partie de la véritable race humaine et que le reste de la planète est peuplé d'insectes qui méritent l'extermination... Le genre d'attitude qui peut conduire aux génocides auxquels se sont livrés des systèmes totalitaires.

Ce texte est tiré du magazine Québec science.
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