Ma chère Zoubida,
Je t’écris cette lettre pour exorciser le mal qui me ronge depuis que je
sais. . . Et pour te dire, avant tout, que je t’aime toujours, sinon plus, aujourd’hui malgré ce qui nous arrive. La révélation m’a été pénible, la douleur intense. Il m’est encore impossible, à cet instant, de savoir si je m’en remettrai. En tout cas,
je suis convaincu que j’y arriverai, avec ton aide. Que Dieu m’entende.

Note de l’auteur : Pourquoi suis-je en train d’écrire une nouvelle, moi qui ne lit
jamais de roman. Mais uisque les autres aiment, les romans, alors pourquoi avoir des scrupules?
La dernière fois que j’en ai lu un, je crois que c’était Le désert des Tartares, de Dino
Buzzati. Admirable! (Le parfum, de Suskind aussi était excellent.) C’était il y a longtemps. Bref, rien n’est vrai dans ma triste nouvelle.
Ceci dit, je continue.

Zoubida, cet incident m’a enlevé le goût de vivre. Je vis cependant. Nous
passions pourtant des moments merveilleux ensemble. Je comprends
cependant que tu ne puisses pas endurer plus longtemps mes phases aiguës d’anxiété.
Je t’ai demandée de me subir pendant trois mois encore pour me laisser le temps de
m'en remettre, et peut-être de regagner ton amour, et ton pardon. Mais surtout pour
que je ne sombre pas dans la folie. En voilà un de passé. Je suis persuadé que j’y
arriverai grâce à ces moments de bonheur que tu me procures en acceptant de
m'écouter ou de m'accorder le temps que tu me consacres, moments qui sont des îlots
de paix pour moi . Mais il y a aussi ces terribles passages de doutes qui me terrassent,
comme à l’instant où je t’écris. J’ai peur. Je t’écris donc au cas où je perdrais le contrôle,
comme ça une chose importante n’aura pas été négligée. J’en réserve une copie pour
ma mère -au cas où je ne tienne plus le coup-, l’autre tu es en train de la lire. Ne vois
dans ce message qu’une mesure radicale de précaution, rien de vraiment alarmant
pour l'instant, car comme je te le précise, de semaine en semaine, le mal devient
moins intense. Il faut lire aussi à travers ces lignes l’amour pour lequel je mettrai
tout en œuvre afin qu’il perdure si tu me pardonnes et reviens à moi. Tu le mérites
plus que moi. Mais tu sais, à quel point je suis faible.

Tu es tombé dans les bras de mon meilleur ami, en échangeant un baiser
brûlant de passion, mais je sais que tu n'as pas fait cela par amour pour lui.
Tu m’as trompé par faiblesse. Par frustration. Et à cause d’un amour que je
n'attisais plus par mes désirs passionnés comme tu en aurais eu besoin. Inconscient
que j’étais mais toujours si amoureux. Consolation amère! Tu es tombée dans ton
propre piège et tu en as perçu le danger trop tard; les conséquences ont été
désastreuses. Mais le fait que tu sois venue confesser cette fornication tout de
suite après est le signe indubitable que tu m’aimes, que tu m’as beaucoup aimé.
Voilà ce qui nous sauve. Non, ce n’est pas une consolation amère! mais une opportunité
pour nous retrouver et repartir de plus belle. Nous en sommes capables. Nous
l’avons vu ces derniers jours alors que nous pleurions dans les bras l'un de
l'autre, chacun laminé par sa douleur. Mais il nous faut aller au-delà de
ces contingences. Ma mère invoque le Coran pour t’éloigner de moi, de mon amour, de
notre amour! mais j'en ai cure de ses vaticinations. Ahmed a raison, si je
l’écoute elle fera de moi son pantin. Je t'en prie, viens nous voir au Complexe
et tu verras, nous sommes tous avec toi. Toto m'a dit que Dago a fait un
Picasso pour toi. J'avais vu la toile qu’il avait peinte pour la scène et il en a
fait une petite, la même, pour toi. Elle est vraiment belle, toute bleu avec un
personnage en noir qui cueille des étoiles. Il dit que cela te portera chance.
Dès que je peux je te l’envois. Je t'en prie, n'écoute pas les prêcheurs surtout.
Ils te détruiront. Ne reste pas dans leur compagnie, ils vont profiter de ta situation
pour t'influencer. Va chez ton oncle. Tes cousins et cousines t’adorent. Sinon,
reviens ici et je m'en irais quelque temps, en espérant que le mal qui me taraude
s'amenuise et que je revienne à la vie.

Ce type était mon meilleur ami . . . Tu me parlais d'amitié de façon si sincère
que j'ai loué votre relation. Je l’ai encouragée, en outre, alors que tu
t’en étonnais. Je me souviens très bien.

Aveuglé par l'idéal, que je me formais dans l'esprit, de l’amitié entre hommes
et femmes, au fur et à mesure que vous vous rapprochiez, que vous deveniez
de vrais amis, je croyais qu'en agissant comme je l’ai fait, je me
débarrassais des vieux patterns qu'engendrent la jalousie et le caractère
possessif de ceux qui sont incapables de laisser leurs compagnes libres d'agir
à leur guise et d'avoir leurs propres amis -mâles- avec lesquels elles se
délasseraient en allant ensemble au cinéma, au café, en se promenant au
bord de la rivière et au milieu des fleurs. Ainsi, j’avais espoir de me libérer
d’une grande partie du dilemme existentiel concernant le mal objectif qui
serait en fait dû aux mauvais choix ou à mon égoïsme exacerbé de macho. Je
t’avoue cela aussi pour la première fois : -en t’encourageant à sortir avec
lui, j’espérais abattre plus de travail, une passion qui m’a poussé à négliger
le bonheur que j’éprouve en ta compagnie. Aujourd’hui, Zoubida, mon amour,
je laisserai tout au monde pour que nous soyons unis à nouveau. Et je sais
que c’est également cela que tu désires. Tu vois, Zoubida, je suis tombé de
haut. Ahmed a raison, le monde est un enfer si nous ne sommes pas favorisés
par les dieux. Finalement, l'amitié, j'en suis plus que convaincu, maintenant
que ce drame nous a secoués si brutalement, est une chose fragile entre un
homme et une femme qui ont, de surcroît, des atomes crochus et sont beaux.
Comme toi et ce con!

Et je t'assure, j'en parlais ici avec les copains, personne parmi eux n'est assez
naive pour nécessiter une confirmation du Coran afin de savoir si c'est bon ou
pas que l’on revienne ensemble. Tu me diras que c’est facile de prendre position
maintenant que les jeux sont faits et qu’on n’est pas directement concerné. Mais ne te réfugie pas
dans la religion, dans ces institutions dogmatiques qui dépouillent l’être de sa
diversité et de sa liberté; c’est une fuite qui te desséchera. J’ai essayé de
joindre Saïd en Algérie, mais il est trop occupé d’après les infos que j’ai pues
obtenir. Tente à ton tour de le rejoindre et si c’est possible de le rencontrer,
prend l’avion et saute sur l’occasion. Tu verras, personne ne te parlera mieux
que lui de Dieu. Tu te rappelles la soirée que l’on a passée ensemble, à quel
point il nous a émus en parlant de l’amour divin. Nos parents nous ont
causé assez de mal avec leurs croyances religieuses pour que l’on ne pense
pas par nous-mêmes, maintenant, Zoubida. Tu étais fascinés par M. . . (et
moi aussi, je le reconnais) par ses belles idées du New-âge, mais la réalité
est bien simple pour quiconque garde la tête froide : yogi ou pas, place le beurre
à coté du feu, il fond!

Ce qui est étonnant, c’est que tu ne sembles pas mieux connaître mon caractère.
Inquiétant. Tu me l’as dit : tu n’aimes pas M. . . Je sais que tu ne peux pas aimer -si ce
ne fût par concupiscence, comme tu me l'as fait remarquer toi-même, d'ailleurs- cet
être ignoble qui a fait fi de notre amitié pour te séduire. Ou bien serait-ce le contraire?
toi, qui l'aurait séduit? Mon cœur saigne, Zoubida. Comment ne vois-tu pas la crapule
en lui? La semaine dernière, encore, tu trouvais normal de garder le buste qu'il nous
a offert en cadeau, lui, qui t’a priée de me quitter pour aller le rejoindre à Londres!
Ce type, avec une bedaine! alors que tu as toujours déclaré détester les hommes
avec un ventre, même petit. Ce type a voulu détruire mon bonheur et ma vie. . .
(Je m'emporte, je sais que tu ne serais jamais partie avec lui, tu es trop intelligente
pour ça, mais si cela ne tenait qu'à moi, je foutrais ce buste à la poubelle! Tu décides.)

Comment ai-je pu avoir comme ami ce gars dont le loisir est de courir les femmes!?
Tu sais pourtant tout cela puisqu’il te faisait ses confidences. Et je le savais aussi! Oui,
dans notre faiblesse pour le luxe dont il jouissait et "notre grande bonté", nous
l'aidions à devenir un homme sage. Mais ce qui me déchire encore aujourd'hui,
c'est qu'au pire de cette crise qui nous a secoués, tu le considérais encore comme
notre ami et que cet enfant indésirable fût le nôtre! Comment voulais-tu que
j'accepte cela? Je suis convaincu que l'avortement restait la meilleure chose à
faire vu la situation. Grâce à cette technologie de pointe, nous savions que le
fœtus n'avait absolument rien d'un être humain à son stage-là de développement.
L'âme n'était pas encore formée. Pourquoi donc aurions-nous dû nous lier par cet
accident à un être indésirable?

Les femmes ont été esclaves des hommes à cause de leur ventre. La contraception
les a libérées de cette condition. La science leur a donné la liberté et il nous faut en
profiter. Je n'ai aucun scrupule à avoir pris cette décision si ce n'est le traumatisme
que tu as subi suite à l'opération. Mais il fallait couper ce cordon ombilical si tu voulais
que je continue d'être ton homme. Ne m'as tu pas confié que tu aurais aimé qu'il reste
notre ami?! En quelque sorte, que nous allions chez lui ou qu'il nous rende visite et
que nous continuions à manger et rire ensemble. Que nous aillions un enfant à trois!?
Et tu voulais m'entraîner dans ce choix de vie dissolue? Ça fait mal, Zoubida.
Mais avec une épine, on en retire une autre.

Toi seul peux m’aider à traverser cette épreuve. Et si tu veux, on peut faire encore mieux.
Nous sommes si jeunes et notre avenir nous appartient. Ne le gâchons pas. Et puis, je
n’ai pas le choix. Sans toi, je ne vois pas ce que je deviendrais. C'est là le nœud gordien.
Donne-moi ma chance; donne-moi du temps encore. Ma vie tient à un fil. Cependant,
je suis persuadé qu’on y arrivera. Pardonne-moi pour n’avoir pas su interpréter tes signaux
de détresse. Pardonne-moi pour t’avoir poussée dans ses bras. Je l’ai fait par ignorance.
Je suis allé trop loin. Je t’aime. Ton mari –à jamais.

«Dépêche-toi Zoubida, on est en retard!», cria sa mère de sa Mercedes
garée devant le café internet. Zoubida fit un clic de la sourie et vida la corbeille.

Néant