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Back to Homepage Annuario 2003

p. 496

Question sur les lectures classiques:

Dante, le chant X du Paradis*

 

Dragoº Calma,

Ecole Normale Supérieure,

Paris

 

Questi onde a me ritorna il tuo riguardo,

è ’l lume d’uno spirto che ’n pensieri

gravi a morir  li perve venir tardo :

essa è la luce etterna di Sigieri

che , leggeno nel vico delli strami,

sillogizzò invidiosi veri.

Paradiso, c. X, v. 133-139

 

Pour l’historien de la philosophie médiévale, les vers du chant X du Paradis où Thomas d’Aquin fait l’éloge de son adversaire Siger de Brabant, suscitent toujours les questions[1] d’une constante insistance: pourquoi Siger de Brabant, un hétérodoxe, condamné en 1277, se trouve-t-il au Paradis? En outre, pourquoi est-ce Thomas d’Aquin qui fait son éloge[2]? Des questions en apparence très simples et qui semblent presque suivre, naturellement, la lecture des vers.

Il s’agit d’une manière anachronique de poser les problèmes; tout d’abord, parce que le maître ès arts est considéré comme hétérodoxe selon les analyses du début du XXe siècle de E. Renan[3] et P. Mandonnet[4], qui ont eu une influence considérable parmi les historiens modernes; mais elles sont considérées désuètes et erronées depuis les nouvelles recherches[5]. De plus, si on considère Siger comme un hétérodoxe visé explicitement par Tempier, selon la mention d’un seul manuscrit de condamnations, on n’a pas ouvertement questionné s’il était perçu tel par Dante ou si le poète, un laïc très cultivé mais qui reste un laïc, a pu être fondamentalement influencé dans ses options philosophiques par l’évêque de Paris. Un fait qui n’oblige pas nécessairement à mettre en doute la connaissance des condamnations par Dante, puisqu’on y trouve des

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références explicites chez des auteurs connus par lui  comme Taddeo Alderotto et Remigio Girolami; ce genre de querelle suivie par des condamnations et par des interdictions est propre à l’Université de Paris, mais ne caractérise pas toutefois l’Université de Bologne, la plus familière au poète. On peut supposer que Dante n’a pas ressenti le choc des enseignants de la Faculté des Arts de Paris ou des clercs dominicains et franciscains (on pense ici à la longue tradition du Correctorium de Guillaume de la Mare). En outre, les récentes discussions sur l’influence des condamnations sur d’autres Universités médiévales[6] montrent que ni les pouvoirs juridiques de l’évêque Tempier ni les échos doctrinaux de ses condamnations ne se sont beaucoup répandus à l’époque. Dans les milieux universitaires italiens de la fin du XIIIe siècle on trouve des références à la liste de Tempier, mais d’une manière assez marginale. De plus, rien ne nous permet de dire que, pour Dante, Siger était un hérétique; la légende qui circulait à l’époque sur la vie de Siger, et qui sera reprise par les premiers commentateurs de la Comédie, le présente comme un hérétique qui s’est converti à la foi à la suite d’un rêve fantasmagorique; il est pourtant plus probable que Dante apprécie Siger davantage pour ses textes que pour ses conversions fabuleuses.

En faisant le point, les problèmes devenus classiques liés à la présence de Siger dans le Paradis doivent nécessairement être rediscutés aujourd’hui à partir des positions de l’histoire de la philosophie et des nouvelles recherches sur les sources philosophiques de Dante. Et s’il faut faire une telle étude, ce n’est pas pour imposer aux vers du Paradis une explication qui cherche la logique de la transmission d’une pensée, une explication peut-être trop rigoureuse pour une option poétique, mais tout d’abord pour insister sur le fait que ces vers peuvent être considérés sous un autre aspect: comme une modalité d’indiquer de quelle manière certaines doctrines professées par certains philosophes à Paris (et, dans notre cas, Siger de Brabant) pouvaient être reçues en Italie dans un milieu qui n’avait comme profession ni la philosophie ni la théologie, mais qui s’intéressait à celles-ci, un milieu lettré laïc.    

 

*    *    *

 

En 1911[7] Bruno Nardi soutient à Louvain sa thèse de doctorat traitant sur la présence de Siger de Brabant dans la Divine Comédie, dont il fait publier un fragment

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un an plus tard[8]. A partir de la très réduite littérature philosophique sur le maître brabançon de la seconde moitié du XIXe siècle[9], il veut corréler les faits historiques de la vie de Siger, bien distincts des légendes racontées par les premiers commentateurs de la Comédie, aux textes de celui-ci. En pensant que tout ce qu’on aurait pu connaître sur Siger était déjà dit[10] par P. Mandonnet[11] et E. Renan[12], il trouve fausse l’explication selon laquelle Dante n’a pas eu accès aux doctrines du maître ès arts[13]. Il en propose une autre, «bien plus simple et plus naturelle»[14]  qui s’appuie sur une analyse des vers dantesques. Il serait étrange, continue Nardi, que Siger trouve sa place au Paradis simplement parce qu’il était un personnage de légende comme le suggére l’expression invidiosi veri.

Pour montrer les liaisons doctrinales entre Siger et Dante, Nardi insiste plusieurs fois[15] sur le problème de la création du monde, ou selon ses propres mots, de la dérivation du monde de Dieu, une cosmologie qui apparaît comme une fusion du «péripatétisme» avicennien avec des idées propres à l’école augustinienne[16]. Cependant, sans dire mot sur la cosmologie de Siger, Nardi tire d’une manière surprenante la conclusion que le maître brabançon n’était pas inconnu de Dante, mais bien au contraire des idées propres au milieu averroïste parisien sont aisément identifiables dans son œuvre. Il ajoute ensuite que Dante et Siger, quant à leur théorie cosmologique, dépendent l’un et l’autre d’Avicenne. De plus, comme si la doctrine de la création mediante intelligentia n’était pas quelque chose de commun à toute la métaphysique médiévale, tributaire au Liber de causis et à Denys l’Aréopagite, Nardi trouve en cette doctrine, une fois encore d’une manière surprenante, un lien qui unit intimement la pensée de Dante et Siger[17].

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Quant à la psychologie, même si le De anima intellectiva[18] était déjà publié, où Siger renonce à certaines théories averroïstes[19], Nardi se réfère toujours à lui comme à un partisan de l’unicité de l’intellect. Dante, continue le chercheur italien, qui réfute explicitement la conception d’un intellect possible séparé du corps, n’est pourtant pas à l’abri de certaines solutions propres à Averroès ; les thèses qu’il défend veulent réconcilier des positions contraires, à la fois averroïstes et thomasiennes[20]. 

La solution originale[21] que Bruno Nardi propose[22] pour expliquer la présence de Siger au Paradis esquisse tout d’abord une évolution doctrinale que Dante aurait subie. Il s’agit ainsi d’une première phase où le poète accepte des propositions qui ne sont pas toujours en concordance avec l’esprit de la théologie chrétienne et qui étaient soutenues le plus vivement par Siger de Brabant. Les contradictions que ces positions ont provoqué face aux dogmes de la foi catholique, ont obligé Dante à trouver une issue dans les considérations sur la noblesse de l’homme; et à partir de ce point on distingue clairement la tendance à orienter ses opinions philosophiques vers la théologie. Par conséquent, l’éloge fait par Thomas veut signifier que les deux adversaires se sont réconciliés après la mort, quand ils ont perçu toute la Vérité, dont chacun n’avait vu qu’une partie[23].

Quelques années plus tard, en 1942, lorsqu’il écrit Dante e la cultura medievale[24], Nardi nuance cette idée et propose un chemin en trois étapes: une première, dans le Convivio où, bien distincte l’une de l’autre, la théologie et la philosophie se confondent parfois. Une deuxième phase, avec la Monarchia qui marque une séparation entre le destin naturel et surnaturel de l’homme, entre raison et foi; le destin naturel de l’homme s’accomplissant par l’achèvement de la félicité dans ce monde, alors que le surnaturel présuppose une félicité dans l’autre monde : on entrevoit donc ici les doctrines des averroïstes qui proclament l’autonomie et les droits de la philosophie face à la foi, au dogme religieux. Finalement, une dernière période, celle de

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la Comédie où l’on voit reconsidérés tous ces rapports en conformité avec les concepts scolastiques: la philosophie redevient ancilla theologiae[25].

 Aujourd’hui, l’idée d’une conversion intellectuelle est fortement combattue[26] puisque les études récentes ont relevé que la Monarchie et le Paradis sont chronologiquement très proche l’un de l’autre: le premier, probablement écrit en 1317-1318, et le second en 1319-1320[27]; or, Nardi avait situé la Monarchie dix ans auparavant, en 1307. Selon cette datation et selon le schéma en trois étapes, l’intérêt que montre Dante dans la Monarchie pour les doctrines averroïstes, mais qui ne se retrouve pas dans le Paradis, tient du fait que la matière du troisième cantique est plutôt théologique, affichant même un certain dégoût pour le discours philosophique; l’architecture du Paradis veut seulement suivre le schéma de la théologie mystique et de la théologie spéculative[28].

 

 

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Il faut donc lire avec la même réserve l’analyse de Maria Corti qui emprunte à B. Nardi la suggestion d’une conversion de Dante à l’averroïsme par l’entremise de son premier ami, Guido Cavalcanti, auquel il renonce avant même d’écrire l’Enfer. La réponse que le poète donne au père de Cavalcanti, dans le chant X de l’Enfer[29], est comprise[30] par M. Corti comme le signe par lequel Dante veut souligner l’abandon de l’averroïsme, figuré ici par Guido. La distance entre les deux amis serait créée par les principes que chacun défendrait: d’une part, Guido qui aurait près de lui tous les commentaires radicaux sur le De anima d’Aristote, les livres sur la félicité mentale et sur l’éternité du monde, et d’autre part, Dante reconquis par la scolastique dominicaine et par la mystique franciscaine[31]. Lorsqu’il faut concilier cette tradition de la foi catholique avec la place qu’occupe Siger dans le Paradis, Maria Corti observe, non sans excès, que le destin de celui-ci ressemble vaguement à celui de Faust : toujours prêt à se perdre mais sauvé à la fin[32].

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Son commentaire doit beaucoup aux textes de F. van Steenberghen qui veulent montrer qu’après le De anima intellectiva, donc, dans la deuxième partie de sa vie intellectuelle, le maître brabançon s’est converti, de la même manière que Dante, à la vérité du dogme catholique[33]; pourtant, persécuté par mezzi filosofi et quarti di filosofo[34], Siger doit quitter Paris. Aux yeux de Maria Corti, le maître brabançon assume dans le poème de Dante le rôle symbolique du représentant de l’autonomie de la pensée philosophique laïque. Il mérite, comme Faust, de se trouver dans le ciel; et il est juste, et en cohérence avec l’histoire tant humaine que philosophique que ce soit à St. Thomas de le présenter: c’est lui, en effet, qui l’a mené à l’orthodoxie et c’est avec lui toujours qu’il a appris la distinction entre philosophie et théologie[35].

 

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A l’époque où Nardi voulait mettre en place cette théorie de l’évolution intellectuelle de Dante, Etienne Gilson[36] commençait ses réflexions sur le symbolisme de Siger de Brabant par une analyse des vers où celui-ci est présenté comme un professeur à la Faculté des Arts de Paris qui démontrait d’importunes vérités[37]. Les textes sur lesquels se construit son analyse sont les Quaestiones de anima intellectiva[38], où il est manifeste que Siger appartient à la fraction dite des “averroïstes latins”, mais où il n’a rien d’un extrémiste ni d’un rationaliste en révolte contre la foi[39]. De plus, il essaye d’éviter les conflits, il s’y résigne et lorsque les idées philosophiques d’Aristote sont en contradiction avec celles du dogme catholique, il préfère distinguer nettement entre les conclusions philosophiques et celles de la religion, celles-ci étant les seules vraies[40]. Selon Gilson, on ne trouve chez Siger aucune tendance à considérer que la philosophie a le dernier mot sur la nature de l’homme ou sur celle de Dieu, mais ce sont ses adversaires qui n’ont pas compris que c’était sa propre méthode d’exposer des thèses qui étaient à la fois nécessaires (des conclusions philosophiques tirées d’un enchaînement logique) et fausses (qui ne s’accordaient pas forcement avec la vérité de la foi). Or, ils disaient, selon Gilson, que si un raisonnement est nécessaire il est vrai:

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Siger défendrait donc implicitement la théorie d’une double vérité, doctrine imposée et inventée par les adversaires des averroïstes.

Sans écarter complètement la position de Mandonnet selon laquelle Dante n’aurait pas pu connaître les écrits de Siger ou celle d’une possible rencontre entre les deux lorsque le maître brabançon était en Italie vers 1282[41], Gilson insiste cependant sur un autre point: comprendre pourquoi le poète a pu mettre Siger au Paradis ne signifie point qu’on puisse savoir pourquoi il l’y a mis. Le luxe de détails[42] avec lequel il est évoqué, rend possible une interprétation historiciste de quelques lignes du chant X et c’est exactement ce que fait Gilson en disant, à la suite de Mandonnet, que la condamnation de 1277 a mis fin à la brillante carrière professorale de Siger, chose que Dante aurait exprimé avec extrême concision[43]. Il savait donc au moins quelques détails de la vie du maître ès arts, ce qui permet de tenter une solution qui tienne compte du fait que Siger ne lui était complètement inconnu. 

 Toujours en dialogue avec P. Mandonnet, Gilson montre que même si Dante n’a pas connu les écrits du maître brabançon, théorie improbable mais non impossible, il savait au moins qu’il était le représentant de la philosophie aristotélicienne; et c’est à cause de cela qu’il se trouve à côté de St. Thomas, symbole de la théologie. Nous voilà face à une distinction très nette entre philosophie et théologie, une séparation ouvertement défendue par le maître ès arts dans ses écrits. Les personnages du quatrième ciel, le ciel du Soleil, sont des symboles, “une foule des êtres vivants,

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porteurs de significations spirituelles aussi concrètes et vivantes que ceux qui les portent”[44]. Chacun d’entre eux serait donc un signe choisi pour sa fonction spécifique, justifiée par l’histoire ou par la légende. Il s’impose donc deux prémisses de travail: la première, selon laquelle chaque personnage de la Comédie ne conserve “de sa réalité historique que ce qu’exige la fonction représentative que Dante lui assigne”[45]; la deuxième, qui peut être énoncée de la façon suivante: “la réalité historique des personnages n’a droit d’intervenir dans leur interprétation, qu’autant qu’elle est requise par la fonction représentative que Dante même leur assigne et pour laquelle il les a choisis”[46].

Le Siger auquel se réfère Gilson dans son commentaire est tout d’abord l’auteur du De anima intellectiva[47] qui admet que la raison ne s’accorde pas toujours avec la foi et que la philosophie favorise l’unité de l’intellect possible, théories fortement combattues par St. Thomas. Il est donc absurde[48] de dire que le dominicain, en tant que personnage historique, aurait pu glorifier son adversaire; il faut les réduire à leur fonction poétique, les comprendre en tant que symboles: l’un de la théologie intellectualiste et l’autre de la philosophie pure. Or, ce que représente Thomas d’Aquin peut être mis à côté de ce que symbolise Siger de Brabant: une théologie de type thomiste n’est pas seulement conciliable avec une philosophie qui emprunte ses principes à la raison naturelle, elle l’exige même. Dante est en pleine connaissance de cause quand il fait prononcer par le frère dominicain l’éloge du philosophe pur, Siger de Brabant.

Ce que Gilson propose, c’est l’image d’un Dante qui a une certaine considération pour le maître brabançon seulement à cause du fait que celui-ci coïncide dans sa méthode philosophique, en dépit de ses doctrines hétérodoxes, avec la démarche de St. Thomas. Le Siger de Brabant qu’envisage Gilson est le philosophe d’un seule œuvre, De anima intellectiva, réduit à un nombre minime de doctrines (dont la plus importante est celle de la distinction entre philosophie et théologie)[49] et qui, de ce point de vue, ne se distingue en rien par exemple, de Boèce de Dacie; il serait donc le symbole d’une unique doctrine qui peut caractériser ce que l’on a l’habitude de nommer l’“averroïsme latin”. Autrement dit, Dante avait gardé d’une part, de la réalité historique de Siger ce par quoi seulement il pouvait évoquer, en tant qu’“averroïste”, la séparation philosophie-théologie et d’autre part, de la réalité historique de Thomas d’Aquin ce par quoi seulement il pouvait rappeler sa théologie intellectualiste. Quant à soutenir que c’est Thomas d’Aquin qui prononce l’éloge du maître ès arts puisque les principes de sa théologie sont empruntés à la philosophie, cela est une pure supposition de l’historien

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moderne qui, trop attaché à un auteur, voit partout et à tout prix un sommet de la philosophie médiévale autour duquel se concentrent tous les autres auteurs.

 

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        Un commentaire plus actuel a été donné par Ruedi Imbach[50] qui, insistant toujours sur les questions classiques de l’éloge de St. Thomas et de la “béatification” de Siger, attire l’attention sur deux passages extrêmement intéressants de la Monarchie qui certifient nettement une influence averroïste dans la troisième période[51] de l’œuvre de Dante pendant laquelle a été composé le Paradis[52].

Le premier fragment se trouve au chapitre III du premier livre de la Monarchie où, en abordant le problème de l’activité spécifiquement humaine, Dante veut la définir par rapport aux actes des autres intellects: vis ultima in homine [...] esse apprehensivum per intellectum possibilem[53] propre uniquement à l’homme puisque les créatures qui sont au-dessus de lui n’ont pas d’intellect possible quia essentie tales species quedam sunt intellectuales et non aliud, et earum esse nichil est aliud quam intelligere quid est quod sunt[54]. Dante affirme ici l’identité entre esse et intelligere dans le cas des substances séparées, une doctrine que St. Thomas nie explicitement; pour lui, une telle identité est valable pour Dieu seul: dicendum quod impossibile est quod actio angeli, vel cuiuscumque alterius creaturae, sit eius substantia. […] unde in solo Deo sua substantia est suum esse et suum agere[55]. Or, ce sont les “averroïstes” Siger de Brabant[56] et Boèce de Dacie[57] qui soutiennent cette théorie et que l’évêque Tempier condamne en 1277[58].

A ce fait il faut ajouter encore deux considérations: la source la plus probable pour cette théorie est le Liber de causis et Siger n’y a renoncé pas à la fin de sa carrière[59].

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Dans le Liber de causis cette thèse est développée à plusieurs reprises; tout d’abord dans le chapitre VI (VII), quand on explique que l’intelligence connaît les choses qui sont au-dessus d’elle sans qu’elle se meuve à cause du fait qu’elle accomplit une réduction complète sur sa propre essence[60]. En effet, c’est la seule théorie qui montre que l’intelligence peut avoir une connaissance des substances qui sont au-dessus et au-dessous d’elle. Dans le chapitre suivant, VII (VIII), il est dit que l’intelligence est une substance intelligible[61] et, un peu plus loin, chapitre XII (XIII), les choses sont présentées encore plus clairement: omnis intelligentia intelligit essentiam suam[62]. Quant à Siger de Brabant, même si généralement on admet[63] une étroite liaison entre son commentaire sur De causis et certains textes de Thomas d’Aquin sur ce point précis, ils se distinguent fondamentalement.

R. Imbach remarque dans son analyse que ce fragment de la Monarchie contient, en dépit de son caractère toujours contraire aux condamnations de Tempier[64], un autre dogme considéré comme source d’une possible hérésie: l’acte d’intelligere des substances séparées est sine interpolatione, aliter sempiterne non essent[65]. 

L’autre passage sur lequel il faut insister[66] et qui montre aussi les affinités que Dante avait avec l’aristotélisme radical se trouve vers la fin de la Monarchie (III, xv,7-9) où il est question de la double fin de l’homme et de l’indépendance de l’Empire par rapport à l’Eglise. Il s’agit d’une présentation en quatre étapes: (1) la béatitude de cette vie que in operatione proprie virtutis consistit et per terrestrem paradisum figuratur; (2) ad primam per phylosophica documenta venimus; (3) dummodo illa sequamur secundum virtutes morales et intellectuales operando; (4) le chemin et les moyens d’y parvenir ostensa sint nobis ab humana ratione que per phylosophos tota nobis innouit.

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L’homme peut atteindre la béatitude terrestre par l’entremise de la philosophie, une fin proprement rationnelle et indépendante de celle de la théologie; l’une ne se subordonne pas à l’autre, de même que l’Empire ne se soumet pas à la Papauté. Dante maintient donc une séparation méthodologique entre la philosophie et la théologie telle que les maîtres ès arts de Paris l’avait instaurée à la suite d’Albert le Grand.

Il faut noter ainsi un intérêt constant pour les doctrines des professeurs de la Faculté des Arts de Paris dans toute l’œuvre de Dante. Une première conclusion[67] de R. Imbach consiste à dire que si St. Thomas termine la présentation des sages sur l'apologie de Siger, c’est justement parce que celui-ci a mis les fondements de la distinction rigoureuse entre philosophie et théologie donc entre l’ordre temporel et spirituel. “Les profondes convictions religieuses de Dante ne sont pas inconciliables avec l’idée d’une philosophie qui se tient dans les limites de la pure raison”[68].

 Une solution très proche, donc, de celle proposée par E. Gilson mais qui n’insiste pas sur le statut des symboles que les personnages de la première couronne du cercle du Soleil peuvent avoir. En effet, les questions classiques attirent le plus souvent des réponses classiques; et, si on veut renouveler les interprétations, il faut tout d’abord mettre en question la nécessité et la pertinence du classicisme des questions. Ainsi, pourquoi faut-il donner une importance extraordinaire au discours que Thomas d’Aquin prononce sur Siger?

Comme méthode d’un nouveau travail herméneutique, il faut soit utiliser le même critère pour analyser tous les discours que Thomas prononce lorsqu’il présente les sages, soit le changer pour chaque personnage. La deuxième manière ne saurait suffire pour deux raisons: d’une part, on détruirait l’harmonie et l’unité de cette première couronne[69], étant ainsi impossible à saisir pourquoi un tel personnage est plutôt dans le cercle du dominicain que dans celui de Bonaventure (Paradis, chant XII) et, d’autre part, on surchargerait de connotations inutiles les vers, par le plaisir de l’interprétation[70] en mutilant les recherches historiques et philosophiques pour les faire concorder avec les vers de Dante[71]. De plus, comme on a essayé de montrer plus haut, la grande majorité des commentaires se contentent de lire du chant X du Paradis seulement les cinq vers qui concernent Siger de Brabant. Or, si on privilégie un code unique d’analyse, on comprend, d’une manière très simple et primaire, que Thomas d’Aquin fait l’apologie de son adversaire parce que celui-ci se trouve parmi les autres onze sages que le dominicain présente; le fait que c’est une louange par rapport au

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portrait assez pâle d’Albert le Grand ou Denys l’Aréopagite, ne doit pas détourner l’attention vers celui qui prononce le discours. Si on tourne la tête de celui qui est désigné vers celui par l’entremise duquel Dante accomplit son propre hommage, l’on peut confondre l’auteur et le personnage. Symbole ou réalité historique, le Thomas d’Aquin de la Comédie n’est qu’un simple véhicule qui, de la même manière que son analogon, Bonaventure, ne se recouvre pas chaque fois d’autres attributs en fonction du personnage qu’il décrit; il n’est pas dans le même temps un adversaire de l’averroïsme ou une image de la théologie intellectualiste, un admirateur ardent de Salomon, d’Isidore de Séville ou de Bède le Vénérable, mais fort modéré dans le cas de Denys l’Aréopagite. Les difficultés doivent donc être cherchées ailleurs, ce qui revient à demander: pourquoi est-ce que Dante a mis Siger parmi les onze sages?

Ruedi Imbach, qui retient une suggestion de Bruno Nardi et de Maria Corti[72], sans qu’il leur soit complètement fidèle, s’interroge sur la nature de la transgression que représente le voyage d’Ulysse dans le chant XXVI de l’Enfer. Dante ne condamne pas Ulysse en tant qu’incarnation du désir naturel de connaître, mais il révèle par cet épisode que la raison ne peut aller au-delà de son propre champ d’investigation. Ulysse, Siger et Virgile sont tous les trois des figures de la raison humaine, mais chacun la représente en ses différents stades. Virgile manifeste la raison humaine consciente de sa finitude, mais avant l’incarnation, Siger désigne la même idée après l’avènement du Christ et Ulysse symbolise la raison humaine toujours avant l’incarnation, mais sans respecter les limites de la raison naturelle[73]. Tous les trois sont admirés par Dante qui, dans toutes ses œuvres, a défendu la séparation de la philosophie et de la théologie et l’autonomie de la raison humaine par rapport à la religion. Ulysse n’a pas respecté les limites du désir de l’homme[74], d’où sa présence dans l’Enfer, et “il en va de même pour la présence de Siger au Paradis. Le fait que Virgile n’ait pas pu être sauvé reste pour Dante un mystère incompréhensible.”[75] Dans une perspective néoplatonicienne, Ulysse est une âme qui retourne à son origine, signe du mouvement métaphysique de l’exitus et du reditus. Or, Dante change complètement cette manière de lecture : pour lui, le Laërtide qui ne désire plus le retour devient le symbole d’une connaissance qui ne cesse de chercher et d’explorer[76].

Cet épisode de l’Enfer peut subir une autre interprétation qui est construite sur un autre problème cher à Dante, celui de la félicité intellectuelle. Dans le chapitre xv du traité III du Convivio, Dante se lance dans une discussion sur le bonheur de l’homme; les considérations qui précèdent ne constituent qu’un tâtonnement, un dessin à peine

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esquissé. A cet endroit, pour la première fois, Dante déploie un rigoureux système argumentatif qui met en question la félicité humaine. La suprême béatitude de l’homme est au Paradis ; mais, dans cette vie, sa félicité réside dans la pratique de la philosophie[77]. L’homme ne peut pas être content, c’est-à-dire bienheureux, s’il n’acquiert pas sa perfection; sans celle-ci l’homme ressent toujours un désir, même s’il avait d’autres choses, parce que de cette connaissance de la philosophie, perfection de la raison, dépend notre essence[78]. Or, l’homme tend toujours vers ce qu’il ne détient pas et toutes ses vertus (sensitives, végétatives, intellectives), toutes ses opérations sont en vue de ce but. La connaissance humaine est pourtant limitée ; bien que sa perfection réside dans la philosophie, l’homme n’arrive pas à connaître toutes les questions qui sont propres à celle-ci et par conséquent son bonheur n’est pas complet. Certains sujets, tels que Dieu[79], l’éternité ou la première matière, ne peuvent être envisagés par l’intellect humain que vaguement[80]. Cela se réduit en effet au problème d’une possibilité de réception, développé dans Liber de causis, non par hasard le texte le plus souvent invoqué dans ce traité; bien que l’homme désire naturellement connaître et que sa perfection consiste dans la pratique de la philosophie, ses puissances intellectives sont limitées. Le désir naturel est mesuré selon les capacités propres à la chose désirante qui est hors de l’intention naturelle et, dans cette vie, le désir est mesuré à cette science qui ne peut être connue que par une erreur. La Nature ne fait rien en vain, elle ordonne tout vers une certaine fin; or, l’homme est disposé en vue de cette science suprême[81].

On peut déchiffrer ici un premier sens de l’interprétation extrêmement originale que Dante offre à la première sentence du début de la Métaphysique d’Aristote: tous les hommes désirent naturellement savoir, mais leur désir doit être ordonné. Toutes les opérations et toutes les vertus de l’homme sont disposées en vue du bien suprême qui consiste dans la pratique de la philosophie; mais les capacités intellectuelles de l’homme sont limitées, réduites, et par conséquent, tous les sujets qui font partie de la philosophie ne lui sont pas accessibles. Alors, son appétit doit être limité à ses possibilités de connaissances; il ne doit pas tendre vers ce qui ne lui est pas

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accessible. Les hommes désirent naturellement savoir, mais ils désirent seulement ce qu’ils peuvent connaître, ce envers quoi ils sont naturellement disposés: onde, con ciò sia cosa che conoscere di Dio (e di certe altre cose) quello esso è, non sia possibile a la nostra natura, quello da noi naturalmente non è desiderato di sapere[82]. C’est en effet pour la première fois que, dans le cadre de la tradition de la félicité intellectuelle (Boèce de Dacie, Jacques de Pistoia etc.), l’on rencontre l’expression “ce qui naturellement n’est pas désiré à savoir”. La disposition non-naturelle n’est plus, comme pour Averroès dans le Prologue à la Physique[83], ne pas être vertueux; non plus comme dans le De summo bono[84] de Boèce, ne pas suivre le but en vue duquel l’homme est naît; ni, comme dans le cas de Jacques de Pistoia[85], une condition qui ne permet pas d’atteindre la félicité. Pour Dante, franchir les limites de la connaissance humaine constitue l’erreur fondamentale[86], un péché.

 Une fois de plus, il faut remarquer la parfaite cohérence de la pensée de Dante et du fondement philosophique de la Divine Comédie; dans le chant XXVI de l’Enfer, Ulysse est condamné à mort parce qu’il a franchi les limites même de la connaissance humaine. Se sont les limites posées par Hercule acciò che l’uom più oltre non si metta (v.109); mais Ulysse persuade ses compagnons par des paroles qui revien très souvent dans le Convivio et dans toute la tradition médiévale de la félicité intellectuelle: considerate la vostra semenza; / fatti non foste a viver come bruti, / ma per seguir virtute e canoscenza (v. 118-120). Le péché d’Ulysse consiste dans le désir non-naturel, survenu extra naturam, de connaître ce en vue de quoi l’homme n’est pas naturellement disposé. Il ne s’agit donc pas d’un “péché de la raison qui consiste à vouloir utiliser les moyens de la raison naturelle dans le domaine de la foi”[87]. Ulysse est le paradigme de l’homme qui tend vers ce qu’il ne peut pas recevoir, qui veut franchir les limites que la Nature lui a imposé. En outre, il faut remarquer le fait que Dante, dans ces passages, ne semble pas tenir compte des querelles parisiennes sur la séparation des moyens et des domaines de recherches propres à la philosophie et à la théologie; Dante ne dit pas dans le Convivio qu’une connaissance plus claire de Dieu, de l’éternité et de la matière première n’est pas possible en raison du fait que les moyens d’investigation sur ces sujets ne sont pas ceux de la philosophie; il soutient seulement que certissimamente si veggiono e con tutta fede si credono essere, e però quello che sono intender noi non

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potemo[88]. Il ne s’agit pas non plus, comme pour Boèce et toute la tradition à la suite d’Albert le Grand, de ne pas suivre le but suprême de l’homme qui consiste dans la connaissance de Dieu, de l’éternité ou de la matière première[89], mais du contraire de cette chose: e però l’umano desiderio è misurato in questa vita a quella scienza che qui avere si può, e quello punto non passa se non per errore, lo quale è di fuori di naturale intenzione[90]. Ulysse a franchi les limites, son attitude est non-naturelle et son action représente un péché.

On ne peut pas associer Ulysse avec Siger de Brabant et avec Virgile. Le premier témoigne de la disposition extra naturam de l’homme, du désir de connaître ce qui lui est interdit de connaître dans ce monde; le désir sans mesure qui ne tient pas compte des capacités de l’intellect humain. Virgile est peut-être le seul qui symbolise la raison humaine; il est celui qui se fait guide de l’intellect même de Dante[91]; il n’est pas seulement le guide spirituel de Dante, mais aussi et surtout le guide intellectuel, celui qui montre le chemin de la pensée. Siger de Brabant reste pourtant la figure la plus mystérieuse; les cinq vers du Paradis, chant X, ne suffisent pas à donner une réponse satisfaisante; tout essai de le réduire à un symbole échoue dès le début; on ne peut pas simplifier tout l’œuvre de Siger pour qu’il devienne le personnage de quelques lignes du Paradis. Une telle entreprise est risquée aussi parce qu’elle est construite exclusivement sur les connaissances et les préférences philosophiques du lecteur. On a déjà remarqué le fait que les attributs qui décrivent Siger sont des lieux communs, des choses presque banales[92]. De plus, sa présence dans le Paradis ne peut pas constituer une clef de lecture pour toutes les influences produites par son œuvre sur la pensée philosophique et politique de Dante.

 

 

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* Je remercie Najate Z. pour le soin de corriger le français de ce texte.

[1] B. Nardi, Sigieri di Brabante nella “Divina Commedia” e le fonti della filosofia di Dante, estratto dalla  Rivista di Filosofia Neo-scolastica, 1912: 1.

[2] Maria Corti change un peu la perspective et y ajoute: “che significa veramente la frase a morir li parve venir tardo?” (cf. M. Corti, Dante a un nuovo crocevia, Florence: Sansoni, 1982: 98).

[3] E. Renan, Averroès et l’averroïsme, Paris: Alcan, 1852.

[4] P. Mandonnet, Siger de Brabant et l'averroïsme latin au XIIIe siècle, seconde édition, I, Louvain, 1911: 214-251; II, Louvain, 1908.

[5] Notamment celles de Luca Bianchi, Il vescovo e i filosofi: la condanna parigina del 1277 e l'evoluzione dell'aristotelismo scolastico, Bergamo, 1990 et Censure et liberté intellectuelle à l’Université de Paris (XIIIe-XIVe siècles), Paris: Les Belles Lettres, 1999.

[6] Nach des Verurteilung von 1277. Philosophie und Theologie an der Universität von Paris im letzen Viertel des 13 jahrhunderts. Studien und Texte (Hrs. von Jan A. Aertsen, Kent Emery, Jr. und Andreas Speer, für den Druck besorgt von Andreas Speer), dans Miscellanea Mediaevalia, Berlin-New York: Walter de Gruyter, 2001.

[7] Pour une mise en perspective du problème voir Sofia Vanni Rovighi, Studi di filosofia medioevale, I. Da sant’Agostino al XII secolo, dans Vita e pensiero, Pubblicazioni della Università Cattolica del Sacro Cuore, Milan, 1978: 268 sqq. et Ruedi Imbach, Dante, la philosophie et les laïcs, Paris, 1996: 141-144; voir également l’article enthousiaste de Cesare Vasoli, Filosofia e teologia in Dante dans Otto saggi per Dante, Florence: Le Lettere, 1995: 13-40. On s’arrête plus en détail seulement sur les livres les plus importants qui discutent ce problème sans accorder une attention particulière aux autres articles, sans doute nombreux, mais sans un intérêt particulier pour l’historien de la philosophie; on pense ici notamment à toutes les Lecturae Dantis, récentes ou non, qui analysent le chant X d’une manière plutôt littéraire, mais le plus souvent sans même connaître qui était Siger de Brabant; et dans ce sens on cite entre autres le commentaire de Gary Cestaro, Dante’s Divine Comedy. Introductory Readings, III: Paradiso (edited by Tibor Wlassics), University of Virginia, 1995: 153: “Thomas thus completes the harmony of this philosophical [sic!] circle by identifying (seated at his right [sic!] hand) Siger of Brabant: he, too, master of theology [sic!] in Paris […]”.

[8] Nardi, op. cit.

[9] Ibidem: 5sqq.

[10]Oggi possiamo finalmente dire con tutta tranquillità ciò che lo Hauréau, venticinque anni sono, aveva pur detto, (toppo presto, ahimé!): «Siger est maintenant bien connu». A noi è ora dato di leggere una discreta serie di opuscoli che ne rivelano abbastanza la ignota e misteriosa fisionomia (cf. Nardi, op. cit.: 9); à partir de mêmes références,à savoir Mandonnet et Renan, E. Gilson partage aussi cette opinion dans son livre Dante et la philosophie, Vrin, 1972: 257.

[11] Mandonnet, op. cit.

[12] Renan, op. cit.

[13] Nardi, op. cit.: 9; il se réfère ici à la solution suggérée par P. Mandonnet, op. cit.

[14] Nardi, op. cit.: 9.

[15] Ibidem: les chapitres III et IV et aussi 66.

[16] Ibidem: 31.

[17] Ibidem: 66.

[18] Publié par Mandonnet, op. cit., II; il y a une autre édition plus récente de ce texte dans Siger de Brabant, Quaestiones in tertium de anima. De anima intellectiva. De aeternitate mundi (édition critique par Bernardo Bazán), Louvain-Paris, 1972.

[19] Il s’agit notamment d’un changement doctrinal en ce qui concerne le problème de l’unicité de l’intellect. Cf. François-Xavier Putallaz et Ruedi Imbach, Profession: philosophe. Siger de Brabant, Paris: Cerf, 1997: 51.

[20] Ibidem: 51 et 67.

[21] Qui sera adoptée et forgée par Maria Corti notamment dans op. cit.: 79-85 et dans La felicità mentale, Turin: Einaudi, 1983: 51.

[22] Nardi, op. cit.: 69.

[23] Ibidem: 70. A. Gagliardi, dans son livre trop attaché aux conclusions de B. Nardi et M. Corti, Ulisse e Sigieri di Brabante. Ricerche su Dante, Catanzaro: Pullano, 1992: 138, arrive à dire: “questo sguardo di Dante che Tommaso coglie negli occhi di Sigieri vale quanto un trattato sulla concordanza tra filosofia e teologia.

[24] Nardi, Dante e la cultura medievale, troisième édition, Bari: Laterza, 1983; Nardi développe davantage cette solution du changement doctrinal chez Dante dans idem, Dal “ Convivio”, alla “Commedia”, Rome, 1992.

[25] Nardi, Dante e la cultura medievale, 1983: 162-166.

[26] Cf. Imbach, Dante, la philosophie, 1996: 145. Voir aussi Ch. Trottmann, “A propos des ‘duo ultima’: de la Monarchia au Banquet et retour”, dans Pour Dante. Dante et l’apocalypse. Lectures humanistes de Dante (sous la direction de Bruno Pinchard, avec la collaboration de Ch. Trottmann), Paris, 2001: 229 sq. et 233.

[27] Cf. G. Petrocchi, Vita di Dante, troisième édition, Laterza, 2001: 197 et 201.

[28] Cf. ibidem: 197; malheureusement Petrocchi n’offre aucune solution pour la présence de Siger au Paradis, encore plus difficile à comprendre si on tient absolument à une cohérence interne du dernier cantique fondé sur une démarche strictement théologique et qui trahit même un dégoût pour la philosophie.

[29]Da me stesso non vegno: / colui ch’attende là, per qui mi mena / forse cui Guido vostro ebbe a disdegno” (v. 61-63).

[30] Corti, op. cit.: 79 sqq.; voir également idem, La felicità mentale, 1983: 51 sqq. et G. Contini, “Cavalcanti in Dante”, dans Varianti e altra linguistica, Turin: Einaudi, 1970: 433-450.

[31] Corti, Dante a un nuovo crocevia: 84.

[32] Ibidem: 98.

[33] Cf. F. van Steenberghen, Maître Siger de Brabant, Louvain-Paris, 1977: 161: “les Quaestiones marquent évidemment une évolution notable de la pensée de Siger vers un aristotélisme pleinement compatible avec le christianisme où son respect pour les requêtes orthodoxes s’était affirmé de plus en plus nettement au cours des années et, dans ses dernières leçons, consacrées au ‘Liber de causis’, son enseignement était exempt de toute déviation doctrinale, il en avait l’intime conviction.”

[34] Corti, op. cit.: 99.

[35] Ibidem: 100.

[36] E. Gilson, Dante et la philosophie, troisième édition, Vrin, 1972: 256 sqq., mais publié pour la première fois en 1939.

[37] Cela est la traduction que Gilson, op. cit. propose pour l’expression “invidiosi veri”.

[38] Mandonnet, “Quaestiones de anima intellectiva, dans op. cit., II.

[39] Cf. Gilson, op. cit.: 258.

[40] Ibidem.

[41] S. Reinach, “L’énigme de Siger”, Revue historique 151 (1926).

[42] Gilson, op. cit.: 262. Les attributs par lesquels Dante décrit Siger sont, contrairement à ce que dit Gilson, des choses assez banales et généralement connues à l’époque comme par exemple le fait qu’il enseignait depuis longtemps la logique ou la philosophie dans la rue du Fouarre, là où se trouvait la Faculté des Arts de Paris. Un auteur contemporain de Dante, qui enseignait aussi à Bologne, Rambert de’ Primadizzi de Bologna dans son Apologeticum veritatis contra corruptiorum se réfère à Siger sous le même aspect : patet autem sive aliqualiter potest patere rationabilitas huius positionis ex hoc: qui quidquid sit de eius veritate, tamen eorum, qui totam vitam suam in arte demonstrandi occupaverunt, a qua videtur dependere solutio huius quaestionis, multi dicunt, quod demonstrative ostendi non potest. Ensuite, les premiers commentateurs de la Comédie se réfèrent toujours à Siger comme au professeur qui a dédié toute sa vie à l’enseignement de la philosophie et de la logique à la Faculté des Arts de Paris, rue Fouarre. Une telle chose indique que Dante ne voulait pas alourdir ses vers par des caractéristiques qui empêcheraient l’identification du personnage. En lisant le «luxe de détails» dont il est question, Giuseppe Mazzotta a une révélation et par ses capacités extraordinaires éclaire finalement nos connaissances sur la vie de Siger et Dante: “Siger lived in the “vico de li Strami” […] mingled with merchants of straw for horses […]. The precision of the topographical reference […] and the address for Siger’s place of work also renders the famed realism of Dante’s representation, the impression of such a familiarity with Paris to the point of making historians posit the yet unproven theory of the poet’s sojourn there”, cf. G. Mazzotta, “Dante’s Siger of Brabant”, in Dante: Summa Medievalis suppl. de Forum Italicum, Filibrary (9), 1995: 46 sqq.

[43] Cf. Gilson, op. cit.: 262. Plus familiarisé avec l’herméneutique, A. Gagliardi peut lire “in un solo aggetivo tutto il conflitto che porta alla condanna del 1277 e alla fuga di Sigieri da Parigi per andare a morire qualche anno più tardi a Viterbo, accoltellato da un suo servitore […]”, cf. A. Gagliardi, Ulisse e Sigieri di Brabante, 1992: 138.

[44] Gilson, op. cit.: 265.

[45] Ibidem: 266.

[46] Ibidem.

[47] Ibidem: 257sqq.: “les plus intéressants pour nous de ses écrits certainement authentiques sont ses questions De Anima”.

[48] Ibidem: 268 sqq.

[49] Ibidem: 273: “Siger y est introduit comme représentant, non le contenu de l’averroïsme, mais le séparatisme de la philosophie et de la théologie qu’impliquait l’averroïsme latin”.

[50] Imbach, Dante, la philosophie et les laïcs.

[51] Selon la division faite par B. Nardi.

[52] R. Imbach rejète ainsi l’idée de Nardi selon laquelle Dante aurait abandonné complément l’averroïsme lorsqu’il a écrit le Paradis pour se livrer à la théologie, cf. Imbach, op. cit.: 145.

[53] Mon. I, iii, 6. On cite toujours l’édition Monarchia (a cura di Maurizio Pizzica, introduzione di Giorgio Petrocchi), B.U.R., 2001.

[54] Mon. I, iii, 7.

[55] St. Thomas – S.T. I, Q. 54, A. 1.

[56] Siger de Brabant, De anima intellectiva, c. 9 (ed. B. Bazan), Louvain, 1972.

[57] Boèce de Dacie, Quaestiones super librum Topicorum, III, 3 (ed. N.-G. Green-Pedersen-J. Pinborg, Opera Boetii de Dacia, VI, 1, Hauniae, 1976: 172, 38-40: Scientia et voluntas in intelligentia separata non est accidens, sed est sua substantia. (cité par Imbach, op. cit.: 146 et R. Hissette, Enquête sur les 219 articles condamnés à Paris le 7 mars 1277, Paris-Louvain, 1977: 95).

[58] Il s’agit de la proposition 47 selon la numérotation de Hissette, op. cit.: 95.

[59] Contrairement à ce que pense Hissette dans son Enquête, 1977: 97: “dans ses Q. super «Librum de causis», il enseigne que l’identité entre l’Intelligence et son opération n’existe qu’en Dieu”.

[60] Liber de causis, (ed. Pattin), prop. 68: et significatio quidem illius est reditio sui super essentiam suam, scilicet quia non extenditur cum re exstensa, ita ut sit una suarum extremitatum secunda ab alia. On trouve plus largement exploitée cette doctrine dans le chapitre XIV (XV).

[61] Liber de causis, VII (VIII), prop. 73.

[62] Liber de causis, XII (XIII) prop. 109.

[63] Imbach, “Le traité de l’eucharistie de Thomas d’Aquin et les averroïstes”, dans Quodlibeta, 1996: 327, n. 52 et Putallaz et Imbach, op. cit.: 165; voir aussi R.-A. Gauthier, “Notes sur Siger de Brabant. Siger en 1265”, Revue des Sciences Philosophiques et Théologiques 67 (1983): 214 et A. Marlasca, “Introduction”, dans Siger de Brabant, Quaestiones super Librum de causis, Louvain-Paris, 1972: 22; Imbach, “Notule sur le commentaire du Liber de causis de Siger de Brabant et ses rapports avec Thomas d’Aquin”, Freiburger Zeitschrift für Philosophie und Theologie 43 (1996).

[64] Il s’agit de la proposition 48 selon la numérotation de Hissette (76 dans l’édition Piché); la source de Tempier est, selon R. Hissette et A. Marlasca, le commentaire de Siger au Liber de causis Q. 12, 30, 31, 36, 45, 47. Cf. Hissette, op. cit.: 97. Il est probable que ce soient toujours les Quaestiones super Librum de causis du maître brabançon la source de Dante tant pour l’identité esse / intelligere dans le cas de l’intelligence que pour angelus intelligit de novo, bien que cette thèse et l’autre, soient connues notamment grâce au Liber de causis; cf. dans ce cas Liber de causis notamment ch. IX (X) et XIX (XX).

[65] Monarchia I, iii,7.

[66] Imbach, Dante, la philosophie, 1996: 147.

[67] Ibidem: 148.

[68] Ibidem.

[69] Il ne faut pas oublier qu’une de caractéristiques les plus importantes de cette guirlande est qu’elle se montre sous la forme d’un seul cercle dont le centre est Dante et Béatrice (Paradiso X v. 70 et 91-93) à différence de celle de Bonaventure, qui forme deux cercles (Paradiso XII, v. 20).

[70] Pourquoi Albert est-il présenté seulement en trois lignes? Dante pensait-il que le maître de Cologne était moins important pour l’œuvre de Thomas que la plus belle flamme parmi tous, celle de Salomon? Quelle était le rapport que St. Thomas avait, au moins dans les yeux de Dante, avec l’avocat des temps chrétiens qui a influencé le latin d’Augustin? etc.

[71] Dans ce sens voir au moins Mazzotta, op. cit.

[72] Nardi, “La tragedia d’Ulisse” dans Dante e la cultura medievale, cit.: 125-134; Corti, Dante a un nuovo crocevia, cit.: 85.

[73] Imbach, op. cit.: 237.

[74] R. Imbach renvoie ici à un passage du Convivio III, xv, 9 où Dante s’exprime très clairement au sujet du désir humain et de ses limites, ce qui peut éclairer le naufrage d’Ulysse; cf. ibidem: 237sqq.

[75] Ibidem: 238.

[76] Ibidem: 244: “Le naufrage doit manifester que la raison humaine, du moment qu’elle franchit les limites de son champ naturel, échoue nécessairement. Siger de Brabant est le véritable paradigme du philosophe pour Dante, et non pas Ulysse”.

[77] Conv., III, xv, 2. Voir aussi Conv.,  III, vi, 8; III, xi, 14. On cite toujours selon l’édition Convivio (a cura di Giorgio Inglese), B.U.R., 1999.

[78] Conv., III, xv, 4: e in questo sguardo solamente l’umana perfezione s’aquista, cioè la perfezione de la ragione, de la quale, sìcome di principalissima parte, tutta la nostra essenza depende. La thèse de la dépendance de l’essence humaine de la perfection intellectuelle est soutenue pour la première fois dans Conv., III, vi, 8: e però che questa è veramente quella perfezione, dico che quella gente che qua giù maggiore diletto riceve quando più hanno di pace, allora rimane questa ne’ loro pensieri, per questa, dico, tanto essere perfetta quanto sommamente essere puote l’umana essenzia.

[79] Les fortes ressemblances de cette position avec les textes de Thomas d’Aquin ont été mises en évidence par F. Cheneval dans le commentaire qui suit la traduction de Th. Ricklin. Cf. Das Gastmahl (Übersetzt von Thomas Ricklin, Eingeleitet und Kommentiert von Francis Cheneval), Hamburg: Felix Meiner Verlag, 1998: 410 sq. Ce qui représente le point d’originalité de Dante est la manière d’interpréter la disposition naturelle de l’homme comme étant mesurée par le droit désir, un désir limité à ses capacités intellectuelles.

[80] Conv., III, xv, 6. La thèse est déjà annoncée dans III, iv, 9.

[81] Conv., III, xv, 8-9.

[82] Conv., III, xv, 10.

[83] Averroès, Prooemium, Aristotelis opera cum Averrois commentariis. Quartum volumen, De physico auditu, Venise, 1562.

[84] Boèce de Dacie, De summo bono, Opera, Corpus Philosophorum Danicorum Medii Aevii, voluminis VI, pars II (ed. N. G. Green-Pedersen): 369-377.

[85] Jacques de Pistoia, Quaestio disputata de felicitate, publiée par P. O. Kristeller, “A Philosophical Treatise from Bologna Dedicated to Guido Cavalcanti: Magister Jacobus de Pistoria and his Questio de felicitate”, dans Medioevo e Rinascimento. Studi in onore di Bruno Nardi, Florence: Sansoni, 1955: 425-463.

[86] Voir aussi l’étude de Corti, “Bilan des études dantesques et quelques considérations sur Ulysse”, dans Pour Dante. Dante et l’apocalypse. Lectures humanistes de Dante, cit.: 203-214.

[87] Cf. Imbach, op. cit.: 237.

[88] Conv., III, xv, 6

[89] Boèce, De summo bono, p. 376, lin. 209 sqq.

[90] Conv., III, xv, 9.

[91]Drizza, disse,  ver’ me l’agute luci / de lo’ ntelletto, e fieti manifesto / l’error de’ ciechi che si fanno duci” (Purgatorio, XVIII, v. 16-18).

[92] Sauf l’expression encore plus mystérieuse de “che ’n pensieri / gravi a morir  li perve venir tardo”.