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TOMBOUCTOU « Ville exquise, pure, délicieuse, illustre, cité
bénie, plantureuse et animée... » Près de quatre siècles ont passé, mais « Tombouctou la Mystérieuse », selon la formule lancée en 1896 par le français Félix Dubois, continue de fasciner le monde. Dans les pays arabes, une expression populaire évoque une certaine Tombouctou, pays fabuleux, enfer ou paradis, mais qui n 'existe que dans l'imagination. Aux Etats-Unis, des clubs rassemblent les fidèles de Tombouctou ; seule condition d'adhésion : un cachet administratif apposé sur le passeport, attestant le passage du candidat dans la légendaire cité. |
Campement des nomades berbères du XIIe siècle qui rejoignaient ici le fleuve Niger à
la saison sèche l'endroit se développa grâce au commerce transsaharien. Les opinions
divergent quant à l'origine de son nom. La plus connue, celle d'Es Sâdi formulée dans
le Tarikh es-Soudan, veut qu'une vieille femme appelée Bouctou ait été chargée de
garder ici le puits des Touareg en dehors des périodes de transhumance ; le campement
devint Tin-Bouctou, le lieu ou le puits de Bouctou. Selon une autre hypothèse,
Tombouctou, fondée par des populations songhoï, tire son nom de la cuvette où la ville
fut édifiée entre le dunes (Tombouctou signifiant « cavité »). Des historiens
soutiennent encore que Tombouctou voudrait dire la « petite dune » et serait ainsi
nommée du fait des mamelons de sable qui l'entourent. Linguistes, traditionalistes et
historiens s'accordent néanmoins sur un point : l'origine berbère de la ville. Le style d'origine a été respecté. Dépouillé, robuste, couvert de terrasses en
banco dont émerge la forme d'abord pyramidale puis conique d'un minaret hérissé de
pieux servant à l'entretien des murs, le monument de Djingareiber trône au sud-ouest de
la ville, environné de bâtiments de la même veine. Massifs à la base, les murs
s'effilent vers le haut, soutenus par des renflements ou des piliers faisant corps avec
l'édifice et l'entourant. Peu d'ouvertures sur les façades, presque pas de fenêtres,
sauf aux étages, mais en revanche de lourdes portes décorées d'énormes clous. La
mosquée de Djingareiber (ou mosquée du Vendredi), est la seule des trois mosquées de la
ville, où la visite est autorisée. On peut accéder à la terrasse qui permet
d'apprécier l'échiquier de la ville, et de constater l'inexorable avancée d'un trop
gourmand désert.
Séjour aristocratique depuis le XVe siècle, le quartier de Djingareiber communique avec les autres par de larges rues, naguère couvertes d'un fin gravier, aujourd'hui envahies par le sable. Au nord de la mosquée principale s'élève celle de Sankoré, que fit bâtir dans la première moitié du XVe siècle une vieille femme de Tombouctou ; Sankoré abritait la Medersa, cette université qui valut au XVe siècle son rayonnement international à la cité
qui, à l'époque, comptait près de 100 000 habitants. Vingt-cinq mille étudiants se répartissaient entre l'université et les cent
quatre-vingt écoles coraniques ; provenant de tout le monde musulman, ils venaient
parfaire leurs connaissances en théologie, en droit, en grammaire, mais aussi en matière
de traditions, d'histoire et d'astrologie. Cette période succédait à une longue
opposition entre les ulémas touareg et l'empereur songhoï Sonni Ali Ber (début du XVe
siècle), réputé anticlérical, mais elle n'en fut que plus faste pour l'esprit et la
religion. Aux lettrés et écrivains et théologiens du Maghreb, venus autant pour
apprendre que pour enseigner. Des professeurs de Tombouctou se voyaient invités par la
célèbre université musulmane d'AI-Ahzar, en Egypte: des jurisconsultes marocains de
Fès faisaient le voyage de Tombouctou pour renouveler leur savoir Du sud arrivaient des pirogues entières de noix de kola, d'or, d'ivoire, de plumes d'autruche et... d'esclaves. Des traités se négociaient sur cette place financière avant la lettre. Aujourd'hui, Badjindé n'a plus à vendre que son pittoresque : bijoux de paille passés à la cire pour leur donner la teinte de l'or, poupées de cire joliment habillées et décorées par les femmes touareg, et toutes ces richesses d'un artisanat millénaire que constituent les armes, les harnais, les colliers et les chaînes d'or ou d'argent, naguère apanage de l'aristocratie targui (singulier de touareg). Dans les rues d'alentour, seuls vestiges du passé commerçant, des fourneaux en banko produisent tou jours leur lot quotidien de délicieuses galettes rondes. A la tombée du jour, ils forment des niches rouges et béantes, détail insolite, qui participent à la fascination exercée par la ville.
Le port de Kabara, à 12 km plus à l'est, connaît une population de dockers
occasionnels et de nomades touareg campant dans des tentes-ballons. Deux fois par an, il
retrouve son animation d'antan avec l'arrivée de l'Azalaï, caravane de deux cents
chameaux apportant des mines de Taoudenni (à 710 km au nord de Tombouctou, soit à un
mois à dos de chameau ou trois jours en véhicule tout terrain) la Seule production du
désert, le sel. D'après d'autre confidences, Tombouctou la mystérieuse appartient tous les soirs aux
femmes. Le coup d'arrêt porté à une vie sociale quelque peu libertine semble dater de l'empereur songhoï Askia Mohammed ; déplorant la prostitution sur une grande échelle, l'adultère quasi généralisé et les scènes d'une extrême impudence qui se déroulaient sur les places publiques, il se résolut à sévir, aidé en cela par les ulémas et les marabouts. En définitive, si mystère il y a à Tombouctou, il résiderait peut-être fort prosaïquement dans une évidence, à savoir que sa réputation de sainteté est contrebalancée par la renommée contraire. Et les voyageurs de jadis une fois dans le secret, pouvaient se retrancher derrière cette jolie formule qui a résiste au temps : « Tombouctou la Mystérieuse »
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