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A l30 km au sud-ouest de Mopti, Djénné a conservé les prérogatives d'une forteresse
sise au milieu de l'eau qu'ont voulu lui conférer ses fondateurs voici douze siècles.
Le jour de la foire -- le grand marché du lundi -- Djenné retrouve chaque semaine son ancienne splendeur. Sur la grande place dominée par la mosquée s'échangent, comme au temps de l'empire produits du Sud agricole et trésors du Nord désertique. De Bamako ou de Ségou arrivent à bord de pirogues pleines à couler, le mil et le riz, le coton et la noix de kola en provenance des lointaines forêts du Sud ; de Gao ou de Tombouctou -- après des jours de voyage sur le Niger -- et de Mopti sur le bras oriental du Bani, le sel gemme découpé en barres dans les mines du désert, le poisson séché des lacs et des fleuves du Nord. Ce jour-là, Djenné regorge de couleurs et de senteurs. Les jeunes filles peul aux immenses boucles d'or pendant de leurs oreilles ! jusqu'à leurs épaules mêlent leurs rires aux cris de leurs mères proposant le lait de leurs chèvres. Majestueusement drapés dans leur dichdacha blanc ou bleu azur, le visage caché derrière leur litham de la même teinte, amulettes sur la poitrine et sabre aux côtés de fiers Tamasheq (Touareg ) traversent le marché d'un air imperturbable, derrière eux vient la horde docile ou asservie de leurs serviteurs et de leurs servantes bella celle-ci uniquement enveloppées dans une loge dont le bleu indigo évoque irrésistiblement la race fameuse des hommes bleus du désert. Eleveurs nomades, femmes de pêcheurs bozo, paysans de Ségou ou forgerons de Mopti se
donnent ici un rendez-vous hebdomadaire depuis des siècles. A l'odeur doucereuse de la
poudre de néré se mêle celle plus violente du poisson séché ; le fumet des morceaux
de mouton grillé l'emporte sur le parfum des feuilles de menthe jetées dans les
théières trônant sur une multitude de "fourneaux malgaches ". La journée
entière se déroule ainsi depuis toujours. Comme si chaque semaine, pour la durée d'une
foire, Djenné revivait et résumait toute son histoire. A l'apparition de l'islam, le palais fut détruit pour faire place à une mosquée, dont la tradition veut qu'elle surpassât en beauté celle de La Mecque. Sept siècles durant, cette réputation fit de Djenné le sanctuaire de l'islam ouest-africain avec lequel Tombouctou rivalisait difficilement aux XIV è et XV è siècles. Autour de la mosquée se regroupèrent des universités et des bibliothèques attirant vers la cité sages et savants, professeurs venus d'Arabie ou d'Egypte, étudiants accourus des rives de l'Atlantique ou de l'intérieur du pays Mossi. Englobée dans l'empire du Mali, puis annexée en 1473 par Sonni Ali Ber, fondateur de
l'empire songhoï, Djenné profita de l'expansion impériale. Métropole culturelle, la
ville fut respectée par les conquérants successifs qui n'ignoraient pas le parti que
l'on pouvait tirer d'une ville sainte. La vieille mosquée ne fut détruite qu'en 1830,
lorsque le roi-marabout du Massina. Cheikou Hamadou, jaloux du prestige de Djenné et
tenant d'un islam ascétique et dépouillé, décida de créer une nouvelle capitale :
Hamdallahi.
L'édifice sacré que le voyageur d'aujourd'hui peut encore admirer date de 1907. Bâti
sur l'emplacement de la mosquée des premiers, âges, il en a conservé l'aspect, Ses
quatre côtés sont orientés en direction des quatre points cardinaux, Face au grand
marché.
La façade principale est constituée de trois tours séparées l'une de l'autre par
cinq colonnes en terre battue. Sur tout le pourtour de la mosquée, cent piliers - chacun
d'un mètre carré à la base - enserrent les murs. Cette imposante bâtisse hérissée de
tours, aux énormes portes percées dans le mur, demeure le symbole de cette architecture
soudanaise qui a tant inspiré l'urbanisme des métropoles du Sahel. C'est pourquoi
Djenné s'en-orgueillit de la protection jalouse dont l'entoure sa caste de maçons. Les
bari, qui se transmettent leurs talents de génération en génération depuis près d'un
millénaire. La cité s'est construite et développée autour et à l'image de la
mosquée. Chacune des masses cubiques -- dites " carrés " -- qui bordent les
rues de Djenné abrite un village entier. Au centre se trouve une cour commune sur
laquelle s'ouvrent tous les appartements familiaux, régulièrement pourvus d'un
étage-dortoir dont le toit forme une vaste terrasse courant sur toute l'étendue du
"carré ". Vus de loin, les murs d'argile donnent aux bâtiments l'aspect d'un
volume taillé en plein roc. En fait, cette illusion est due à la couche de sable dont
les maçons ont crépi les façades extérieures et les pans qui couvrent la cour
intérieure. Le plus souvent, une seule porte sert d'entrée à toutes les familles d'un
"carré ". Percée dans le mur, elle est fermée par un lourd battant de bois
orné de gros clous. L'Askia Issiaka, empereur songhoï en visite à Djenné, rassembla un jour toute la
population pour recueillir ses doléances et écouter les reproches qu'elle avait à
adresser aux administrateurs impériaux, allant même jusqu'à promettre de prendre des
sanctions contre les oppresseurs. Un sage, Mahamoud Bagayoko, lui fit, renouveler sa
promesse avant de l'accuser personnellement d'être le "plus grand oppresseur ",
étant le "père de tous les oppresseurs ", et d'ajouter : " Si tu dois
mettre à mort l'oppresseur commence par toi-même et hâte-toi de le faire ! " |
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