Je
vous remercie de m'avoir donné l'occasion de m'exprimer: ma communication a
pour titre : "Introduction à une éthique et une stratégie: l'intégralisme
des Droits de l'Homme". C'est un sujet trop ambitieux pour être traité
sommairement.
Une immense distance sépare vos réflexions en
occident, et nos préoccupations dans le tiers monde. En écoutant les discours,
tout au long de la journée d'hier des représentants du gouvernement français et
de l'opposition, je me suis surpris à dire : quelle leçon de choses sur la
démocratie car le principe fondamental de la démocratie est le dialogue, plus
que le suffrage universel que la dictature peut récupérer à loisir, sous ses
formes plébiscitaires, pour des débuts de légitimation, même s'agissant de
choix réels et libres, les élections n'ont une signification démocratique que
si elles sont préparées, précédées, accompagnées et suivies par un dialogue
entre la majorité et la minorité qui forment l'unité nationale.
En
occident, il existe un consensus général autour du principe démocratique,
brillamment illustré par l'allocation du professeur Duverger. C'est pourquoi
vous envisagez la promotion de la troisième catégorie des Droits de l'homme :
droit à un environnement sain, à l'air et à l'eau purs, non pollués, vous
anticipez sur les risques de manipulation policière que comporte
l'informatisation des fichiers, ainsi que sur les retombées de certaines
conquêtes scientifiques et technologiques telles que le génie génétique.
Dans les pays dits de tiers monde dont, je
tiens à le préciser, je ne suis pas le porte-parole, nous en sommes encore
souvent à des questions de survie, de vie tout court, et non pas de qualité de
vie.
Ce n'est pas que les problèmes de la qualité
de la vie ont moins d'intensité chez nous, comme l'a peut-être sous-entendu le
bâtonnier Pettiti; l'eau est une préoccupation de tous les jours non seulement
pour une humanité qui en manque pour des raisons climatiques, mais aussi pour
cause d'options économiques qui n'ont pas pris en compte le bien-être des
populations. Mao Tsé-Toung n'a-t-il pas dit, dans une de ses observations non
dogmatiques (en substance) "l'eau, le fumier sont plus utiles que la
théorie marxiste?" Etait-ce des dirigeants, pour lesquels la devise est
"Périsse le peuple pourvu que vivent les idées officielles"? Le Tiers
monde rongé par toutes sortes de guerres, aspire, d'abord et avant tout à la
paix civile.
Le droit à la paix est une condition sine qua
non du respect et de promotion des autres Droits de l'Homme, les peuples et les
individus sont impuissants, puisqu'ils ne disposent d'aucun recours, d'ordre
intérieur ou international, pour s'opposer à la guerre: ni accès au mécanisme
de la décision gouvernementale, ni liberté de la presse et d'association pour
faire contrepoids et défendre les sentiments véritables et les besoins des
citoyens. Les phénomènes d'auto-destruction éclipsent le droit
d'auto-détermination.
Nous retrouverons toujours le préalable de la
démocratie pour éviter les aventures bellicistes d'abord et ensuite faire échec
aux aventures économiques, culturelles et politiques qui aboutissent à la
destruction des richesses agricoles et du patrimoine civique. La démocratie
c'est le Droit à la paix, le Droit au développement, c'est le droit des
personnes et des peuples à l'auto-détermination interne et externe. Ce droit ne
s'éteint pas avec la naissance de l'état; ce dernier en est l'expression ou
n'est pas digne d'être un état au sens civilisé du terme.
C'est
dire la difficulté de promouvoir le Droit de sûreté par exemple, le Droit à la
justice, à la participation aux affaires solennellement proclamé par la
Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, dans des régimes non
démocratiques. Quand à contrôler les prérogatives et les pratiques d'une
police, c'est un sujet tabou, dans des systèmes politiques où celle-ci à des
fins "particulières" (Déclaration de 1789).
C'est dire que si, dans la conscience
politique et l'imaginaire de l'Occident, l'époque contemporaine se divise en
Avant-guerre -Avant le nazisme et le fascisme- et Après, les sociétés du Tiers
monde n'ont connu de répit avec le colonialisme, à peine une récréation au
moment de l'indépendance, car, sans tomber dans la caricature et sans aller aux
détails des typologies, elles ont assisté à la montée des ersatz de fascisme.
On réduit ces nations à "Ein Fuhrer, Ein Volk, Ein Sprach". Une
absolutisation qui réduit cette trinité à un seul être, celui qui s'approprie
en premier le pouvoir, une seule langue à l'exclusion des autres, cela veut
dire son discours, et son "Ein Partei" qui lui permet de parler au
nom du peuple, en vue de le mettre dans un tiroir. Propagande et polices
politiques s'efforcent d'éteindre l'opinion et de soumettre les Hommes.
La version méridionale du despotisme est
peut-être plus appropriée à l'hémisphère Sud. "Il Duce a sempré
raggione", le chef d'état a toujours raison. La raison d'état, limitée en
Occident par un niveau minimum d'institutions (liberté de la presse, séparation
du pouvoir judiciaire et de l'exécutif), de traditions politiques et de culture
morale, n'admet pas de limites autres que la raison du chef d'état. Nous savons
où peuvent conduire les formes de déraison qui caractérisent les psychopates,
la folie meurtrière d'un président cambodgien, d'un Empereur centrafricain et
d'un général chilien à l'ivresse mégalomaniaque, le One-Man-Show system la
multiplication des régimes de dictature nous rappellent l'ordre Nouveau, un
ordre panétatique qui a tendance à se mondialiser sous la pression des deux
super puissances.
La Conférence de Bandung, qui a marqué et
activé le processus de décolonisation, n'a été qu'un jaillissement éphémère,
l'entrée de nations prolétaires, les principes proclamés après la Déclaration
de Bandung, l'éthique et la stratégie esquissées ou implicites pour un
non-alignement des pays d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine, en coopération
avec l'Europe, furent une lumineuse espérance fondée sur l'humanisme des Droits
de 'Homme en voie d'universalisation. Aujourd'hui, oublié Bandung, oubliées les
valeurs de justice et de liberté investies dans le combat libérateur! Les
dirigeants du Tiers monde se dispensent de célébrer cet énorme rendez-vous
d'Avril 1955, un point de repère qu'ils s'efforcent de brouiller, pour que les
Femmes et les Hommes dont ils ont la charge ne puissent mesurer le distance qui
les sépare de leurs idéaux.
En dépit du grand catalysme couvert par les
vociférations de la Kultur et des "I combatti del destino", malgré
les destructions colossales d'une guerre totale, il faut constater que les pays
occidentaux s'en sont heureusement bien sortis. Vous avez pu reconstruire vos
économies, ainsi que vos systèmes politiques. C'est la preuve que la
sempiternelle excuse "la démocratie est un luxe que ne peuvent se payer
les pays sous-développés" n'est pas fondée ni en théorie, ni par l'expérience.
Les pays industrialisés peuvent se payer le luxe et ils l'ont payé très cher et nous avec eux de
grè ou de force de violentes ruptures dictatoriales, mais par nos jeunes états
écrasés par de lourds handicaps. Ils ont besoin de toutes les énergies
nationales, de l'adhésion fervente et de la participation responsable de tous
et de chacun. Nous ne devons pas perdre de vue que vos pays ont bénéficié de
siècles de croissance économique et de stabilité politique et si vous avez pu
rapidement reconstruire vos systèmes démocratiques, c'est aussi grâce à
l'amplitude du champ intellectuel qui a préparé les conquêtes politiques
successives. Rappelons que la Révolution de 1789 et la Déclaration des Droits
de l'Homme et du Citoyen sont la résultante de trois données principales:
A) Le
développement d'une conception rationnelle et universelle de la politique,
basée sur les progrès de la connaissance et la libre recherche. Locke et Hobbes
avec les "conditions d'un gouvernement civil" et le
"Leviathan", Montesquieu et Rousseau "l'Esprit des lois"
(vous vous souvenez Me Buttin, lors de "mon" procès devant la Cour
Révolutionnaire, en Avril 1965, ayant évoqué la principe de la séparation des
pouvoirs, j'avais fait un jeu de mots en disant :"Vous allez découvrir des
lois de l'esprit totalitaire), les oeuvres de Spinoza et de Pufendort en faveur
de la séparation de l'église et de l'état. En revanche, dans notre ère
culturelle, on n'a pas fait d'effort dans le sens de l'autonomisation de la
politique, en tant que discipline, par rapport à la pensée religieuse.
B) Le
développement d'une morale politique en dehors du champ religieux, "la
connaissance résulte de l'expérience" soutenait Holbach, "le bonheur
est la source de nos actions" disait Pope, pour Wolf "la loi
naturelle s'impose même si Dieu n'existait pas", inutile de noter que
personnellement, je n'approuve ni ne désapprouve ces pensées. Ce sont des
illustrations témoignant d'un combat d'idées, même si les avancées ultérieures
feront justice de certaines de ces idées.
N'oublions
pas Darwin, à ce propos, qui, il faut le dire en passant, a suscité des
réactions violentes de la part des courants "Fondamentalistes" en
Amérique et "intégristes", en Italie notamment, au 19 éme siècle :
"Dieu ne peut pas avoir fondé la création sur les lois de la jungle".
Dans cet essor intellectuel, la raison, d'une façon générale, accentue son autonomisation par rapport aux préjugés et
aux dogmes de toute nature.
C) La
montée d'une bourgeoisie libérale en France qui, faute de traditions
démocratiques existant dans les pays à dominante protestante (Grande-Bretagne,
Pays scandinaves), se fait porteuse de l'idéal démocratique et de la laïcité
pour prendre le pouvoir à la noblesse et au clergé, s'ensuit l'émergence du
capitalisme sauvage, une approche prométhéenne du monde, une civilisation
matérielle, une stratégie de domination de la nature et de la planète tout
entière: d'où les conquêtes coloniales dont nous fûmes les victimes, la
destruction des équilibres naturels, l'épuisement des ressources que certains
orateurs ont déploré à propos du droit au développement et du l'étouffement des
langues régionales doit être lié au capitalisme, soucieux de s'aménager des
marchés nationaux par le moyen de la centralisation de l'état et par
l’homogénéisation de la nation. Le développement de l'état communiste n'a pas
fait mieux, en dépit des coquetteries constitutionnelles et idéologiques, au
secours de la fiction d'un état qui se veut le contraire de l'empire russe des
Tsars, un état multinational respectant le pluralisme linguistique donc
culturel.
Malgré le colonialisme et les lourds
héritages de nos sociétés, la dictature n'est pas une fatalité. On ne peut,
certes, pas sous-estimer, à titre d'exemple les effets déstabilisateurs du
partage (au compas et au crayon, sur une simple carte géographique
déshumanisée) issu du congrès de Berlin. Il y a de cela un siècle, fin
1884-début 1885, les puissances coloniales ont taillé dans la chair
ethno-culturelle et se sont taillées des "territoires" arbitraires au
détriment de la cohésion spatiale et culturelle d'une multitude de sociétés.
Aussi
bien, le nouvel état africain est au départ déstabilisé, qui précède
l'existence de la nation et va au surplus, tenter de construire la nation sur
le modèle jacobin uniformisateur et centralisateur à outrance. Au lieu de
prendre en compte les composantes ethno-culturelles diverses, il ne se pose
même pas le problème central de l'intégration nationale. Il le suppose résolu.
Le verbe va remplacer l'examen des réalités sociologiques, les mythes de
l'unité nationale couvrir les pires violences historiques. Déstabilisation,
sous-développement et fuites en avant, dans la spirale du despotisme, l'impasse
du Tiers monde évoque le mythe de Sisype, la quadrature du cercle. L'Afrique et
l'Asie n'ont pas tiré profit de la longue expérience de l'Amérique du Sud :
"Voici plus d'un siècle et demi que chacun de nos états met les militaires
aux affaires civiles afin de gagner du temps, que nos armées veulent mobiliser
nos nations en vue de brûler les étapes de développement. A quoi avons-nous
abouti? A démobiliser les peuples, à aggraver les conditions de vie, à nous
enferrer encore davantage dans la dépendance et le sous-développement. Jamais
aucune dictature n'a tenu ses promesses, les progrès réalisés, ici ou là,
servant à cacher des échecs plus graves et des régressions plus
profondes".
Ce
message pourrait faire partie de ce dialogue de civilisations dont on parle
tant. Hélas! l'ivresse du pouvoir cloisonne les cœurs et les sens. Comment les
chefs africains et asiatiques entendaient-ils les avertissements quand l'exil
de l'écoute continue de sévir en Amérique "latine" même? Et les
rencontres régionales et internationales, les résolutions et les stratégies
onusiennes de développement, n'ont guère fait passer la "Ruse de
l'Histoire" d'un pays à un autre, d'un continent à un autre. Sinon et à la
lumière de l'expérimentation historique, comment peut-on dire aujourd'hui,
qu'il y a de bonnes dictatures? Il n'y a pas une bonne et mauvaise dictature,
il y a des peuples soumis et des peuples qui résistent. La dictature ne fait
que changer de manières et le dictateur devient méchant quand les manières
douces cessent de fonctionner. Force est donc de constater l'interversion des
choses. Les pratiques du despotisme ont fait échec aux ruses de l'histoire et
enrichi l'histoire de la ruse.
Tous les gouvernements anti-démocratiques se
proclament démocrates et n'hésitent pas à prendre des engagements
constitutionnels et internationaux, pour respecter et promouvoir les Droits de
l'Homme. Pinochet invente l'expression de démocratie totalitaire. Les potentats
recourent au camouflage. L'hommage du vice à la vertu Il Duce n'allait pas
jusque-là. A chaque époque sa comdia del arte, la sienne pouvait être créditée
de franchise, que l'on confond avec le cynisme. Le bilan des droits de l'homme
se lit sur les enfants de Bangui, du Brésil, des Boat People et d'Ethiopie,
fauchés par milliers par la famine et le bon vouloir des despotes de droite et
de gauche. Chaque jour le Tiers monde nous ravitaille en atrocités, en visions
de guerre, l'insoutenable routine‚ devient presque banal et entretient sans
doute l'illusion, en Occident, que le monde vit dans la paix et
l'après-fascisme.
Les régimes démocratiques sont aujourd'hui
une minorité, comme si l'histoire avait deux vitesses : l'une pour l'intrusion
de la dictature, l'autre pour l'installation de la démocratie. Celle-ci
requiert une longue patience, c'est un apprentissage de chaque instant. Quant à
celle-là, la force brutale suffit, les mécanismes des putschs sont expéditifs:
l'universalisation des Droits de l'Homme se développe dans le sens de leur
violation et non de leur promotion. La perte de l'auto-détermination interne
par les peuples et les individus du Tiers Monde est toujours en corrélation
avec la perte de l'auto-détermination externe de la souveraineté extérieure.
L'une suivant ou précédent l'autre ou bien les deux tutelles, indigène et
étrangère se coordonnant, se co-gérant. Issue de Yalta, la bi-polarisation
verticale du monde tend à structurer les gouvernements autoritaires dans le
sens d'un condominium russo-américain.
Tout se passe comme si ces gouvernements
servaient de relais à cet ordre nouveau à deux pyramides, l'apocalypse et la
guerre froide fonctionnant comme le Bogey, le croquemitaine; les deux combinats
militaro-industriels suscitant ou encourageant les guerres périphériques
indirectes, afin d'étendre leur système mondial de protectorat sauf à se faire
une guerre idéologique politique et économique directe par le moyen de
transnationales.
Dès lors, les interrogations portant sur les
crises et les impasses internationales, dans tous les domaines : échec des
dialogues Nord-Sud, des trios décennies dites de développement et liées au
désarmement décrétées par l'O.N.U, échec du désarmement, des négociations
commerciales et monétaires, trouvent leurs réponses dans l'instauration subtile
mais résolue d'un ordre pan-étatique dominé par deux hégémonies dans lequel le
Peuple, les Femmes, les Hommes, c'est à dire le monde en tiers, n'a pas voix au
chapitre. Le nouvel ordre Economique International ne pouvait qu'échouer. Son
intitulé est significatif : comment est-ce les dictatures politiques peuvent
promouvoir la démocratisation des structures économiques et des institutions
internationales? C'est un contre-sens flagrant! Ce n'est pas un hasard si elles
sont privilégiées par le F.M.I, le P.N.U.D et la Banque mondiale notamment.
On
ne peut promouvoir les Droits de l'Homme économiques et sociaux là ou les
Droits de l'Homme civils et politiques sont confisqués. En matière des Droits
de l'Homme, les institutions de protection se trouvent bloquées par la
solidarité‚ pan-étatique qui tire avantage de la clause d'exception, dite de
souvrainté, qui empêche l'immixation dans les affaires intérieures. Boucher est
maître chez soi, le grossiste seul retient de droit au regard. Ainsi, les USA
et l'URSS opposent leur véto à l'O.N.U. pour empêcher la condamnation des
colonels salvadoriens et chiliens, devant la Commission des Droits de l'Homme à
Genéve. Signataires de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et des
deux pactes internationaux, plus d'une centaine d'états, membres de l'O.N.U.
violent le droit de sûreté‚ musélent la presse, suppriment les libertés
d'association politique et syndicale, linguistique et culturelle, entravent la
volonté des citoyens de choisir librement leurs représentants et ne leur
laissent aucun moyen démocratique de critiquer ou de mettre fin à leur gestion.
La propagande remplace les vertus éducatives
du pluralisme des idées et des écrits. Esprit de domination ou tutelle
paternaliste, on va jusqu' à choisir et limiter la lecture des sujets aux seuls
classiques du dogme officiel. Il n'est pas exagéré, à propos des pays
sous-développés d'envisager le monde orwellien soumis au Big Brother, les
conquêtes de l'informatique au service du contrôle policier et de la
propagande. Tant de misére sociale et morale : on dirait que les pouvoirs
préparant la voie aux seules alternatives fondamentalistes ou intégristes de
droite et de gauche.
Pour faire face à cette crise de
civilisation, il faut repenser l'idéal des Droits de l'Homme et engager un
processus de colloques, de conférences plus fréquentes et plus universelles,
afin de définir les grandes lignes d'une éthique susceptible de redonner à cet
humanisme en gestation plus de crédibilité‚ et d'impact mobilisateur. Puis-je
suggérer qu'il convient en premier lieu d'opérer un travail de clarification
idéologique et de démystification en matiére des Droits de l'Homme? Quand je
propose l'expression "intégralisme des Droits de l'Homme", c'est
d'abord en réaction aux idéologies qui tentent de parcelliser, catégoriser,
hiérarchiser et opposer les Droits de l'Homme les uns aux autres. Nous savons
qu' à la zone d'influence USA correspond, du point de vue conceptuel et de
propagande, la catégorie des Droits de l'Homme couvert par le Pacte des droits
civils et politiques.
C'est
le "Monde libre" de la démocratie politique. Pour l'aire soviétique,
les libertés formelles sont des notions bourgeoises, ce qui importe, c'est de
promouvoir les Droits de l'Homme du Second pacte, les droits économiques et
sociaux. Le résultat de ce fractionnement, au demeurant récursé par le texte de
la Déclaration universelle vous apparaît évident, mesdames, messieurs, les
contre-performances s'expriment dans les domaines des Droits de l'Homme
privilégiés par l'une ou l'autre des super-puissances. Qu'on interroge des
Chiliens et les Salvadoriens sur leur "Droit au bonheur" et les
travailleurs des pays de l'Est ou les victimes étythéennes de la famine,
ravitaillées en blindés, sur leur niveau de vie.
L'intégrisme des Droits de l'Homme postule
l'intégrité de la dignité humaine, le respect de l'intégralité de ses
dimensions multiples. Les Droits de l'Homme sont inaliénables et
imprescriptibles, sont indissociables, inséparables: le droit au pain, au
logis, à la libre circulation, les libertés personnelles et publiques, le droit
d'élire et de se débarrasser démocratiquement d'un dirigeant dont l'appropriation
absolue de la puissance publique finit par déstabiliser les facultés mentales.
Quand nous parlons de la transcendance des Droits de l'Homme, nous voulons
rappeler que la dignité de la personne humaine, dans ses multiples dimensions,
a précédé la formulation de ces Droits
: Manifestes, Déclarations, Pactes, n'ont pas été écrits sur des feuilles
blanches. Ils sont arrachés par les luttes qui ont pour origine les instincts
et les sentiments de justice, de liberté et d'égalité les plus profondes. C'est
dire que les gouvernants ne peuvent prétendre les créer. Ils n'ont pas à les
reconnaître.
Ils doivent, et ils sont là pour cela, les
protéger et les promouvoir, dans un régime de Droit. Les Hommes et les Femmes
ont pour devoir de surveiller avec vigilance et de veiller à ce que leur
dignité ne leur soit livrée, découpée en tranches, elle constitue un tout.
Certes, il faut se battre pour le respect de l'intégrité physique et morale et
bannir la torture, mais cela doit aller de pair avec tous les autres aspects,
manifestes ou potentiels, de l'équilibre personnel, tel que le droit
d'apprendre et de sauvegarder sa langue maternelle. Du reste, l'histoire nous
enseigne que les violations des diverses libertés sont, elles, solidaires et
s'enchaînent les unes aux autres. Quand on instaure la censure ou qu'on viole
le droit de grève, l'engrenage de la répression n'est pas loin, la torture est
au bout. C'est ce qui me fait dire qu'il n'y a pas de bonne dictature, toute
dictature est une déstabilisation ( coupure de la nation par rapport à l'état,
corruption de l'état de droit et des fonctions de l'état) et la déstabilisation
pousse vers l'aventure. Il s'ensuit au niveau national, l'intégralisme des
Droits de l'homme est la reconstruction de l'idéal démocratique sur une conception
réunifiée des Droits de l'Homme. Il faut rompre la rupture de caractère
idéologique qui joue sur les frontières établies entre les deux catégories et
donc rétablir la dialectique de soutien et de fécondation mutuels entre
l'ensemble des Droits de l'Homme.
Pluralisme politique, syndical, linguistique,
associatif, en un mot démocratisation dans tous les domaines, avec le règne de
la loi, d'une loi toujours ouverte sur la société et le progrès, combattre
toutes les formes de monopoles incompatibles avec le socialisme, cercles
vicieux qui font de l'argent va à l'argent, le savoir au savoir et le pouvoir
au pouvoir. Le droit au développement, à cette condition, sera pris au sérieux
et retrouvera ses vertus mobilisatrices: développer toute la personne, toute
personne et toutes les personnes, une éthique, un intégralisme des Droits de
l'Homme comme but et moyen, en même temps un idéal pour un non-alignement,
capable de promouvoir la paix, la liberté et la solidarité dans le monde.
Voici quelques thèmes pouvant suggérer une
stratégie:
1) Reposer le problème de l'intégration
nationale sous le signe de l'intégralisme des Droits de L'Homme, c'est à dire
réconcilier l'état et la nation, en redonnant à celle-ci les moyens de
reconstruire et de sauvegarder son droit à l'aut-détermination interne;
2) Réaliser l'intégration régionale qui
élargit les possibilités de développement dans tous les domaines;
3) Avoir pour idéal l'intégralisme des
Droits de l'Homme, donner au non-alignement une ossature géo-économico-stratégique
Europe-Tiers Monde, un camp et non un bloc susceptible de desserrer l'étreinte
de la grande tenaille et d'engager le processus de la véritable décolonisation,
fondée sur la fin de l'équilibre de la terreur des néo-protectorats, sur la
démocratisation des structures et des institutions internationales, sur la
restitution aux peuples de leur droit à l'indépendance nationale et d'une
véritable coopération internationale;
4) Mobiliser en permanence l'opinion,
multiplier les initiatives de tous genres, encourager la création
d'organisations non gouvernementales, spécialement dans le Tiers Monde, à
l'effet de défendre les Droits de l'Homme et de promouvoir les libertés. Les
femmes et la jeunesse doivent jouer un rôle de premier plan dans la démocratisation
des mentalités et des mœurs;
5) Combat pour la démocratisation des
institutions régionales et internationales, institution de mécanismes de
recours individuels, d'une Cour Internationale des Droits de l'Homme à
l'O.N.U., abolir la clause de souveraineté exclusive des états en matière des
Droits de l'Homme.
Dans
cette perspective, l'intégrisme religieux, en tant que revitalisation des
valeurs morales de solidarité, de tolérance non dogmatique et non pas en tant
qu'occupation théologique du champ politique, peut contribuer au renforcement
de l'éthique des Droits de l'Homme.
Hocine Ait Ahmed
Paris, 25-26-27 JANVIER 1985