Hocine Aït-Ahmed
Note politique 26 mars 2002
Arch, la tribu; Arouch, les tribus
Il faut s’interroger sur ces mots, ensuite sur les faits qu’ils recouvrent
et enfin tenter de reconstruire le sens de la vision qui explique leur intrusion
soudaine ainsi que la poursuite de leur instrumentalisation stratégique.
Arouch est le pluriel de Arch. L’utilisation faite indistinctement de
l’un pour l’autre, tout particulièrement en Kabylie où il fit une apparition
spectaculaire lors du Printemps Noir 2001 illustre le dépérissement total, de la
mémoire collective sinon du mot lui-même, du moins de tout mythe prétendument
fondateur ou prestigieux. (Voir la brève note historique accompagnant ce
texte)
VERITE D’ADEQUATION
C’est par l’établissement des faits - indépendamment des stratégies ou des
buts recherchés, que passe la frontière entre la vérité et l’affabulation.
L’embrasement généralisé de la Kabylie dont le monde fut témoin, à partir de fin
avril 2001 ne fut pas un phénomène de génération spontané suscité par je ne sais
quel appel ou rappel d’une mythologie tribale légendaire .
L’assassinat d’un adolescent, dans l'enceinte même d’une gendarmerie,
le 18 avril 2001, fut le déclic d’une onde de choc qui déclencha des
manifestations pacifiques de protestation et de solidarité à travers toute la
région. Telle est la vérité d’adéquation; C’est évidemment cette jeunesse,
l’écrasante majorité de la population, qui, flairant le complot, mit en branle
organisa et réussit, pendant une dizaine de jours à maîtriser la formidable
insurrection morale de la rue.
Il est vrai que ces jeunes avaient déjà acquis des réflexes de
mobilisation rapides à force de désamorcer les grosses manipulations du pouvoir.
Grâce à eux, notamment, les 2 coups de force pervers : le faux vrai ou le
vrai-faux enlèvement du chanteur Lounès Matoub, puis son assassinat, avaient été
mis en échec; le but obsessionnel des deux opérations était manifestement de
faire basculer la Kabylie dans la stratégie éradicatrice et militariste des
généraux.
Le quadrillage de la Kabylie par les sections du Front des Forces
Socialistes (FFS) et par ses municipalités largement majoritaires dans les
wilayas de la région, avait bien sûr contribué à noyer et neutraliser par des
marches imposantes et pacifiques, les groupuscules subversifs et activistes dont
le rôle était d’inciter à la violence et à l’émeute.
VERITE : BAS LES MASQUES ! TENTER DE DEVOILER LA NOUVELLE STRATEGIE
GLOBALE DU POUVOIR EN KABYLIE
Le sort du Printemps noir 2001 ne sera pas du tout le même que les deux
cabales criminelles qui l’avaient précédé. Bien que l’objectif stratégique fut
le même à savoir : noyer la Kabylie dans le sang pour mettre fin à son rôle
politique moteur. Apparemment les stratèges en chambre ont tiré les leçons des
deux opérations avortées - même si le meurtre de Matoub, avait, hélas, réussi.
Enfermés dans leurs recours traditionnels au gangstérisme en vue de régler les
problèmes politiques, ont-ils compris que leur absence de tactique a torpillé
leur stratégie ?
Force est de constater d’abord que le Printemps noir n’est pas une opération
ponctuelle ; il continue à s’installer dans la durée ; dans moins d’un mois, il
aura imposé à la population au quotidien une année d’intimidations,
d’humiliations et de provocations intolérables. Sans remonter loin dans le
passé, les expériences récentes ont démontré que l’instant nécessaire pour
appuyer sur la gâchette ne peut suffire à comploter la déstabilisation d’une
société politiquement aguerrie. Même avec le soutien d’une armature
d’agitateurs, de pyromanes bien rodés et de faux démocrates à l’affût.
Mais quel sens construire à partir du TEMPS ainsi érigé en élément
tactique décisif, sinon qu’il s’agit cette fois d’une opération de grande
envergure ? On ne lésine pas sur les moyens et les batteries de "L’Etat" mais
encore faut-il prendre le temps pour les rassembler, les affûter puis les
combiner .
L’impitoyable chasse à l’homme déclenchée, sans motif apparent, par les
forces de la gendarmerie à partir du 28 avril 2001, ne contredit pas pour autant
l’existence d’un plan stratégique global. Bien au contraire, et sans en révéler
les tenants et aboutissants, elle a malgré tout trahi ses objectifs politiques,
psychologiques et diplomatiques immédiats. La conduite même de cette répression
sauvage était une traduction opérationnelle d’une volonté politique sans
équivoque.
Elle a été cyniquement revendiquée. Sortant ainsi de leur art confirmé
du déguisement, les autorités n’en ont ni accusé les " Islamistes " ni incriminé
des " bavures " selon leurs vieux clichés. En tout cas, pour ce qui est des
bavures, ce serait un modèle du genre, vu la simultanéité des dizaines
d’assassinats perpétrés à balles réelles, le même jour, samedi 28 avril, presque
dans le même quart d’heure et ce, dans des agglomérations et villages éloignés
les uns des autres.
Que des gendarmes aient poursuivis des blessés pour les achever à coup
de bottes selon les témoignages de journalistes pourtant proches du
pouvoir - ne laisse aucune marge au hasard -: Les unités de la gendarmerie
avaient bel et bien reçu, d’Alger, l’ordre de réprimer sans états d’âme les
populations désarmées, fussent-ils manifestants ou non. Un double message se
dégage de l’ampleur et de la brutalité de ce coup de force : d’une part frapper
de terreur la population et surtout la jeunesse de la région.
A l’exemple du carnage des jeunes algérois abattus à la mitrailleuse
lourde en octobre 1988. Et d’autre part frapper de stupeur la communauté
internationale afin d’éviter des réactions hostiles à la dictature et, du coup,
pour décourager un mouvement de solidarité internationale avec l’opposition
démocratique C’est dire que la planification globale des facteurs diplomatico -
psychologiques avait pour priorité d’aggraver l’isolement international et le
désespoir des populations dans le but de les réduire à la merci du régime. En
bref, cette opération de grande envergure avait pour souci fondamental de
combiner tous les moyens pour désorganiser, démoraliser et normaliser la
Kabylie. Cependant, instruits de leur méconnaissance totale des réalités du
terrain et non encore remis des échecs de leurs tentatives de déstabilisation
précédentes, les généraux ont fini par comprendre que la destruction des forces
stratégiques de la région constitue le préalable incontournable à la réalisation
de leur dessein totalitaire .
Curieusement le mouvement Arch- Arouch le monstre du Loch Ness -
surgit au lendemain des manifestations impressionnantes organisées par le FFS à
Alger le 3 et 31 mai 2001, et au moment où la dissidence nationale citoyenne et
pacifique ( note ) amorcée en Kabylie s’était progressivement élargie à d’autres
régions du pays. Ces sursauts de détermination populaire venaient de contredire
les analyses classiques superficielles fondées sur la passivité des Algériens et
sur la fiction bi-polaire pouvoir/intégriste. Ils ont rétabli aux yeux de
l’opinion internationale la véritable équation politique qui oppose la société
algérienne au système mafieux qui s’est imposé depuis prés de 4 décennies.
Pire pour le sort de la junte : la société apparaissait grosse d’une
protesta à l’échelle nationale. Que l’émergence spontanée de cette organisation
ârch-ârouch, soit venue greffer sur un profond mouvement de dissidence citoyenne
pacifique et national, pour le coiffer, le prendre en main et le pervertir
n’était pas une simple coïncidence. Il s’agit de la plus monstrueuse machination
politico - psychologique qu’ait connu cette région. Sans ancrage historique ni
implantation sociale, elle ne fait qu’instrumentaliser la colère d’une
formidable jeunesse otage d’une répression féroce et d’une impasse national sans
issue. Elle pousse l’escroquerie jusqu’à revendiquer la formulation " dissidence
citoyenne " - un mot d’ordre largement popularisé par le FFS - pour la
dépouiller de sa signification et de sa portée nationale. Une technique
totalitaire bien rompue dans l’art de semer la confusion en galvaudant et
dénaturant le vocabulaire démocratique. FAIRE VIRER LE SENS DES MOTS EN ABSENCE
DE SENS.
Par contre elle bénéficie de nombreux atouts : Une sur-médiatisation
quotidienne par la presse dite indépendante. Des troupes politiques importantes
intégrant les divers appareils militaro - sécuritaires déguisés en civil (
gendarmes, milices ). La DRS offrant un quadrillage professionnel renforcé de
ses structures locales et willayales. Des centaines de miliciens au service de
deux seigneurs de la guerre. Les associations ACT et ACB ( Associations
citoyennes de Tizi-Ouzou et de Bejaïa ), qui ,certes gardent une nuisance
corruptrice parce que subventionnées sans limites par le pouvoir, mais qui
restent politiquement marginalisées dans la société; car leur chef, Aïssat
Rachid notoirement connu comme colonel de la DRS a été promu depuis 3 ans "
conseiller aux Affaires kabyles " auprès de Bouteflika. Il faut ajouter à cette
constellation, un agrégat de groupes gauchistes ainsi qu’un résidu de noyaux
durs du RCD - non remis de leur discrédit politique - qui, en sous-main,
redoublent de zèle au sein des ârouchs chargés de l’agitation violente et des
actes de sédition .
En tout état de cause, l’effet d’annonce spectaculaire que fut la
manifestation gigantesque organisée, par les Arouch à Alger le 14 juin 2001, fut
leur consécration la plus frappante. L’estimation donnée de cette ruée sur la
capitale avoisinait 1 million de manifestants pouvait difficilement être
contestée, malgré les légendaires sur - ou sous - évaluations "algériennes". Il
est vrai que l’événement surgit dans un climat de répression et de terreur à son
paroxysme, et, au surplus sur un terrain politique totalement bloqué par
l’impuissance et le désespoir.
Le discours non-violent et pacifique du FFS ne pouvait être qu’en
porte-à-faux avec le ras-le-bol général. D’autant que la stratégie d’une omerta
totale imposée par le pouvoir réel, depuis près de 3 mois, ne permettait aucune
lueur d’espoir. Qui plus est: la société n’avait aucun recours puisque les 3
instances destinées à jouer le rôle de recours et de façade démocratiques : le"
chef de l’Etat et des forces armées ", l’Assemblée Populaire Nationale et le
gouvernement, était frappées d’un mutisme absolu: pas le moindre message
d’apaisement à la population et surtout pas la moindre mise en garde aux forces
de sécurité. D’ailleurs les événements tragiques de Kabylie auraient été
sûrement évités, si le discours que Mr. Bouteflika vient de prononcer, le 12
mars dernier, l’avait été il y a un an.
C’était au moment où les unités de gendarmerie avaient précisément
lancé à Bejaïa leurs vastes manœuvres de racket et d’humiliations gratuites, en
prélude bien lisible, au Printemps noir. Il avait alors choisi la provocation à
la prévention.
INSTRUMENT POLITIQUE POUR QUELLE STRATEGIE
Le concept des Arouch, dernière découverte des laboratoires de la
police politique, illustre l’opacité et la manipulation qui fondent le
fonctionnement du régime. Tout en induisant en erreur l’opinion nationale et
internationale, l’intrusion des Arouch vise du même coup à fausser les analyses
des responsables étrangers. Mais l’objectif central des mafieux est surtout de
ne révéler ni leurs intentions ni leurs dispositifs, en sorte que les démocrates
crédibles et conséquents ne puissent anticiper et rien entreprendre avec
certitude. Or, au départ déjà, la nature populiste fascisante de ce mouvement
s’est trahi en jouant sur la surenchère du consensus communautaire, c’est à dire
sur l’unité de la Kabylie à travers son unicité politique.
Le dessein maquillé étant de détruire le dernier bastion de toutes les
formes de pluralisme arrachées de haute lutte. Cette organisation présentée
comme porteuse de modernité a exclu la participation des mouvements associatifs
et syndicaux, celle des femmes en particulier. Dès lors cette stratégie de
l’apprenti sorcier, condamnent ses auteurs à exercer une redoutable violence
historique en s’acharnantà enfoncer dans un moule tribal archaïque, une
population forgée pendant des siècles par les traditions de forum et de
participation publiques dans les villages et les douars ( groupes de villages
).
Par ailleurs, la pratique de cette organisation durant ce Printemps
noir qui n’en finit pas, prouve qu’elle constitue, - en l’absence quasi totale
de ce qui est appelé Etat et que s’installe un chaos organisé et rusé -
l’instrument principal pour réaliser les objectifs du pouvoir en Kabylie.
A savoir:
… Régionaliser , ghettoïser et pervertir la problématique en jouant sur un
irrédentisme régionaliste, autonomiste voire séparatiste.
… Diviser pour régner, en s’acharnant à isoler et diaboliser la Kabylie aux
yeux du peuple algérien, qui s’était fortement solidarisé par des
manifestationsà travers le pays lors des tueries du printemps dernier.
… Inciter à l’émeute, entretenir un climat de violence, menaces de
provocations et d’intimidations, pour mettre politiquement hors-jeu les forces
démocratiques autonomes et pacifiques. Et, partant, pour que les Arouch
parviennent à exercer une hégémonie autoritaire tout en monopolisant la
représentation politique au profit de leurs commanditaires.
… Faire de la Kabylie un abcès de fixation obsessionnel, afin de
pervertir et d’évacuer les enjeux politiques nationaux majeurs liés au retour de
la paix, à l’exercice véritable de la citoyenneté et à l’éradication des fléaux
sociaux.
… Centrer la problématique fondamentale du pays sur la plate-forme
d’El-Kseur qui revendique notamment le départ de la gendarmerie et la
reconnaissance de Tamazight comme "langue nationale". C’est une façon d’enterrer
les propositions de sortie de crise contenues dans le mémorandum adressé par le
FFS à Bouteflika, et aux généraux Mediène et Lamari en juin dernier. En termes
concrets, la manœuvre consiste à substituer la demande du rappel de la
gendarmerie de Kabylie - simple mesure de sécurité -, aux revendications FFS de
nature fondamentale portant sur la levée du dispositif d’exception lié à l’état
d’urgence, et sur le retrait de l’armée du champ politique. En effet, tous les
moyens sont prioritaires pour éviter d’aborder l’impératif d’une solution
politique à la sale guerre qui vient de dépasser sa 10éme année de tueries et de
dévastation.
… Préparer les conditions d’une "blitz-répression" généralisée pour mâter la
population, une fois pour toute, et entamer un processus de réformes - coups de
force pour éradiquer les forums des villages et des douars, ces derniers espaces
publiques qui échappent à l’empire du pouvoir et de ses lois scélérates. Certes,
Causa Nostra sacralisée par l’Unité Nationale se suffit à elle-même et pourrait
donc se passer de toute justification au regard de l’opinion internationale.
Mais aux actes criminels d’échelle, elle trouvera des déguisements d’échelle,
comme, par hypothèse, de mettre au même niveau national les prérogatives et le
fonctionnement des collectivités locales. L’heureuse standardisation patriotique
oblige. L’éventualité d’une tentative de tchétchénisation de la Kabylie est
rendue plausible par l’apparition - aussi spontanée que les Arouch d’une
mouvance terroriste : les ( GSPC ) Groupes Salafistes pour la Prédication et le
Combat, proche des thèses de Ben Laden - déjà créditée, d’une redoutable
nuisance à côté des nombreux G.I.A. Après tout, Poutine, l’instructeur d’hier,
n’a fait que copier sur ses anciens élèves algériens, le savoir-déclencher une
guerre: il suffit de manigancer un attentat aveugle intégriste qui fauche
effroyablement des centaines de victimes parmi la population civile, et le tour
est joué devant l’opinion nationale.
Quant aux répercussions internationales, il peut les affronter avec ou
sans l’exemple de la 2e guerre d’Algérie car il n’a pas perdu la main d’une
diplomatie agressive et habile, et d’un rideau de fer adéquat pour dissimuler
ses crimes contre l’humanité et s’entêter à refuser toute solution politique. Le
livre qui vient de paraître " Un témoin Indésirable ", sous la plume d’Andreï
Babitski, est utile pour comprendre et la tragédie algérienne et les risques de
tchétchenisation de la Kabylie. Plus significative est l’organisation des
Arouchs en 2 branches complémentaires: "dialoguistes" et " radicaux ". Elle
illustre la mise en place d’un dispositif tactique, destiné à camoufler la
grosse frappe stratégique en préparation. En réalité les faux dialogues avec le
Premier ministre visent à accréditer à l’étranger l’esprit d’ouverture des
autorités sur les problèmes "kabyles".
De plus en reconnaissant les Arouch comme uniques interlocuteurs de la
région, ils excluent les forces démocratiques représentatives. Par ailleurs la
gestion des affaires kabyles par le dialogue, pourrait faire croire à la
communauté internationale qu’un dégel similaire pourrait évoluer vers un
véritable dialogue national en faveur de la paix. Hypothèse qui est totalement
étrangère à la réflexion et aux comportements des décideurs. Quant à la branche
"radicale", signalons d’abord qu’elle vient d’ajouter le qualificatif "
révolutionnaire " au sigle " Dissidence citoyenne " pour le substituer au
caractère " pacifique et nationale " de l’authentique dissidence prônée par le
FFS. En réalité, c’est elle qui prend en charge les tâches et les manœuvres
stratégiques.
Elle s’occupe des tentatives de manipulation des populations et notamment de
l’encadrement des jeunes dont la tranche d’âge se situe entre 14 et 20 ans.
L’état de grâce étant terminé, ses mots d’ordre de grèves ou de marches se
heurtent à la prudence, à la méfiance et à la force d’inertie des montagnards.
D’autant que les chefs clandestins du mouvement n’ont pas réussi à garder
longtemps l’anonymat et qu’ils ont dévoilé leurs liens secrets avec les
appareils d’"Etat".
La capacité de nuisance des "radicaux" ainsi d’ailleurs que des
"dialoguistes" est dans leurs moyens financiers colossaux. Des centaines de
permanents locaux, nommés chefs de quartiers, d’îlots et de villages, s’ajoutent
au maillage étroit de la Kabylie par leurs agents. Ils déversent des sommes
énormes pour entraîner des bandes de jeunes - otages de l’extrême pauvreté - à
l’émeute, à la pyromanie, au brigandage et à la violence.
Ils disposent de parcs de véhicules de toutes sortes, et ne se gênent pas
pour réquisitionner par la contrainte, camions et surtout tracteurs pour casser
à grande échelle. En outre ils entretiennent sans arrêt, des campagnes de
propagande, de rumeurs, de manipulations et d’agitations psychologiques, grâce à
leurs énormes moyens d’impression et de communication. Le plus inquiétant est
que les Arouch ne cachent plus leurs attaches avec les généraux. Le samedi 23
mars, sous prétexte de dialoguer, leurs chefs ont rencontré longuement deux
généraux : Touati, qui avait géré l’Etat de siège en octobre 1988, aujourd’hui
conseiller à la présidence et à la défense, et Saïd Bey, qui fut chef de la 1ère
Région militaire de Blida lors des massacres de la Mitidja et qui est
aujourd’hui à la tête de la 5ème Région de Constantine.
Entre Alger et Constantine semble donc s’esquisser l’étau qui pourrait
le cas échéant perpétrer un complot contre le cœur de notre pays, qui serait de
loin plus dévastateur que la terreur coloniale hystérique de Mai 1945 . Sans
tomber dans les déductions hâtives ou les a-prioris idéologiques, ne peut
on pas s’interroger sur les méthodes singulières dont les dirigeants du
parti, des dizaines de cadres fédéraux et locaux et des centaines de militants
base, ont été ciblés, arrêtés voire enlevés, puis interrogés et surtout
soigneusement listés, à la suite de la manifestation interdite du 14 mars
dernier ?
N’y a-t-il pas là des signes précurseurs d’une mesure
préliminaire destinée, en cas d’opération policière ou meurtrière, à détruire
l’encadrement démocratique expérimentée de la Kabylie ( à l’exemple des
démocrates Hutus, portés sur les listes noires des miliciens, et dont les
dictateurs rwandais se sont débarrassés dans la foulée de leur entreprise
génocidaire contre les Tutsis ).
Que conclure, sinon que le devoir de responsabilités impose - sans
tomber systématiquement dans le catastrophisme - d’envisager les pires scénario.
En espérant que l’annonce d’un péril plausible suscitera les sursauts
internationaux capables de le désamorcer à temps. Sursauts que l’historien
Toynbee a dénommé les "réflexes d’œdipe", et dont nous espérons qu’ils
contribueront à mettre fin à cette sale guerre infligée à la nation algérienne
et qui, depuis 10 ans est exclue du champ politique et médiatique international
.
Hocine Aït-Ahmed