Hocine Aït-Ahmed
Note historique sur les « Arch-Arouch »
26 mars 2002

Le système tribal fondé sur une parenté ethnique réelle ou mythique existe toujours dans les zones rurales des pays en voie de développement.

 L’effondrement, aux alentours du 15ème siècle, des trois principales dynasties maghrébines a abouti à un démembrement en de multiples royaumes. L’unification administrative réalisée sous leur bannière s’est brisée pour laisser place à l’(ré)émergence des tribus. Celles-ci, libérées de toute arbitrage imposé par une " autorité centrale " tombèrent dans des cycles de guerres inter-tribales. La Kabylie fait exception dans son organisation de type communautaire mais dont l’unité est le village.

 Le Professeur Duverger donne trois exemples de cité - républiques : l’Agora hellénique, les Landsgemeinde ( demi-cantons helvétiques ) et la Djamaa kabyle. Le vote des lois en présence de l’ensemble des villageois, les traditions de débats publiques lié au principe de rès publica. Le conseil du village kabyle est désigné par consensus, pour une courte période ( au moins une année ) il est assisté de représentants des différentes parties du village au sein de Tajmaât, l’instance collégiale du village ( dont certains sont plus collégiaux que les autres pour des raisons sociales ou économiques, presque partout et toujours ).

Le plus souvent les villages se fédèrent à d’autres villages, pour constituer des douars. Sans vouloir idéaliser l’Agora, les landsgemeinde et les djamâa Kabyles comme des modèles de démocratie, puisque les femmes et les étrangers, notamment, étaient exclus du débat et des droits attachés à la citoyenneté antique. Ces franchises seront, du reste, finalement acquises partiellement par les femmes.

 Toutefois, la cité Kabyle engage son honneur à protéger la vie et les biens des étrangers ou exilés qui se mettent sous la protection de Tadjmaât. Pendant des siècles l’Empire romain s’était vu obligé de traiter avec le "Conseil de la Confédération Quinquegentienne " englobant les 5 plus grandes vallées des 2 versants du Djurdjura. Des siècles plus tard, pour sauvegarder leurs institutions ancestrales contre les velléités centralisatrices des dynasties maghrébines, les kabyles ont pris l’initiative d’arabiser les noms de leurs instances villageoises.

 C’est ainsi que le Gouram ( le sage ) chef du village s’appelle l’Amin, l’un des surnoms du prophètes qui signifie intègre et digne de confiance. De même que le conseil du village a pris le nom de Tadjmaât ( la djemâa en arabe ), qui veut dire communauté. Même les autres membres de Tadjmâat, prennent l’appellation arabe de Tamen ( plur. Touman ), celui ou ceux qui se portent garants de la gestion de l’Amine. Les villages et douars ont également fait échec aux tentatives du pouvoir ottoman d’Alger qui, dès le 16e siècle sur les ruines des dynasties maghrébines, s’étaient acharnés à briser ce cadre d’organisation en tentant de ressusciter le système et les conflits tribaux.

 En Algérie le phénomène tribal avait été maintenu par la colonisation. Il avait d’abord été géré par " les Bureaux Arabes " mis en place pendant la longue conquête militaire pour mieux contrôler les régions amazighophones plus difficiles à soumettre. " Les Affaires indigènes" désignent à leurs têtes des caids, des aghas et Bachaghas, dénominations et fonctions calquées sur le modèle " ottoman ". Elles ont pris en compte la spécificité de la Kabylie en nommant des caids à la tête des villages regroupés en douars. Les prédispositions du village kabyle à devenir des municipalités avaient probablement incité le ministre de l’intérieur socialiste Depreux en visite en Kabylie, en automne 1945, après les grandes répressions de Mai 1945 à ériger, à titre d’expérience, le statut de quelques villages ou douars de Kabylie en communes de " pleine exercice". Par opposition aux communes indigènes appelées pudiquement " mixtes ", dirigées par des potentats - administrateurs. A noter que les Djemâas kabyles ont presque toujours réussi à doubler les institutions administratives coloniales.

 C’est elles qui désignent des comités Ad Hoc appelés aussi Djamâa, pour régler des litiges intérieurs, réconcilier des villages d’un même douar. Elles parvenaient même à court-circuiter les méandres de la justice coloniale, en réglant de graves crises entre douars de différentes vallées dont les enjeux pouvaient porter sur des questions de souveraineté territoriale ou des dettes d’honneur par exemple. Les Assemblées communales instituées après l’indépendance avaient une existence fictive et inopérante dans l’ensemble du pays. Leur fonctionnement était faussé par les truquages électoraux, par la primauté du parti unique, l’intrusion généralisée de réseaux mafieux, et la tutelle draconienne et corruptrice des préfets.

 Le vide politique consécutif à l’extinction des libertés d’expression et d’organisation autonomes, a certes rabattu l’opinion vers les mosquées, mais c’est le système ârouch qui, dans les Constantinois récupérera la scène politicarde, surtout électorale au bénéfice des officiers et autres dignitaires de la Nomenclatura. En Oranie et dans le Sud algérien cette prééminence allait plutôt aux confréries religieuses, en bulletins de vote ou en défilés carnavalesques de soutien aux potentats du coin. En Kabylie, ni les ârouch ni les confréries religieuses, n’avaient fait leur apparition pendant les élections municipales de 1997.

 Jamais élections algériennes, même à l’époque coloniale, n’avaient été si ouvertement et brutalement falsifiées, par des commandos fascistes de l’armée, de la police et des milices. Les wilayas de Kabylie ont échappé aux coups de force hystériques grâce a leur contexte sociologico - stratégique. L’habitat n’est pas atomisé comme dans la plupart des campagnes algériennes. Villages et douars formés par des traditions publiques, disons pré-civiques, jaloux de leur souveraineté, et averties contre les techniques de la fraude ont su imposer leur contrôle.

 Une grosse épreuve de falsification de la part du pouvoir aurait provoqué des torrents de révolte que le FFS aurait eu du mal à calmer. Bien sûr, la fraude n’a pas manqué au niveau des listes électorales revues et corrigées par les agents de la DRS nommés à la tête des mairies. Le FFS à remporté 75 pour cent de l’ensemble des APC et des APW ( Conseils de Wilayas ). A Tizi-Ouzou, sur les 67 APC, le FFS en a remporté 48 plus l’APW. A Bejaia, il dirige 36 APC sur 52 et il gère l’APW de Bejaïa. La gestion transparente de ces municipalités en présence des citoyens et citoyennes a permis un dialogue permanent avec eux.

Ces derniers savent le refus des autorités de financer les projets économiques et culturels des APC / FFS. Quoiqu’il en soit, les délibérations des ces communes se font en présence de la population; la distribution des logements sociaux se fait sous leur contrôle, recourant notamment au tirage au sort, mais toujours au profit exclusif des familles en détresse. Cette expérience de gestion détonne, évidemment, avec les pratiques mafieuses qui, ailleurs, constituent la règle et provoquent chaque jour des émeutes. Dans d’autres régions du pays.

 Le pouvoir local FFS gène, par son caractère exemplaire; cependant, il ne deviendra un " casus Belli ", que lorsque le Livre Noir confectionné par nos différents élus locaux et wilayaux publia les noms d’officiers et autres comparses civils, qui avaient fait main basse sur les biens communaux tout en s’adonnant aux spéculations foncières. C’est alors que commença en Kabylie la gestation du futur phénomène ârouch : déjà, le serpent était dans l’œuf : les agents de la police politique, les mafieux nommément désignés par le Livre Noir, les chefs des milices, les officiers de gendarmerie privés de leurs bons d’essence gratuits et autres plus grosses faveurs offerts par les APC de papa, se mirent, alors à multiplier rencontres clandestines harcèlement des commerçants et provocations des citoyens.

 Hocine Aït-Ahmed