Message de Hocine Aït-Ahmed
                                             Au Conseil national réuni en session ordinaire
                                                    A Alger, le 04-05 octobre 2001

Aux membres du Conseil national du Front des forces socialistes
Essalam âalaykum wa rahmatu Allah wa barakatuh !
Azul fllawn, fllaknt !

 Vos assises de demain coïncident avec le 38e anniversaire du parti. Comme toujours j’essaie de vous parler du fond de moi-même ! Et d’abord je souhaite que vos débats soient sereins et libérés de tout tabou. Que vous alliez rendre le meilleur hommage aux hommes et aux femmes qui ont animé et construit le FFS, et surtout à tous ceux et celles qui ont donné leur vie à notre long et si difficile combat, en allant au fond des problèmes qui se posent à notre peuple à notre stratégie politique.

 C’est grâce à une certaine conception éthique de la politique indissociable des valeurs spirituelles et morales de notre société, que notre parti a réussi à triompher de toutes les tentatives d’éradication, de retournement et de déstabilisation. C’est grâce à notre volonté de conformer nos comportements et nos actes à nos discours en faveur de la paix, de la justice et de la démocratie, qu’il a affirmé sa différence par rapport aux jeux stériles et sans gloire des castes «politiques» qui soutiennent le pouvoir. Et qu’il ne cesse de gagner en crédibilité et en confiance auprès de notre peuple et de ses couches les plus démunies.

 Nos hommages et nos devoirs de mémoire à l’égard des hommes et des femmes qui ont porté le FFS à bout de bras depuis presque trois générations, nous créent l’obligation de sauvegarder cette ferveur éthique qui est l’essence de nos motivations et de nos activités politiques.

 Le souvenir et la fidélité à nos camarades assassinés, torturés ou exclus de la vie sociale, c’est continuer à donner son vrai sens à la politique, pour la réhabiliter aux yeux de notre jeunesse coupée de nos traditions de lutte parce que coupée de son passé. La réhabilitation du combat politique était plus que jamais au cœur des débats de notre IIIe Congrès. L’alternative démocratique qui y fut notre devise était conditionnée, pour sa réalisation, par la réconciliation de la jeunesse avec la politique, dont le sens a été systématiquement dénaturé et perverti. Il fallait trouver les voies et moyens d’éveiller et d’impliquer cette jeunesse dans les luttes sociales, culturelles et politiques. Lui apprendre à se prendre en charge, à construire de ses propres mains l’avenir démocratique et reconquérir les leviers de l’Etat ainsi que les ressources du pays pour sortir de la détresse et de la hogra. Je vous rappelle que nous avions prolongé d’une journée nos travaux aux IIIe Assises, afin de définir les axes d’une stratégie susceptible d’enclencher la dynamique porteuse d’un changement radical progressif et pacifique dans notre pays ruiné par une gestion désastreuse de plusieurs décades, gestion couronnée par une guerre fratricide, cruelle et absurde.

 Lisez ou relisez les statuts du parti ! Vous y trouverez notamment un impératif fondamental : ouvrir le parti à la société afin de l’aider à s’impliquer et se mobiliser. Pourquoi donc avions nous insisté, à titre d’exemple, sur la création de collectifs à la base et de commissions au niveau de votre instance élue directement par le Congrès pour veiller à la mise en oeuvre des changements qui doivent mettre à niveaules structures et les mentalités pour impulser, élargir et enraciner l’influence du FFS.

L’évaluation de l’état actuel du parti ne peut faire l’impasse sur une autocritique sereine, mais qui sorte de l’indifférence et du silence des uns et de la langue de bois des autres. Aucune des résolutions de nos IIIe Assises en question n’a été appliquée, pourquoi ?

A-t-on peur d’ouvrir le parti pour le préserver des opportunistes ? Ou pour protéger sa position personnelle, c’est-à-dire son «grade», sa clientèle, ses ambitions électorales. C’est vrai que l’expérience de l’ouverture a donné des déceptions, des retournements de veste de la part de nouveaux venus, d’ailleurs souvent parrainés par de plus anciens. Mais avons nous oublié que les défaillances inattendues, mais qui auraient pu être graves, n’étaient les saines réactions de la base, avaient été aussi le fait de responsables qui pouvaient se prévaloir de leurs engagements plus «historiques» et n’avaient pas hésité à le faire d’ailleurs ? Il nous faut revenir à l’essentiel : c’est le choix stratégique du parti qui détermine le mode d’organisation. Ou bien choisir la conception élitiste d’une minorité sûre, pure et dure qui se condamne à être isolée des masses, à être exposée aux tentations de manipulation du pouvoir. Et qui, faute de poids politique dans la société, s’inscrit sur la liste d’attente des groupes voire des sectes en voie d’intégration au pouvoir en place.

 Notre choix et à l’opposé depuis la création du parti. Il a été réaffirmé et confirmé tout au long de notre opposition démocratique et par toutes nos assises nationales. Nous avons fait de notre enracinement populaire l’axe fondamental pour faire avancer la culture démocratique dans la société et redonner aux catégories sociales marginalisées les chances de se mobiliser pour que ce soit elles qui isolent le pouvoir.

Il s’en est suivi chez nous le refus d’une organisation fermée sur elle-même et dont le rôle consistait dans la pratique à limiter, entretenir, gérer les militants voire régler les problèmes de clans et d’incompatibilité d’humeur qui caractérisent les structures closes, à la fois asphyxiées par les terribles conséquences de l’éternel état d’urgence et le train train bureaucratique. Les risques de fermer ou de feindre l’ouverture de l’organisation sur la société sont, en définitive, beaucoup, beaucoup, beaucoup plus graves qu’une ouverture faite avec détermination et discernement. Ils risquent de priver le parti des relais et passerelles d’écoute et de communication avec la chaire vivante de notre peuple. D’anesthésier la vigilance et les réflexes politiques des militants.

C’est pourquoi le parti a été pris de court par les sursauts extraordinaires de notre jeunesse et de l’écrasante majorité de la population.

 Je ne saurais assez rendre hommage aux militants, aux responsables et aux élus locaux pour la manière dont ils se sont vite impliqués contre la répression impitoyable en Kabylie et pour encadrer les mouvements de contestations pacifiques. Sans oublier les nombreux militants et sympathisants qui sans être encartés ont retrouvé les réflexes FFS, le Nif démocratique, qui s’étaient mobilisés d’eux-mêmes pour que nous puissions faire face honorablement à une véritable tragédie nationale.

C’est dire qu’il n’y a pas que des aspects négatifs dans mes propos et mes convictions, par rapport à l’ensemble des engagements et des promesses du parti. Mais les accélérations de l’histoire nous interdisent l’autosatisfaction. La dynamique de la dissidence citoyenne pacifique et nationale a ouvert le processus de cette alternative démocratique que nous appelions de tous nos vœux. Nous avons l’obligation morale et politique, aujourd’hui, de répondre, à notre tour, à l’appel de cette alternative, de notre jeunesse qui s’est mobilisée d’elle-même à travers le pays et qui a redécouvert l’importance de sa participation ; elle a vérifié, dans la résistance et l’engagement, le succès et la portée de son auto-mobilisation.

 Et maintenant, notre devoir est de protéger cette dynamique citoyenne d’une dérive populiste à tendance violente, irresponsable voire néo-fasciste.

 Chers amis,

  La fermeture de nos structures a eu aussi comme conséquence de restreindre la possibilité de renouvellement partiel de notre instance dirigeante, le Secrétariat national. Non pas que les secrétaires nationaux aient démérité, loin de là. Mais c’est toute une démarche alternative du développement du parti qui est en jeu. Outre le principe de l’alternance que nous imposent nos statuts.

 Je souhaite vous saisir de propositions à ce sujet, lors de la session extraordinaire de votre instance qui pourrait se tenir aux alentours du 10-15 novembre prochain.

 Je terminerai ce message par le point, j’allais dire sur la plaie la plus sensible et la plus intolérable. La question des contributions des parlementaires et des élus locaux et wilayaux. Vous aviez depuis très longtemps fixé à 30% le taux des indemnités des parlementaires qui devaient être versées au parti, comme le font tous les partis sociaux-démocrates de l’Internationale socialiste.

 Ce taux a été révisé d’autorité à la baisse, à 10% exactement, faisant fi! des décisions des deux instances élues directement par le congrès. Comble de stupeur, même à ce niveau de nombreux intéressés ne se sont pas mis à jour, à ce jour, avec le parti.

Vous me connaissez assez pour savoir que ce n’est pas de ma nature de jouer au Président. Mais il y a deux choses qui m’interpellent d’une manière douloureuse et très impérieuse : que la corruption ou ce qui y ressemble s’installent dans le parti.

J’ai une responsabilité morale et politique écrasante sur ces questions auprès des militants et du parti et j’entends les assumer. Je n’ai pas d’autres solutions à vous proposer, les multiples rappels à l’ordre n’ayant servi à rien chez certains, que de vous demander de me faire avant le prochain conseil l’état financier de l’ensemble et de chacun des élus qui ne se seraient pas mis en règle avec le parti, d’ici vos assises prévues le mois prochain. Je veux la liste nominale des récalcitrants. Il n’est pas dans ma compétence de leur enlever, éventuellement, la couverture du parti. Nos statuts en ont prévu la procédure. Je me contenterai de les renvoyer à la population qui les a élus et surtout aux militants qui se sont coupés en quatre pour les faire élire. Du reste on sait les sacrifices et le point d’honneur que ces mêmes militants se font en silence pour ramasser les petits sous et s’acquitter de leurs propres cotisations.

Je n’hésiterai pas un seul instant à faire oeuvre de transparence en dénonçant des comportements de notables intouchables étrangersà nos traditions et qui portent atteinte à ce que nous avons de meilleur et partageons avec notre peuple.

 Bon travail ! Les nuages des retombées internationales nocives passeront. L’avenir démocratique est incontournable aussi chez nous.

 Avec toutes mes amitiés  Hocine Aït-Ahmed