Avertissement
Notre
Père Robert Lehn est décédé le Ier mai 1994 à Lyon, il était né à Paris le 27
Mai 1912.
Son
Père André Lehn était mort du typhus dans un stalag de Mons (Belgique en 1917)
après avoir été fait prisonnier au fort de Douaumont lors de la première
« chute » de Douaumont en 1916.
Sa
mère à qui avait été attribué un « tabac » à Fontaineblau en tant que
veuve de guerre était décédée de tuberculose en 1924.
Robert
Lehn âgé alors de 12 ans a donc procédé à la liquidation du « tabac »
au décès de sa Mère. On a retrouvé des courriers adressés à sa Tante faisant
état de la vente en quantité de pipes et autres articles de
fumeurs…
Il
a été ensuite recueilli et adopté par son oncle et sa tante (sœur de sa mère)
Alfred Bondevin. L’oncle Bondevin était ingénieur des Arts et Métiers et
dessinateur au Chemin de Fer Compagnie du Nord.
La
Tante était une grenouille de bénitier incroyable qui a poussé mon Père au Petit
puis au Grand Séminaire d’Orléans. Elle l’appelait déjà son « petit
évêque » !!
Mais
d’être le fils adoptif d’un cadre des chemins de fer donnait la possibilité de
voyager en train pour « rien » et en Première.
C’est
donc dans ce cadre de fils de cheminot-futur évêque que mon Père a voulu aller
voir qu’est-ce que c’était que le Nazisme et côtoyer la grande Messe de
Nuremberg en Septembre 1936 ,le Reichparteitag, sous le prétexte d’un cours dans
une école catholique allemande et la recommandation de Mgr Ricard évêque
d’Orléans.
Je
savais que mon Père avait fait ce voyage, mais je n’avais jamais lu aucun écrit
à ce sujet.
Au
décès de notre Mère le 16 janvier 2001, il a fallu vider l’appartement de Lyon
et nous sommes « tombés » ma sœur et moi sur un cahier d’écolier
manuscrit, quelques photos et illustrations retraçant finement ce fameux voyage
en Allemagne.
Dans
le même cahier il a été retrouvé le passeport de mon Père à l’époque munis du
visa Allemand. On a retrouvé également le bordereau d’expédition d’un colis
d’aide alimentaire envoyé à un Espagnol républicain de
Barcelone.
Notre
Père faisait des choix !
Il
n’a jamais prononcé de vœux, a quitté le Grand Séminaire en 1937, rentrant au
Crédit Lyonnais à Paris, épousant notre Mère en 1939 et faisant le reste de sa
carrière dans cette même banque à Lyon ensuite.
Voici
le texte refrappé de ce cahier d’écolier par Gala Poloskova très
gentiment.
Henri
Lehn Juin 2001
Allemagne
1936
La
montée vers Nuremberg
Par
Robert Lehn 1912-†1994
Mercredi,
2 septembre
Breisach,
Freiburg, 24 km
Mon voyage commence mal : à Strasbourg on m’apprend que le visa de mon passeport n’est plus valable, il a expiré le 2 Août, si j’avais su l’allemand, je m’en serais aperçu, mais… quelques heures plus tard le malheur est réparé et vers 4h je peux prendre l’automotrice qui me conduira outre-Rhin. Avec moi s’embarquent à Colmar les nouvelles recrues qui vont en garnison à Neuf-Brisach – ils ont dû fêter le départ, quelques-uns ont dû boire un peu… Il y a des parisiens dont un fait avec un bel accent cette réflexion : « on dirait la plaine Saint-Denis ». – Ils croient que moi aussi je suis affecté à la garnison de Neuf-Brisach, je leur dis que je ne m’arrête pas mais continue l’autre côté. – « Oh, ben alors, dites à Hitler qu’il nous fiche la paix ».
A
Neuf-Brisach, l’automotrice se vide, je reste avec un Allemand et sa fille, une
jeune Allemande, et une française. A peine a-t-on quitté la gare, que l’Allemand
fait sa toilette, se peigne, s’époussette, il a l’air fort content de revoir son
pays. Nous traversons le Rhin, à notre gauche, nous voyons le pont de bateaux
pour les autos et les piétons.
Ca y est,
je touche le sol allemand, je présente mon passeport à un douanier français,
puis me voilà aux mains des douaniers allemands : un coup de craie sur ma
valise sans la regarder et un autre douanier me tient un petit discours auquel
je ne comprends rien, je finis enfin par saisir qu’il s’agit d’argent, je sors
mon portefeuille, il compte mon argent français et me remet une vaste feuille
sur laquelle il a marqué ce que j’avais, il me recommande de bien la garder pour
la sortie. Un coup de tampon sur mon passeport, et on me fait remarquer que le
premier jour de validité de mon passeport est aujourd’hui même, il me faut
sortir le quinzième ; je ne peux que constater l’amabilité de ces hommes en
uniforme vert, très bien tenus.
A un
douanier je demande combien de temps il faut pour aller à la cathédrale, nous
n’arrivons pas à nous comprendre, mais montre en mains tout
s’explique.
Je sors de
la gare et mon premier regard est pour deux jeunes garçons solidement
charpentés, torse nu et culottes courtes, qui à bicyclette dévalent la pente
conduisant sans aucun doute au Rhin. Voilà la première image
d’Allemagne.
Rapidement
je monte à la cathédrale St-Etienne en passant sous la porte du Rhin (construite
par Vauban) et en suivant les remparts qui surplombent le
Rhin.
La
cathédrale gothique est très belle, un jubé (XV) magnifique sépare complètement
la nef du cœur, c’est une dentelle. Le maître autel est finement sculpté aussi
et la flèche qui le termine perce le plafond. Tout est peint. A l’entrée
quelques antiques peintures murales représentent des personnages à tailles
gigantesques et sans trop de vêtements – quelques femmes sont à
genoux.
De la place
de la cathédrale où un théâtre de verdure a été installé, je vois le Rhin et la
France perdue dans le brouillard, les Vosges sont invisibles. J’aperçois un
ouvrage en béton en continuation de la rive française et un soldat qui monte la
garde devant un autre… ! Je vois la manœuvre du pont de bateaux pour
laisser passer un remorqueur. Un dernier adieu et en route pour la gare à
travers de vielles maisons aux poutres apparentes, puis de maisons neuves assez
élégantes et aux larges rues.
La première
croix gammée que je vois, c’est à une devanture de photographe : un étroit
écriteau qui contient les mots que je n’ai ni transcrits ni traduits, est
encadré de croix gammées. Cet écriteau je le retrouverai très fréquemment, même
de plus en plus dans les boutiques, c’est comme la marque du national-socialisme
(geschaft).
En route
pour Freiburg. Les employés de la gare sont fort aimables, ils sont fort
bien mis en uniforme bleu foncé. Le train est très propre, mais les banquettes
sont simplement de bois.
On traverse
un pays très vallonné qui n’est pas du tout semblable à la plaine d’Alsace, son
symétrique.
A
7h1/2 : arrivée à Freiburg. Un plan de la ville placé à la sortie de
la gare me permet de me repérer très rapidement et me voilà à l’hôtel où les
difficultés commencent, mais elles sont très vite aplanies par un allemand de 45
à 50 ans qui sait un peu le Français. Il obtient pour moi une chambre à côté de
la sienne, aussi après une toilette très rapide redescendons nous ensemble
dîner.
Au cours du
repas il m’explique qu’il a vécu 12 ans à Strasbourg avant la guerre. il me
vante la forêt noire et notamment le téléférique du Schauinsland, merveille
technique, il me le vante si bien en disant «nous avons…» que je crois qu’il a
des actions dans l’affaire, mais non, il n’y a été q’une fois, mais tout ce qui
est en Allemagne est aux Allemands, c’est leur œuvre, et ils disent toujours
« nous, notre ». Il s’est fait servir un plat composé de multiples
mets, dont il extrait un, sorte de pain noir de l’Allemagne du Nord, pour me le
faire manger, car, dit il « cela forme des
athlètes ».
Mon état
d’étudiant en philosophie ne lui dit pas grand-chose, il me demande seulement si
je connais Nietzsche. Pas un mot de politique.
Le repas
fini, il s’excuse d’avoir à me quitter, il doit faire une visite. Nous allons
nous quitter quand une jeune française (20 ans) nous aborde et me demande où se
trouve le parc municipal où doit avoir lieu le concert quotidien. Elle pense que
je sais l’Allemand et pourrai interroger mon compagnon, elle, elle ne sait
presque pas l’Allemand et elle est ici avec sa mère et 2 jeunes frères qui
l’ignorent. Malgré mon ignorance nous arrivons à nous faire comprendre et mon
Allemand donne, avec grande amabilité les renseignements demandés. La Française
se retire en remerciant d’une façon qui me fait presque rire, tant elle est
précieuse.
Seul, je
vais vers le parc municipal, sans entrer, écoutant un peu la belle musique
qu’écoute un assez nombreux auditoire, puis, je vais flâner devant les boutiques
de la rue principale : Adolf Hitler Strasse. Elles sont presque toutes bien
éclairées, arrangées avec bon goût : beaucoup de magasins d’objets en bois
sculpté de la Forêt Noire, des bijoutiers… de place en place le petit écriteau me rappelle que je suis en Allemagne. Je
me trouve au pied de la cathédrale, la lune brille à travers la dentelle de sa
flèche (114 m), ou bien cette même flèche se détache sur un beau ciel bleu. Les
journaux sont affichés et j’ai la surprise de voir en 1ère
page : le service militaire en France sera-t-il de 2 ans ½ ? Je rentre
et de ma fenêtre je contemple la belle nuit dans laquelle se détachent de
multiples flèches (cathédrale, portes, églises), éclairées par la
lune.
Jeudi,
3 septembre
Freiburg.
Feldberg.
Titisee.
(100.000
h – 268 m)
(1.459 m)
(858 m)
Je retrouve
mon ami de la veille qui me demande tout de suite si j’ai bien dormi. il a
arboré ce matin son insigne ?. J’ai été plus matinal que lui et j’attends
qu’il ait fini son petit déjeuner pour aller en ville. Du jardin de l’hôtel où
je l’attends, j’entends des enfants chanter, tout à coup silence, puis deux cris, je
demande à mon guide des explications, il me dit en souriant : c’est Heil
Hitler. Tout en marchant, il me parle de Léon Blum, qui est un danger pour la
France…, des Espagnols. L’Allemagne, elle, ne veut pas la guerre, mais il y a la
Russie et il y a le communisme en France, en Espagne. C’est terrible la guerre,
tous les hommes se ressemblent, les Français sont comme les Allemands. Lui-même
l’a faite, la guerre, il a une décoration (ruban rouge, or et noir, avec deux
épées qui se croisent). Il y a dans ce monde des pays solides dont il n‘y en a
rien à craindre : Angleterre, Italie, Hongrie, Bulgarie…, mais d’autres ne
sont pas solides : Norvège, Japon…
A l’église
St Martin, où tout est en couleur, nous entrons ensemble, on dit la messe, et
l’église est pleine. Nous restons quelques instants, nous sortons pour aller à
la cathédrale où il y a l’enterrement d’un nazi sans doute, les couronnes sont
enrubannées de banderoles rouges dont l’extrémité a le rond blanc avec noire.
Mon guide
est catholique.
Tout autour
de la cathédrale un marché très animé se déploie. Mon guide connaît beaucoup de
marchands et il me présente de place en place. A un moment donné il achète une
demi-livre de raisin (45 pf) à mon grand étonnement. Souriant, il m’offre une
grappe et tout en nous promenant nous mangeons le raisin, du raisin français,
car il n’y a pas beaucoup de raisin en Allemagne et il n’est encore
mûr.
Nous
continuons à deviser, il s’indigne de ce que Blum envoie, ou laisse envoyer des
armes aux Espagnols. Vers 10h je lui demande si je ne lui fais pas perdre son
temps, il me répond sérieusement : « mon travail, mais c’est d’être
avec vous ». Vers 11h il me quitte pour aller à ses affaires. Que
fait-il ? Nous nous étions donnés rendez-vous à l’hôtel pour midi, mais il
n’était pas rentré à la fin de mon déjeuner.
Seul, je
cherche à aller à l’Augustinum Museum, mais il est fermé. Passant sous la tour
pittoresque de la «Schwalenter» un gros Allemand m’accoste me demandant le
chemin de Schlossberg, je m’excuse et je dis que je suis français, aussitôt
c’est force sourires et salutations. Quelques pas plus loin voyant l’indication
pour le Schlossberg, je reviens vers lui et le lui dis, c’est alors une cascade
de remerciements, ce terminant par les premiers « Heil Hitler » que
j’entends.
Je reviens
vers la cathédrale, « Unserer Lieben Frau » et là un automobiliste me
demande son chemin, je m’excuse encore une fois, c’est encore un assaut de
politesse.
Je parviens
à la cathédrale, au portail orné d’une multitude de statues et de statues non
mutilées. Un ascenseur me monte jusqu’à une plate-forme d’où je peux contempler
l’intérieur de cette flèche de grès rose si ouvragée et à mes pieds s’étale le
marché, qui me paraît être un vitrail mouvant aux vives couleurs : le vert
des légumes, le bleu des tabliers des marchandes et le rose de leurs corsages.
Au loin c’est la Forêt Noire qui se détache sur un ciel merveilleusement
bleu.
L’intérieur
de la cathédrale est un riche musée : Baldung, Grien, Holkein sont
magnifiquement représentés : retable magnifique de Hans Baldung. Les
chapelles de l’abside contiennent de merveilleux tableaux et près de la porte de
la sacristie une gracieuse fontaine laisse couler un filet d’eau.
Malheureusement je ne comprends rien aux explications du
guide…
En sortant,
je rentre à l’hôtel en passant devant le palais délicieux de l’archevêché. La
Rathaus aux fresques vives. Sans compter que j’ai admiré la Kaufhaus ancienne
douane, mi-gothique, mi-renaissance et peinte en vives couleurs d’un côté de la
place de la cathédrale et de l’autre la Kornhaus (Halle au blé), ainsi que la
tour St Martin sur la rue Adolf Hitler, sur un côté de cette tour on peut voir
la représentation de la fameuse scène du partage du
manteau.
Je donne à
un vieil employé de la Poste centrale les cartes que j’ai écrites pour qu’il les
timbre, ce dont il s’acquitte avec un large sourire sans épargner sa
salive.
A 13h je
prends le train pour Titisee.
Quel
magnifique parcours ! Le train va lentement, car il grimpe sur le flanc de
la vallée et c’est une succession de tunnels et de viaducs. La vallée est
profonde et très étroite, ses pentes sont recouvertes de sapins d’un vert
presque noir, de temps en temps les sapins font place à des rochers, qui
viennent même surplomber la vallée, ou bien c’est encore un pic rocheux qui se
dresse solitaire au milieu de cette vallée qui mérite vraiment bien son nom de
Höllenthal ou Val d’Enfer. Comme compagnons de voyage, j’ai un jeune homme
presque aveugle et un homme d’âge mûr, auquel j’ai essayé de parler, ce fut
difficile, et on finit par se contenter de s’appeler lui d’un côté du
compartiment, moi de l’autre pour se montrer une vue particulièrement belle et
en cœur nous répétions : Schön, magnifique, superbe.
Lorsqu’un
auto-car passait sur la route, quelques mètres au-dessous de nous, c’était un
échange de salutations entre les voyageurs des deux véhicules. A Hintergarten la
sombre forêt, qui se détachait d’ailleurs sur un ciel magnifiquement bleu
au-dessus de nos têtes, fit place à de vastes prairies d’un vert tendre. Puis la
forêt revint et ce fut l’arrivée (858m) à Titisee.
14h :
Rapidement je gagne une pension, on ne parle pas Français, mais Anglais,
cependant je suis vite installé dans ma chambre, où un escabeau me permet
d’atteindre la fenêtre et de contempler au premier plan la gare, mais au fond la
forêt.
15h :
je ne m’attarde pas et saute dans le train qui va me conduire à Boerenthal qui a
pour particularité d’être « la plus élevée du réseau des chemins de fer
allemands », m’a-t-on dit avec admiration.
Le
spectacle est merveilleux, le train s’élève en longeant le Titisee, lac de 2 km
de long et 70m de large et d »un bleu intense. Le lac bleu, la forêt noire,
où de place en place se détachent des prairies d’un vert tendre, avec cela un
ciel bleu sans nuages ! Du train je saute dans un car de la Reichpost aux
coussins de cuir mobiles, très propre et très accueillant, la carrosserie peinte
en rouge vif.
Nous voilà
en pleine forêt de sapins. Ce ne sont pas les sapins des Vosges au cimes
élancées qui ont perdu leur branches inférieures, non ces sapins ont toutes
leurs branches, ce qui entretient une constante humidité, d’où ces mousses, ces
fougères, ces myrtilles … un luxuriant tapis.
Le
1er arrêt a lieu à une auberge où un sanatorium tenu par des
religieuses, puis ce sont les hôtels du Feldberg, le Feldberghof. La forêt a
fait place à la prairie, je descends, c’est avec mes jambes qu’il me reste à
achever l’excursion du point culminant de la Forêt Noire (1.459
m).
Le chemin
est tracé entre des barrières, ce n’est pas comme sur les sommets des Vosges où
le touriste peut grimper par où il veut, ici la foule des touristes est
endiguée, canalisée.
Tout à
coup, devant moi, s’est posté un photographe, qui fait mine de me photographier.
Interloqué, je reçois des explications de mon compagnon qui me dit que pour tant
ils m’enverront ma photo quel que soit le pays dont je suis. Je les remercie en
refusant, ils n’insistent par trop.
Le chemin
est parcouru en tous sens par de petits groupes de promeneurs, les hommes, même
d’un certain âge sont en culotte courte, généralement culotte de cuir, ils ont
un chapeau mou de couleur vert foncé orné d’un plume ou d’une espèce de petit
balai sur le côté ou derrière. Les dames ont généralement une jupe noire et un
corsage de couleurs vives, souvent des chemisettes aux manches courtes et
bouffantes et sur la tête un foulard rouge vif à pois blancs, on voit autant de
nattes que de cheveux coupés – on a l’impression de la santé et de la joie. De
temps en temps s’élève un cœur grave.
Arrivé près
d’un promontoire où est érigé un monument qui porte l’effigie de Bismark,
j’aperçois à mes pieds le lac de Feldsee. il se trouve à deux ou trois cents
mètres à pic au-dessous de moi, c’est un trou bleu foncé, une gorge merveilleuse
qui s’épanouit d’un côté portant une forêt sombre et conduisant à une belle
prairie verdoyante.
Je vais
atteindre la tour de Feldberg, quand un petit prêtre me demande
l’heure.
Au sommet
dénudé un spectacle grandiose m’atteint, de ce sommet en effet partent de
sombres vallées encaissées, puis au loin ce sont les sommets sombres ou dénudés.
C’est d’un romantisme ! Le Feldberg semble émergé d’un vaste chaos… et quel
silence !
Au sommet
de la tour, il y a une table d’orientation, qui permet de se repérer, mais
faisant comme si je ne savais pas je cherche à lier une conversation avec un
Allemand d’une trentaine d’années, un peu plus grand que moi, ni trop gros, ni
trop maigre, c’est vite fait, il sait un peu de français. Il m’étale sa carte et
nous cherchons les sommets des Vosges qui devant le soleil couchant se
détachent. Par contre les Alpes sont perdus dans le brouillard, il fait trop
beau.
Avec mon
nouvel ami je regagne le Feldberger Hof. Je lui passe le petit dictionnaire
Allemand-Français, je prends le Français-Allemand et en avant. C’est
Mr Eckes de Frankenthal-Pfalz.
Nous
parlons d’abord paysages, il m’explique que Titisee veut dire lac de Tite, à mon
tour alors je lui explique ce que c’est qu’un Titi en langage parisien, nous
nous amusons beaucoup.
La
politique arrive : j’ai affaire à un Sarrois, il est né à Sarrebrück, mais
n’y habite plus. Il a été fort étonné l’an dernier de l’attitude de la France
lors du plébiscite pour deux raisons : d’abord parce que les Sarrois sont
foncièrement allemands et leur vote ne faisait aucun doute et ensuite parce
qu’aucune guerre n’était à craindre, le Führer est ami de la paix, ne veut
aucunement la guerre, il n’y avait donc rien à redouter pour la
France.
D’ailleurs
la guerre est impossible maintenant en Europe, l’Europe est bien trop petite
pour qu’une guerre ne soit pas un horrible massacre. Il y a cependant un danger,
le prodigieux armement de la Russie – comme c’est horrible ce qui se passe en
Espagne. L’Europe devrait bien s’unir aussi contre un autre péril,
l’envahissement des jaunes.
Les nations
colonisatrices, ont de grandes difficultés en ce moment, l’Inde n’est pas très
sûr, l’Afrique du Nord… Il faut laisser autonomes les pays qui peuvent se
diriger eux-mêmes.
Tout en
bavardant nous ne nous lassons pas de contempler le paysage. Devant le médaillon
de Bismarck, j’entends parler français, deux jeunes français d’une vingtaine
d’années, nous engageons une courte conversation : ils passent leurs
vacances à Freiburg, ils sont porteurs d’insignes fascistes dont je ne me
souviens plus, ils connaissent peu l’allemand. On se donne de vigoureuses
poignées de mains et nous nous sommes si cordiaux que mon guide pense que ce
sont mes amis et n’en revient pas d’apprendre que nous nous voyions pour la 1ère
fois.
Arrivés aux
Hôtels du Feldberg, il me montre sa motocyclette, malheureusement nous n’allons
pas dans la même direction, sans quoi il m’eût emmené. Il m’invite à venir faire
mes études en Allemagne, pour voir comme je serais bien reçu. Il me donne sa
carte, c’est un ingénieur, nous nous écrirons… Une bonne poignée de
mains.
Je
m’apprête à regagner à pied Bärenthal quand j’aperçois devant moi un jeune
Allemand, je hâte le pas, je le rejoins, nous ferons route ensemble. il a 18
ans, c’est un berlinois, il est maçon (?) dans une grosse entreprise, son frère,
plus jeune, fait ses études de médecine. Il a appris un peu le Français, il sait
quelques mots. il m’explique qu’en Allemagne il y a trois sortes d’écoles :
la 1ère où l’on apprend le français, la 2ème :
anglais ou français et latin, la 3ème : on ne fait que des
sciences.
Il est très
fatigué, étant monté à pied de Titisee au Feldberg, ayant pris un bain dans le
Feldsee, parfois même il titube. Il a trois semaines de vacances, il revient du
Bodensee, lac de Constance, dont il me vante la beauté. Il a été un peu en
Suisse et me dit la difficulté qu’il a eu de saluer les gens autrement que par
« Heil Hitler ». Les voyages ne coûtent pas trop cher, car, faisant
partie de l’Arbeitfront, front du Travail, il a de grosses réductions. Il fait
cependant des économies, il voudrait économiser 10 marks pour le mois
d’octobre.
Des autres
nous croisent, et je suis surpris de sa réflexion : « eux en auto,
nous à pied ». Je me lance alors vers le communisme. Oh, en Allemagne, pas
de communisme, aussi nous sommes très heureux.
La nuit
tombe et nous retournant nous voyons le monument de Bismarck et les pentes du
Feldberg se détacher sur un ciel lumineux des diverses couleurs du soleil qui se
couche derrière ; devant nous c’est le sombre Titisee. Que c’est beau, et
un long moment, tous les deux nous contemplons ce
spectacle.
A un
carrefour, un jeune prêtre nous demande l’heure, et comme après l’avoir
renseigné, mon compagnon lui fait « Heil Hitler », il nous répond de
même en riant.
A ce même
carrefour, s’élève un poteau indicateur d’un genre spécial : il est
surmonté d’un ours en bois sculpté et peint en vives couleurs : vers la
montagne, ce sont des gens qui montent le dos courbé…
En
attendant le train, nous allons nous rafraîchir : comme il n’a pas faim et
qu’il veut faire des économies mon compagnon mange deux petits pains en buvant
un bock de bière et un verre d’eau, ce sera tout son dîner (46 pf). A Titisee,
il se changera et ira au couvent. Nous écoutons la T.S.F. et il m’explique
qu’avant le 30 janvier 1934, elle était très mauvaise, mais depuis ce jour de
l’avènement de Hitler, le ……………., elle est très bonne. Les Allemands paient 2
marks par mois pour la T.S.F.
La nuit est
tombée quand nous retournons à Titisee. Mon compagnon se hâte vers la poste, qui
reste ouverte jusqu’à 8h, il attend avec impatience une lettre de sa mère, à la
poste restante.
Nous nous
quittons devant ma pension. Lui loge chez un particulier. En arrivant dans un
pays, il va directement à l’hôtel de ville se renseigner sur les chambres à
louer, c’est ainsi qu’il se loge pas cher, je crois 1,70 : chambre et petit
déjeuner, lorsque moi j’en aurai pour 3.50.
J’occupe
une table à l’extrémité de laquelle il y a déjà deux Allemands. C’est une
servante en costume du pays qui nous sert : jupe et corsage noir, rehaussés
de dessins de vives couleurs et la chemisette. La T.S.F. marche, je suis
formidablement surpris d’entendre tout à coup les réclames de
la Quintonine, de Valentine… Puis un groupe d’Allemands écoute avec grand
intérêt ce qui doit être les informations allemandes. La maîtresse de maison,
très forte personne, vient s’entretenir avec quelques clients, lorsque je sors
elle me gratifie d’un grand « bonsoir ».
Je vais
vers le lac, assis sur un banc, je contemple et j’écoute sans grand plaisir
d’ailleurs la musique, sorte de jazz, qui vient d’un hôtel. C’est un pays
d’Américains.
Vendredi,
4 septembre
Titisee.
Beuron.
Wildentstein
95 km
Au réveil,
le temps est très couvert. Je m’apprête à aller à travers la forêt touffue,
noire, humide, quand la pluie commence à tomber. Je reviens près du lac et
m’assois, quand un bruit de pas rythmés me fait dresser l’oreille, je vais à la
route et passent devant moi : 25 garçons de 14, 15 ans en chemise grise en
rang par trois, commandés par un de guère leur aîné, tout équipés,
silencieux et au pas impeccable.
A 10h,
après avoir un peu erré sous quelques averses à travers ce pays fait de villas
et d’hôtels, je gagne la gare pour Beuron.
Tout un
contingent de séminaristes ou de jeunes religieux allemands en soutane prend
aussi le train. Le train est très chargé, je m’installe devant un prêtre qui
récite son bréviaire; c’est avec amabilité qu’il me
renseignera.
La train
traverse de belles gorges, puis c’est le petit Danube bleu, la Danauthal et
Beuron.
A la porte
du monastère je rencontre un séminariste alsacien, nous allons déjeuner au
réfectoire des hôtes. Le séminariste à côté de moi m’explique son voyage :
il voyage en partie en vélo en partie en chemin de fer, il va à Munich pour
revenir par le lac de Constance. Il cherche à parler aux gens le plus possible
et me dit l’inquiétude que venait de lui confier un curé badois sur l’éducation
des jeunes allemands, qui sont élevés dans une dangereuse admiration de la
force.
Nous
visitons l’église du couvent, de style baroque, surchargée de dorures et de
peintures, de frises. Seuls 2 autels modernes vers le milieu de l’église sont
fort beaux, l’un a notamment un très chic « Bon
Pasteur ».
Le
séminariste me quitte, car il va gagner en vélo Ulm.
Seul, je
vais voir la chapelle St-Maur, aux fresques modernes, expression de l’art
moderne religieux allemand. Je contemple la vallée sinueuse et profonde, une
grande croix la domine, qui est lumineuse pour les grandes fêtes. Le site est
pittoresque : de grandes falaises calcaires blanches, auxquelles
s’accrochent des arbres (plus de sapins). Je longe le Danube, de la dimension
d’une rivière, c’est merveilleux, parfois il va se heurter à une falaise à pic
et un tunnel est nécessaire.
Je
rencontre une dame d’une cinquantaine d’années, elle est de la frontière
polonaise, elle sait le Français, l’Anglais, l’Italien, le Polonais. Nous nous
entretenons de la beauté du pays, qui n’est pas fréquenté autant qu’il le
mérite, elle me monter de monter au château fort de Wildenstein, bien que le
temps soit couvert.
Saint
Maur : peintures fort belles, personnages inspirant paix bénédictine, un
peu raides comme les peintures égyptiennes – grande délicatesse de tons.
Au-dessus de la chapelle, reproduction de la grotte de Lubiaceo, d’où une belle
vue sur la vallée.
Je rentre à
Beuron pour traverser le Danube et monter au Wildenstein. Je demande mon chemin
à 3 jeunes allemands, ils savent très peu le Français, mais sont avides de
s’instruire et cherchent avec entrain dans le
dictionnaire.
Ils
m’accompagnent un bout de chemin. Ils sont de Stuttgart et font partie de la
jeunesse catholique. L’un, 14 ans, est menuisier, les deux autres (16 ans) sont
commerçants. Nous bavardons un peu, ils me quittent pour rentrer goûter au
monastère.
Je suis
rattrapé par deux cyclistes, qui pédalent ferme, car la pente est rude : un
père (35 ans) et sa fille (13 ans), ils finissent par pousser leur vélo. Je les
rejoins à un endroit merveilleux : une clairière dans la forêt nous laisse
voir le burg de Werenwag surplombant la vallée et le château fort de
Wildenstein. Malheureusement ils ne savent pas le
Français.
A l’entrée
du château fort flotte une long étendard ,
car dans les dépendances du château se trouve un camp de jeunes filles
hitlériennes (B.D.M.).
Pour la
visite du château, c’est très simple, une dame me donne deux énormes clefs et
m’indique le chemin. Je grimpe au faîte d’où je domine de 2 à 300 mètres le
Danube, c’est à pic; le château est sur une pointe rocheuse séparée complètement
du plateau qui commence au Sud. Les salles visitées contiennent de vieilles
fresques représentant des scènes de chasse.
On me donne
ensuite la clef de la chapelle, un bijou de chapelle
gothique.
Puis je me
rafraîchis, le gardien, dont la boutonnière est ornée de la du
parti, vient me tenir compagnie, il sait un peu le Français. Il m’explique qu’à
côté du château il y a un camp de B.D.M. : où l’on reçoit les jeunes filles
de 14 à 21 ans, pendant 14 jours, de juin à octobre pour le prix de 1M,20 par
jour. Elles font durant ces vacances tout ce qu’une femme doit savoir faire.
Parmi elles, il y a en ce moment une jeune espagnole, dont on ne sait ce que
sont devenus ses parents, la situation espagnole est encore
là.
Avant de
nous séparer, le guide m’offre un livre illustré sur la forêt noire, comme
souvenir.
De retour
devant la porte du monastère, je retrouve mes trois jeunes allemands, et avant
de dîner nous allons faire la causette sur les bords du Danube, puis sous le
pont couvert fort pittoresque où nous nous protégeons contre une pluie
fine.
J’essaie de
les faire parler sur les associations catholiques, mais rien à faire, ils me
disent que le gouvernement les laisse très tranquilles. Un camion où sont
installés des soldats de l’aviation nous croise ; il y a des manœuvres
aériennes; dans la région.
J’en
profite pour lui dire combien leur armement intensif fait peur aux
Français : autodromes, aérodromes, fortifications sur le Rhin… Ils me
ripostent que nos fortifications leur font aussi peur, ils ne font que se
défendre.
Nous nous
quittons pour le dîner, ils ne dînent pas dans la même salle. Je fais alors
connaissance d’un protestant qui va bientôt abjurer, il sait très peu le
français et ne peut me dire le plat extraordinaire que nous avons pour
dîner.
Après le
dîner, je retrouve mes 3 jeunes Allemands, nous reparlons catholicisme. Ils me
déclarent que les catholiques français sont plus fervents que les catholiques
allemands. Les Allemands sont indifférents et sont entraînés par la
politique.
Nous allons
aux complies où nous rejoint mon voisin de table protestant, qui a eu la
délicate intention de m’apporter un livre pour suivre
l’office.
Il y a bien
de monde, hommes et femmes en cheveux. L’office est très bien chanté par les 3 à
400 moines bénédictins (il y a plus de frères que de pères, on accepte
volontiers en Allemagne l’humble tâche de frère).
L’office
fini, mon protestant me présente un jeune homme de 25 ans comme « le maître
de réception du Benedictus Heim ». De quoi s’agit-il ? Je vais le
savoir, tous les six nous allons à cette Benedictius Heim.
C’est un
grand bâtiment qui a servi autrefois pour un camp de travail, et qui maintenant
appartient au monastère. Il sert à loger les jeunes catholiques en
vacances : on paie 25 pf par nuit, plus 25 pf. pour avoir un sac de
couchage.
Les lits
sont à un étage. Comme je manifeste la crainte qu’il y aurait de tomber, mon
protestant me déclare en souriant : « on ne tombe pas deux
fois ».
C’est un
bâtiment de planches, très propre.
Nous nous
mettons à discuter.
Je suis
interrogé sur l’A.C.J.F., j’explique qu’il y a un président laïc et un aumônier
général.
En
Allemagne, il y a un seul chef : « Mgr Volka ou Voska, et mon
protestant ajoute avec malice : « un petit
dictateur ».
Les
associations catholiques ont du mal à vivre, on les gêne beaucoup et ainsi les
soldats catholiques sont ennuyés en pays protestant et vice-versa – on peut rien
dire – Ils paraissent assez moqueurs quand il s’agit de Hitler et de la .
Nous sommes
interrompus par l’arrivée du Père Hôtelier qui vient chercher mon protestant et
moi. Il ne sait pas un mot de français, on cherche à parler latin sans
succès.
Nous
rentrons tous les trois au monastère. Avec le Père, je monte au dortoir divisé
en cellules par des rideaux.
Il fait
l’inspection de mes affaires et me conseille fortement de me coucher. Je lui
montre mon cadeau de l’après-midi et souriant il me dit : Propaganda,
propaganda.
Samedi
5 septembre
Beuron–
Sigmaringen –
Ulm –
Augsburg
203km
(5.500
habitants)
(62.500 h)
(180.000)
sur
le Danube
sur le Danube
sur le Leeh
A 4h1/2, je
suis réveillé par la cloche et la lumière, ce sont les matines. Le Père vient
réveiller un étranger, mais me fait signe de dormir.
Après la
messe et le petit déjeuner, je vais faire un tour, quand je rencontre les 3
jeunes de la veille, ils me donnent rendez-vous après le petit déjeuner, mais je
rencontre mon protestant, qui m’emmène à St-Maur entendre la grande messe pour
la dédicace de cette chapelle.
Il me
montre l’endroit où il a travaillé autrefois, ayant été à ce camp de travail.
Nous cherchons dans une carrière des fossiles qui, paraît-il, abondent, mais nos
recherches sont vaines.
Je refais
ce chemin près du Danube, le ciel est redevenu serein. C’est très joli. La
conversation est assez difficile, mais avec le sourire tout va
bien.
Nous
entendons la grande messe : les bénédictins occupent l’intérieur de la
chapelle, une cinquantaine de personnes se pressent à la porte. Les chants sont
très bien menés. A l’élévation, je remarque que mes voisins, à deux reprises,
font le signe de la croix et se frappent trois fois la
poitrine.
En
rentrant : mon protestant m’apprend qu’il est musicien et que c’est par la
musique qu’il s’est tourné vers le catholicisme.
Il se
plaint de ce que les sports prennent de plus en plus de place dans la vie des
jeunes allemands, ils n’ont plus de temps pour les arts d’agrément, ce sont des
« sauvages ».
Il me fait
voir la reproduction d’une statue, dont je ne peux voir l’original faute de
temps, c’est l’œuvre d’un allemand qui a étudié les antiquités égyptiennes, s’en
est inspiré et a donné le branle à l’art religieux moderne : la madone
avec……….. . Mon protestant aime beaucoup cette statue pour sa finesse et sa
« mystique », il aime beaucoup moins les fresques de St Maur, qui
s’inspirent de cet art.
Après des
adieux au Père Hôtelier, je quitte mon protestant avec regrets, il était
vraiment très chic.
A 11h30 je
suis à la gare.
Quelle
n’est pas ma surprise de rencontrer la dame, avec laquelle j’ai fait un bout de
chemin hier, nous nous installons vis-à-vis.
Nous
suivons la belle vallée sinueuse du Danube, à des pitons rocheux sont auréolés
de vieilles tours.
Nous
atteignons Sigmaringen, où nous descendons ensemble : cette dame change de
train et a 2 heures à attendre, pour moi j’ai une heure
d’arrêt.
Elle
connaît le pays et me conduit au château, faute de temps, nous n’en visitons
qu’une partie, et elle ne veut pas que je paie : quand on vient de Paris
pour voir le château de Sigmaringen, il n’est pas juste de payer et elle donne 1
R.M. pour nous deux. Avant d’entrer, nous mettons à nos chaussures de vastes
chaussons de feutre sans talon, et nous glissons sur un parquet de toute
beauté.
Quelques
magnifiques tableaux : Holbein, Dürer … de vieilles armes : et ma
compagne me dit qu’on devrait faire la guerre avec elles, au moins on se ferait
pas trop de mal. Les plafonds aux caissons dorés sont très
beaux.
La ville
possède encore de vieilles maisons fort curieuses en cloisonnage et poutres
apparents, rues très étroites; fleurs aux fenêtres.
Le château
par ailleurs est construit sur un rocher qui tombe à pic dans le Danube. C’est
une fameuse position. Il appartient aux Hohenzollern.
Comme je
remarque de nombreux enfants en chemise brune et cravate noire, j’obtiens de ma
compagne la réflexion suivante :
« On
juge du catholicisme d’une ville par le nombre des chemises brunes » -
« mais, pourtant, répliquai-je, l’Eglise ne défend pas d’être du parti »
- « non, mais l’Eglise catholique nn’aime pas trop le patriotisme, elle fait
quelques distinctions ».
L’heure
passe, je quitte cette dame pour la gare et à 12h1/2 je file sur Ulm. Je
m’installe devant une dame de 40 à 50 ans, porteuse de l’insigne du congrès.
Le pays
s’aplatit, la vallée s’élargit.
Au bout
d’un certain temps, je me décide à lier conversation avec ma vis-à-vis. Elle
parle un peu français et a l’air contente de renseigner un
Français.
Elle
m’affirme que l’Allemagne veut la paix, surtout avec la
France.
Comme une
jeune fille : jupe noire, chemise blanche, cravate noire, vareuse brune et
brassard rouge entourée
de 2 épis de blé, monte dans notre compartiment, je lui demande à quelle
organisation elle appartient :
C’est une
jeune fille qui accomplit son temps de travail : étudiants et étudiantes
doivent avant de commencer leurs études faire six mois de travail soit à la
campagne soit à la fabrique. Cette jeune fille doit donc venir de faire la
mission.
Les jeunes
gens travaillent aussi souvent sur les routes. Un stade du congrès de Nuremberg,
le Zeppelin Wiese a été construit par eux, donc sans grands frais de main
d’œuvre.
Ma compagne
va au congrès en passant d’abord voir sa mère à Ulm, elle me dit que ce sera
très beau ; elle me demande si j’appartiens à quelque parti français de
droite, si oui je pourrais avoir une place sans doute au stade. Elle s’étonne de
ce que je n’appartiens à rien. Elle me signale la présence au congrès des
représentants de l’Italie et de la petite entente, absence de la France,
Angleterre et de l’instable Pologne.
Pendant ce
temps le train file, le pays devient moins intéressant, nous traversons à 3 ou 4
reprise des nuages de poussière, ce sont des usines de fabrication de
ciment.
A Ulm, je
suis de nouveau seul, j’ai deux heures, il faut me
dépêcher.
En route
pour le Munster, la cathédrale, « la 2ème église gothique
d’Allemagne pour la grandeur avec le plus haut clocher en pierre du monde
entier » (162 m). C’est de fait une dentelle de pierre
grise.
Je ne monte
pas dans le clocher, je me contente d’aller voir les statues, dentelle de
bois : figures d’une expression, épatante, quelques beaux tableaux
réalistes (cire), des blasons en nombre énorme – un baptistère fort
curieux.
Malheureusement c’est un édifice
vide, c’est un temple protestant aménagé pour les concerts
d’orgue.
Sous le
clocher, des plaques commémoratives pour des régiments de la grande
guerre : grandes couronnes vertes avec banderoles non moins
grandes.
Un coup
d’œil à l’hôtel de ville renaissance (XVI !), sur la façade duquel une très
curieuse horloge indiquant jour, mois, lunes, signes du zodiac. Fresques sur
tous les murs.
Un autre
coup d’œil à la cour au fin, surtout bien par une charmante fontaine Saint
Christophe.
La ville
paraît très animée. Nombreux auto-cars sur la place de la cathédrale.
Magnifiques boutiques.
Vers 15h30,
j’étais en route pour Augsburg, cette fois dans un train aux banquettes dûment
rembourrées, mais ça s’explique : il venait de Paris, c’est le direct
Paris-Munich.
Je ne reste
pas longtemps assis, je vais à la fenêtre du couloir, où un allemand d’une
trentaine d’année a l’air de me considérer avec curiosité, il a remarqué mes
billets de chemins de fer que j’ai présentés au contrôleur. Je l’aborde, il
sait un peu le
français.
Il est de
Stuttgart, fait partie de l’Arbeitfront, dont l’insigne (dans
une roue dentée) est à sa boutonnière, et qui groupe presque tous les
travailleurs industriels et leur assure de gros avantages notamment pour les
voyages. Il a passé ses vacances en Autriche, puisque l’interdit que le
chancelier avait jeté sur l’Autriche, a été levé en juillet, il en est revenu
enthousiasmé.
Il
m’interroge sur les croix de feu et me demande tout à coup : que
pensez-vous du pacte franco-soviétique ? Je ne sais trop quoi répondre, je
lui dis que ce fut une bonne occasion pour Führer d’occuper la Rhénanie et
j’ajoute : ne l’aurait-il pas occupé sans cela ? – et avec un sourire
malicieux il me répond : oui.
Il
m’interroge encore sur le danger d’une révolution communiste en France, je
démens formellement. Dans un village, nous apercevons de grands mâts avec .
C’est la fête de la moisson qui termine les récoltes.
L’arrivée à
Augsburg nous sépare puisqu’il va à Munich.
Quel effet
produit Augsburg avant d’arriver, c’est incroyable, d’abord des maisons
ouvrières et mon compagnon me fait remarquer qu’avant Hitler les socialistes
avaient construit des maisons comme de vraies casernes, mais qu’Hitler fait
construire des maisons agréables, des pavillons.
Puis c’est
au loin, les nombreux clochers bulbeux et vert-de-gris, qui donnent à la ville
un air oriental, un cachet vraiment pittoresque.
J’ai
beaucoup de mal à avancer dans les rues, les trottoirs ne sont pas larges et il
y a un monde fou, qui flâne.
Après une
bonne demi-heure de marche, j’atteins le couvent bénédictin St Etienne, pour le
Père Abbé, R. Dom Glogger duquel Mgr Ricard m’a donné une
recommandation.
Le frère
portier ne connaît pas le Français, mais il porte mon mot et me fait rentrer au
parloir.
Peu après
arrive un vieux Père, qui en l’absence momentanée de Dom Glogger, me reçoit et
me conduit à une chambre où je serai cochambriste avec un séminariste de
Bamberg. La chambre est séparée en deux par des rideaux à mi-hauteur, sauf la
table commune.
Ce vieux
père sait le Français, j’apprendrai d’ailleurs que son grand-père était de
Besançon. Il tient absolument à ce que je prenne une collation, mais il est six
heures, j’accepte seulement à boire.
Je fais
connaissance avec le séminariste en clergyman, mais qui ne sait presque pas le
français, nous nous entendons quand même, bien qu’il soit aussi fort que moi en
latin.
Il me
montre les photos de son séminaire, établi à Banz dans un ancien couvent-château
de style ?????? . C’est épatant.
Il
m’indique ensuite les principales choses à voir à
Augsburg.
Je
l’interroge ensuite sur la situation des catholiques en Allemagne. Je suis
stupéfait d’apprendre que cela, d’après lui, ne va pas si mal que cela. D’abord
aucun évêque en prison.
Ensuite
Hitler, avec l’évêque de Bamberg, a visité deux fois son
séminaire.
Il y a des
économes, de congrégations en prison, aussi l’économe de Beuron, ce serait pour
avoir des valeurs à l’étranger.
Au
repas : lecture de la vie du fondateur des missionnaires de Marian-Hill,
ensuite on peut parler, mais mes deux voisins ignorent le français, on s’en tire
par le latin – on me signale le passage, en Août, de Mgr
Ricard.
Je mange un
espèce de pain, archi-bourratif et presque noir, je bois une eau extrêmement
gazeuse à goût de citron.
Le repas
terminé, je fais connaissance d’un très vieux Père qui me dit des choses
fort
intéressantes :
« Le
gouvernement n’a pas tenu ses promesses, le communisme peut très bien venir en
Allemagne, il y a beaucoup de mécontents ». Je lui signale que les journaux
français, à la suite de la lettre de Fulda, ont annoncé la « Canossa
d’Hitler ». Cela le surprend beaucoup, il n’y a aucun différence d’attitude
du gouvernement et le Père ajoute : « l’intérêt de Hitler serait de
faire la paire avec l’Eglise ». On espère des paroles d’apaisement au
Reichparteitag.
Avec le
P.Bourier, le séminariste et un bénédictin américain, je reste à déguster de la
bonne bière, et une conversation germano-américano-franco-latine s’engage. Le
Père Bourier rit en pensant à la bière que les bénédictins de Paris lui avaient
donné à son passage à Paris en 1890.
Dimanche,
6 Septembre
Augsburg
J’assiste à
une messe basse dans l’église du couvent de style roccoco, c’est vraiment pas
très beau.
Puis grande
messe en musique : polyphonie, violons…, par les élèves de l’école
attenante au monastère. Ils sont peut-être 300, ils se tiennent très bien,
presque sans surveillance. J’entends un sermon de R.P.Glogger, haut perché,
symbole, paraît-il, de la distance qu’il y a entre le clergé et fidèles en
Allemagne.
Je fais
connaissance d’un Père, professeur de français, il se fait volontiers mon guide
pour la journée. En route à 9h1/2. Les enfants viennent baiser les mains du
R.P.M.-J.
Nous
visitons d’abord une exposition provisoire, appelée « exposition pour la
protection de la Nature ».
Dans la
cour d’entrée : un sapin aux branches cassées, un banc en mauvais état, des
papiers par terre : légende : ce qu’il ne faut pas
faire.
Puis des
salles où sont exposés des croquis pour montrer la façon dont il faut entretenir
les forêts, le boisement, les coupes, des photos montrent ce qu’il faut faire et
ce qu’il ne faut pas faire, il ne faut pas laisser improductif un pouce de sol
allemand.
Des dessins
d’élèves reproduisent des plantes ou des oiseaux. C’est très intéressant,
beaucoup de monde s’y presse ; demain je verrai toute une école entrer
visiter.
Puis c’est
la visite du Musée de Maximilien ; quelques tableaux, beaucoup d’écussons,
des vieux appartements…
Avec un
flot énorme, et d’ailleurs après bien des hésitations du Père Bénédictin, nous
allons voir la Salle d’or, Goldener Saal : la grande curiosité
d’Augsburg : vaste salle aux boiseries rehaussées d’or, au plafond peint
(les vertus), et sans piliers : le plafond est soutenu par des chaînes
qu’on ne voit pas.
C’est dans
cette salle que se trouve une table en bois massif, où fut signé vers 1500 le
traité d’Augsburg.
Après
déjeuner nous reprenons notre course, accompagnés du bénédictin américain :
nous longeons les vieux remparts très pittoresques avec des tours, comme la Tour
Rouge, au pied de laquelle est installé un théâtre de verdure, et comme toujours
pour pièces historiques.
Nous
visitons un quartier appelé « Fuggerei », fait de maisons sans étage,
je crois, qui a été construit par un Jacob Fugger en 1519, pour les pauvres gens
qu’il employait. Le quartier reste affecté aux pauvres qui n’ont à payer par an
que 2 R.M. de loyer, je crois. Ce quartier est doté d’une église fort bien. Nous
passons devant une caserne dont les fenêtres sont garnies de pots de
fleurs.
Puis c’est
St-Ulrich, l’ancienne église du couvent bénédictin, maintenant église
paroissiale ; magnifique église gothique, malheureusement le maître-autel
et les deux autel sur les côtés sont affreux : dentelles peintes
gigantesques, écrasantes qui ne vont pas avec la simplicité du
gothique.
La
sacristie est extraordinaire : immenses placards, puisqu’elle était faite
pour un couvent de quelques centaines de moines.
L’autel du
Père Abbé est fort curieux : gothique flamboyant à mi-hauteur de la
nef.
Perpendiculairement à la nef de
l’église catholique, il y a l’église protestante, dans le fond de l’Eglise
protestante est le mur de la nef catholique, c’est le symbole de l’entente entre
catholiques et protestants à Augsburg ; la porte du presbytère donne à
l’entrée de l’église protestante, le curé peut passer de chez lui à l’église
directement.
Nous
visitons St-Maurice du style baroque. A l’entrée je remarque une grande affiche
jaune, je me fais expliquer : c’est l’évangile du jour avec un commentaire
pour les fidèles qui n’auraient pas entendu, lu ou
compris.
Nous
prenons la Maximilianstrasse, vaste rue due à la démolition d’une double rangée
de maisons. Au milieu : la fontaine d’Hercule, sculpture remarquable.
« Hôtel » des Fugger aux fresques extérieures et le plus chic hôtel
d’Augsburg l’hôtel des « Drei Mohren ».
Nous
terminons par la cathédrale, faite en 2 morceaux, en 1100 et en 1400, très
belle, malheureusement elle a été restaurée et elle a été recouverte
intérieurement de peinture blanche, avec raies foncées pour simuler
pierres.
Un groupe
de jeunes gens à l’accoutrement étrange éveille mon attention : j’interroge
l’in d’entre eux, il s’agit d’une troupe scoute de Marseille : ils ont ôté
tout insigne et pas un n’est habillé de même, puisque insignes et uniformes sont
interdits en Allemagne. Ils vont à Berlin.
Ils ont
rencontré à Stuttgart un Allemand qui leur a déclaré ne plus croire à rien, les
religions sont dépassées, seul maintenant il y a la
race !
Nous
visitons un peu ensemble. A chaque pilier, il y a un autel surmonté d’un tableau
d’Holbein, originaire d’Augsburg : visages et couleurs
merveilleux.
Les scouts
nous quittent.
Notre Père
allemand nous présente les bénédictins américains et moi, à un bon gros chanoine
en clergyman, qui récite son bréviaire. Il nous fait admirer de vieux vitraux du
XIème aux figures noires-brunes. Surviennent deux autres clergymen,
l’un des deux est l’évêque de Trêves, tout simple, c’est un échange de politesse
et même de quelques malices que je ne comprends pas.
Un dernier
coup d’œil à la cathédrale pour voir une fresque antique représentant un
colosse, qui n’est autre qu’un St-Christophe d’environ 4 m de long et une
vieille porte de bronze du X avec des attributs mi-chrétiens,
mi-païens.
Nous
rentrons au monastère, nous rejoignons les bénédictins qui sous la paternelle
présidence du Père Abbé boivent de la bière et mangent du pain noir en minces
tranches. Nous les imitons.
Le Père
Abbé parle de Louis XIV, de son lever pour occuper ses courtisans, tout comme
cela avait lieu pour le Roi de Bavière. Je ne comprends
rien.
Un peu de
T.S.F. m’apprend qu’Antonin Magne a été vainqueur de….
Il me faut
ensuite préparer un peu la classe que je ferai demain.
A table,
les Pères parcourent les journaux du soir qui donnent le programme du
Reichparteitag et des photos sur les horreurs d’Espagne.
Après le
dîner, causette comme hier au soir. Le bénédictin américain me dit des dangers
du racisme : c’est comme un explosif qui pourrait bien éclater, car on peut
vivre longtemps replier sur soi-même. Il voit la guerre
proche.
Rentré dans ma chambre, je vois que le Père Marie-Joseph Bethmann ne m’a pas oublié et pour que demain je ne sèche pas en classe il a étalé sur le rideau de séparation un vaste plan de Paris. Cette pensée de faire la classe demain à de grands jeunes gens allemands n’est pas sans m’émouvoir. Jusqu’à mon retour en France, j’aurai comme lit : 1 drap du dessous et seulement un couvre-pied avec housse blanche.
Lundi,
7 Septembre
Augsburg
–
München (Munich)
sur
le Leeh
(738.000 hab) sur l’Isar
A
8h1/4, après avoir entendu la messe à la cathédrale, mêlé à une
centaine de fidèles allemands (presque autant d’hommes que de femmes), après
avoir vu les enfants aller faire une prière avant de se rendre à l’école, je me
dirige vers le lycée.
En
Allemagne, les écoles de l’Etat sont confessionnelles, ce sont les bénédictins
qui dirigent le lycée de l’Etat pour les catholiques. Comme 1/3 des habitants
sont protestants, il y a un autre lycée pour les protestants, mais naturellement
moins fréquenté.
Dans la
cour de l’école, flotte un drapeau à un mât très élevé. Le Père Marie-Joseph
m’explique que les écoles doivent avoir ce drapeau, qui est hissé durant l’année
scolaire et descendu pendant les vacances.
Les
vacances ont eu lieu du 17 Juillet au 1er
Septembre.
Le Père
Marie-Joseph me présente au professeur laïc de la classe supérieure, où je dois
faire une classe de ¾ d’heure, c’est un homme très sympathique, souriant,
avenant d’une cinquantaine d’années.
La cloche
sonne, assisté de ce professeur, j’entre en classe. Grand silence. Arrivé devant
la chaire, le professeur se tourne vers ses élèves qui levant la main le saluent
en « H.H. », il répond de même, puis la prière. Au mur une grande
croix au-dessus de la chaire, sur les murs latéraux : 2 photos, celles de
Hindenburg et de Hitler. De grandes baies laissent voir les multiples clochers
bulbeux de la ville.
Le
professeur : « Je vous avais promis une surprise pour vous
récompenser. Cette surprise, la voici, c’est la venue d’un jeune français qui va
nous parler de Paris et répondre aux questions que vous aurez toute liberté de
poser », il parle lentement en bon français. J’ai alors une cinquantaine de
paires d’yeux braqués sur moi. Ce sont de jeunes gens de 19, 20 ans. Lentement
pendant une demi heure je leur parle de Paris, m’arrêtant surtout, selon le
conseil reçu, à parler de la Tour Eiffel, du métropolitain… Le professeur m’a
dit : « L’art les intéresse très peu, il leur faut de la technique. Le
Louvre, non, mais la Tour Eiffel ». Après 20 minutes je demande si on a des
questions à me poser, silence. Le professeur me demande de parler du
gouvernement français : combien de partis ? (En Allemagne il n’y en a
qu’un) et leur multiplicité les fait sourire. Ils suivent
attentivement.
Enfin l’un
d’eux se décide à m’interroger, une main se lève et je reçois, tout abasourdi,
la question :
« Blum
est-il juif ? »
Ca, c’est
allemand 100%. Je réponds en disant que je le crois.
Puis le
professeur me demande de chanter la Marseillaise, je réponds par mon incapacité
à tous points de vue et il m’interroge sur la littérature : quels sont les
romanciers modernes ? Il connaît Maupassant. Quels sont les
poètes ?
La cloche
sonne, et sur un naturel « H.H. », auquel j’assiste sans broncher, je
quitte cette classe pour retrouver le Père Marie-Joseph et faire une classe de
français dans la classe inférieure.
Assisté du
Père, j’entre dans cette nouvelle salle décorée comme la précédente. Les élèves
saluent et le Père répond. Je recommence la visite de Paris, puis j’attends les
interrogations. Un élève se lève et me demande :
« Comment la jeunesse française
est-elle organisée ? »
Je me lance
sur l’organisation catholique, je signale naturellement la grande différence
entre nos deux pays : d’un côté une jeunesse unifiée, de l’autre des
groupements divers.
Le temps a
passé formidablement vite, la même quantité d’yeux m’a dévoré pendant ¾ d’heure.
La prière clôture cette première partie de la matinée, puis le salut ,
et c’est la récréation, des pupitres sortent du pain, des
fruits…
Le Père
J.-M. m’explique que l’élève qui m’a interrogé avait fait partie de
l’association catholique de la jeunesse allemande, mais que son père étant
fonctionnaire il avait dû y renoncer pour entrer dans la jeunesse hitlérienne,
Hitlerjugend, H.J. il n’est pas le seul dans ce cas, la plupart des lycéens sont
H.J. et leurs pères font partie du parti ,
sans quoi pas d’avancement ou même le renvoi.
Après un
quart d’heure de récréation, les classes reprennent de ¾ d’heure chacune,
jusqu’à 13h, ensuite les lycéens sont libres tout l’après-midi qu’ils
emploieront en majeure partie pour les sports et le Père se lamente sur les
humanités.
Les études
du lycée se terminent vers 19 ou 20 ans par un examen unique, mais qui dure une
semaine.
Dans les
couloirs je salue et remercie Dom Glogger, qui lui aussi fait la classe, et qui
m’avertit qu’il demandera aux élèves ce qu’ils auront retenu de ma
classe.
Selon le
conseil du Père M.-J. je n’ai pas abordé ni le sujet de la politique en
Allemagne, ni la religion, deux sujets sur lesquels ils doivent être très
circonspects eux-mêmes.
Adieux au
Père Bourier, plongé dans sa généalogie formidable, il est tout fier d’avoir un
oncle ou un cousin germain, qui a commandé à la fin de la guerre, au
sous-officier qu’était alors Hitler. Il va publier une 2ème édition
de cette généalogie en Français. Je l’aide dans la traduction des grades
archi-compliqués allemands.
Le Père
M.-J., après m’avoir fait prendre un substantiel repas, me reconduit à la gare
un bout de chemin en passant par le jardin du monastère, vaste et fort bien
entretenu par des frères convers, les arbres plient sous les fruits. On
rencontre de nombreux enfants nus-pieds, ce n’est pas pauvreté, mais par
mode.
A midi, je
roule vers München dans une luxueuse automobile. Nous traversons une vaste
plaine avec villages proprets serrés autour d’une église au clocher
caractéristique. Tout à coup au fond se détache la ligne des Alpes :
pointes neigeuses, glaciers, nous en sommes à une soixantaine de kilomètres,
c’est merveilleux.
J’engage
sur le tard la conversation avec mon vis-à-vis, c’est malheureux, car il
travaille pour la France, il m’indique seulement ce qu’il est indispensable que
je vois à Munich, il parle avec admiration du « Deutsches Museum »
tout comme les Pères et il me signale que München est la capitale de ,
c’est de là qu’est parti le mouvement qui a conquis toute
l’Allemagne.
Cette fois
je suis en plein :
tout le long des poutrelles de fer du hall de la gare de Munich, sont suspendues
des multitudes d’oriflammes à la .
J’achète un
guide et en avant pour l’hôtel.
A 13h je
déambulais déjà dans les rues. Quelle déception ! Je sors d’Augsburg, une
ville d’une haute antiquité aux maisons pittoresques, pour une ville presque
moderne. Dans certaines rues, même vers le centre on se croirait tout simplement
à Paris. La cathédrale est très curieuse avec deux tours ; la Rathaus, en
style gothique tout ce qu’il y a de plus flamboyant, mais de 1908, avec la
fontaine de la Vierge et une vieille porte forment un pittoresque ensemble, la
Marianplatz.
J’atteins
l’Isar, torrent assez gros et très rapide, qui a été endigué et tombe en
jolies cascades; ses rives sont fort agréables, avenues ombragées ou
jardins aux charmants petits sentiers.
Enfin le
dominant, se dresse le fameux « Deutsches Museum », aux dimensions
colossales, au style rectangulaire, aux toits en terrasse, ce n’est pas vilain à
mon point de vue.
C’est je
crois le nouveau style allemand.
Que dire de
l’intérieur ? C’est fantastique, on y trouve tout ce qu’on veut :
étude géologiques (coupes, schémas, cartes en relief), machines à puiser l’eau
depuis les vieux systèmes jusqu’aux modernes, moulins, moteurs,
locomotives : grandeur naturelle ou réductions, depuis les premières
jusqu’aux plus modernes, aviation, produits chimiques. Une très grande vitrine
contient des plats avec des mets artificiels pour indiquer les quantités et le
nombre de calories fournies. Parfums : des tampons imbibés de parfum sous
une grille permettent de sentir toutes les essences possibles, chacune tout à
fait séparément. Optique. Electricité : toute l’installation d’une grande
centrale. Tissage. Histoire des bains depuis les termes romains en réduction,
jusqu’à la prosaïque baignoire.
Je visite
la section de l’astronomie avec un jeune Suisse, qui y visite depuis ce matin
9h, il est 5h et il n’a pas mangé que des petits pains tout en marchant :
lunettes astronomiques, dans une vaste salle sont suspendues de petites boules
qui représentent les planètes et se déplacent selon le
temps.
Des
manettes, des manivelles permettant de faire fonctionner un grand nombre
d’appareils, d’étudier leur fonctionnement, car des machines sont ainsi coupées
en deux et l’on voit tout ce qui se passe à l’intérieur.
Vraiment
les Allemands peuvent être fiers de ce musée et ils peuvent le déclarer :
le plus grand musée du Monde.
Abasourdi
de tant de choses, je vais me promener sur les bords de l’Isar, le descendant
jusqu’au pont qui conduit au Maximilianeum, longue construction, probablement
monument élevé à Maximilien. De Maximilianeum, je rentre en ville, je suis
devant une très belle perspective : longue avenue bordée
d’arbres.
J’assiste à
un salut dans la cathédrale, il y a une cinquantaine de personnes, peut-être.
C’est une église gothique du XVème. Le maître-autel, ainsi que les 2
autels à l’entrée du chœur sont un peu moins dentelés que ceux de St-Ulrich
d’Augsburg, mais ne me plaisent pas encore beaucoup, ce n’est pas la simplicité
de nos églises gothiques sans vives peintures.
Pour dîner,
je vais essayer d’aller à la Hofbräuhaus, le centre, le cœur de Munich, m’a-t-on
dit. Tout autour de ce vaste édifice beaucoup de boulangeries et de
charcuteries.
Je visite
le rez-de-chaussée occupé par des ouvriers : ça parle, boit, mange et fume.
Le jardin est très pittoresque, ce ne sont pas des tables, mais des tonneaux sur
lesquels les gens déposent leurs provisions et ils mangent
debout.
Je me
risque au premier étage, où une grande et haute salle peinte en vives couleurs
et dorures, avec de grands lustres électriques renferme des consommateurs plus
aisés, mais ça n’en parle pas moins, boit et mange. Que vais-je faire
là-dedans ? Comment m’expliquer ? Combien cela
coûte ?
Perplexe
j’hésite et redescends, mais un allemand monte l’escalier, je l’aborde, il suit
à peine le Français, mais on se comprend, ça va et avec lui je
remonte.
Nous nous
installons tous les deux à une table où déjà sont installées deux dames (35 et
60 ans, mère et fille), elles ont acheté de la charcuterie à l’extérieur et
elles mangent en buvant à elles deux un énorme bock de bière blonde. Tous les
quatre nous allons bien nous amuser quand nous ne nous comprenons pas, les deux
dames ignorant le Français m’observent beaucoup.
C’est mon
allemand, munichois qui commande mon dîner et de la bière brune, plutôt noir.
J’ouvre des yeux ronds lorsqu’on m’apporte un énorme bock de grès gris bleu,
j’ai peine à le porter à ma bouche d’une main. Il contient près d’un litre, me
dit-on. En mangeant j’en viendrai à bout, pendant que mon munichois en boira
deux sans manger, tous les soirs il vient boire et bavarder, puis rentre chez
lui dîner.
La salle
contient 2000 places, c’est à peu près plein.
Nous
essayons de parler :
« Pourquoi Blum au pouvoir, les
Français ne se suffisent-ils pas pour se diriger vers des juifs ? Ca ne
vaut pas cher ».
Les
journaux du soir annoncent en première page que Blum veut la neutralité à
l’égard de l’Espagne et menace de démissionner.
Alors
viennent s’installer à notre table un couple d’une quarantaine d’années, deux
petites personnes un peu bedonnantes.
Le monsieur
sait le Français, je suis en présence, comme porte sa carte de visite, de
M.Lerventhal, « le plus grand fabricant de la plus petite culotte »
qui est un porte-monnaie original.
Il lit
toutes sortes de journaux, me dit n’avoir aucune idée politique : les
Russes ne sont pas des criminels, il y a du bon partout. Il déclare Blum très
intelligent. Je suis sidéré.
Mon
ahurissement grandit encore quand mon munichois, vers lequel je me suis retourné
malicieusement, me dit :
« Mais
oui, toutes les races se valent, tous les hommes se valent ». Je change de
conversation et demande le meilleur film allemand qui passe en ce
moment.
Et avec mon munichois, je quitte la Festsaal, qui ressemble à une cheminée, tant il y a de fumée.
Mon
« juif » est M.Lerventhal : « grösste Fabrik der kleinsten
Hlose ». « Scherzartikel ». Sur ce porte-monnaie original, il y
a écrit : « Tu auras de la veine quand ta culotte sera pleine ».
« J’ai beaucoup voyagé, je ne crois à aucune formule ». Mon
« juif ».
Proverbe
de Munich : « Si tu bois tu meurs, si tu ne bois pas tu meurs,
alors… » C’est de la bonne philosophie, me dit en riant mon
« juif ».
Le mystère
de tout à l’heure m’éclaircit ; avant de me quitter, mon munichois me
dit : « L’homme de tout à l’heure, c’était un juif. Faites attention,
n’allez pas chez lui, c’est dangereux les juifs, extérieurement on peut se
laisser prendre, mais au fond c’est mauvais ». Là-dessus, une cordiale
poignée de mains et nous nous séparons.
Lentement,
car mes pieds me cuisent, je gagne le cinéma indiqué par le juif :
« c’est un film bien allemand » m-a-t-il assuré.
Il est
8h1/2, les boutiques sont bien éclairées, les promeneurs s’arrêtent devant les
magasins, surtout les magasins d’appareils photographiques qui sont extrêmement
nombreux.
Pour 1
R.M.50 (tout compris, place, programme, pourboire), je suis bien placé aux
fauteuils d’orchestre. La salle est très belle et agréable. Les spectateurs ne
sont pas très nombreux.
Le
spectacle débute par des réclames amusants et les spectateurs sont pris de
fou-rire.
Puis un
documentaire sur l’astronomie, très bien présente distances entre la Terre et
les planètes, qui parfois se transforment en figures. Belles vues sur la Voie
lactée… Malheureusement les paroles m’échappent.
Actualités : H.J. à Rome.
L’inauguration de je ne sais trop quoi, nous entendre un discours d’un dirigeant
allemand. Dr Schneht quittant le Bourget déclare aux
journalistes :
« Il
faut parler peu pour s’entendre bien ». La guerre civile
espagnole.
Un film sur
l’histoire du :
avant l’arrivée d’Hitler : paysage, beaucoup de discours, musiques
nègre, lâcheté des communistes qui s’attaquent nombreux à un jeune qui
distribue des tracts et qui fuient devant
plusieurs le
laissant d’ailleurs mort. Hitler au pouvoir : on peut circuler dans la rue,
le commerce, l’industrie marchent, c’est la paix, l’ordre, les jeunes vont dans
la montagne, c’est la santé.
Enfin le
film : « Standschütze bruggler », épisode de la guerre dans le
Tyrol : vues magnifiques de la montagne. Explosions. Les ennemis sont
généralement lâches, rusés, ainsi le déguisement en blanc sur la neige pour
atteindre le poste allemand, les allemands par contre sont courageux, escaladent
sans peur. Dans les situations les plus tragiques, un mot ou une attitude drôle
fait rire toute la salle.
Là-dessus
il y a une petite intrigue : un jeune s’engage, part au front, est blessé,
devient ordonnance, s’éprend de la fille de l’officier. Les parents devinent
l’affaire, la mère veut mettre bon ordre. Le jeune demande à repartir au front
devant l’enthousiasme des autres, mais avec regret. Comment cela finit-il ?
Je suis parti à 11h1/2 sans le savoir.
La ville
est bien éclairée et je regagne le « Christl.
Hospiz ».
Mardi,
8 septembre
Munich.
Regenoburg (Ratisbonne). 139 km
Je gagne
l’Eglise St-Michel, mais pas de messe. C’est une église de style jésuite,
voulant imiter l’église de Gésu de Rome : marbres, dorires,
couleurs.
Je gagne
alors la cathédrale, la Frauenkirche et à 8h1/2 j’entends une messe suivie de
peu de monde, dans une des chapelles de l’abside somptueusement décorées,
sculptées, dorées.
En sortant
je risque à entrer chez un « Friseur », un coiffeur; C’est petit, mais
très propre. Il ne sait pas un mot de français. A la fin, je fini par comprendre
qu’il s’étonne de ce que j’ai les cheveux plus courts au sommet de la tête,
serait-ce la coupe française ? Sans sourciller je réponds : ya. Il se
sert d’une tondeuse électrique, qui opère avec une douceur extrême. Coupe de
cheveux et friction à la lavande, j’en ai pour 0 RM 90 avec
pourboire.
Je visite
rapidement l’Eglise du Théâtre de style baroque, pour aller au
« Felderrnhall », sorte de préau ouvert trois côtés, au mur sont des
plaques indiquant des les provinces allemandes à chacune est accrochée une
couronne verte à banderole ,
parmi les provinces il y a l’Alsace et la Lorraine.
Sur l’un
des côtés du soubassement de ce «préau», dans la rue qui conduit au Théâtre, il
y a la plaque commémorative pour ceux qui « ont donné leur vie pour un
nouveau Reich », le 9 novembre 1923. Deux S.A. ou S.S. en noir et casqués
montent la garde, on croirait des statues : jambes écartées, une main
collée à la cuisse et l’autre sur la baïonnette. Les gens qui passent font le
salut ,
aussi bien à pieds, qu’en auto, qu’en bicyclette. Sans béret je passe sans faire
le moindre salut.
Je traverse
un magnifique jardin, sorte de parterre. Je visite la Regentprinzestrasse, où
s’élèvent sans doute les plus belles maisons de Munich, musées dont un en style
moderne vraiment par trop lourd, un cube, c’est la Deutsches
Haus.
Un petit
détour dans le « jardin anglais » me donne l’occasion de voir un stade
où s’entraînent jeunes gens et jeunes filles (sauts, football,
courses).
Jardin par
ailleurs très agréable : torrent avec multiples bras, nids pour
oiseaux.
J’atteins
la Maison Brune, où dans la salle du rez-de-chaussée le buste de Hindenburg est
entouré des premiers drapeaux ,
les visiteurs sont recueillis, on se croirait dans une église, où au lieu de
faire un signe de croix en entrant et en sortant on fait le salut .
Un peu plus
loin, de chaque côté de la rue large, au fond de laquelle se trouve la
reproduction des Propylées,, une sorte de temple, on entre, entre deux
gardes-statuts et en contrebas les cercueils
des tués,
on se découvre et les Allemands tendent les bras
longuement.
Vielle
pinacothèque, : musée remarquable par ce qu’il contient et par la façon
dont il est aménagé. (éclairage du plafond et tentures vert foncé servant de
porte).
Une Vie de
la Ste-Vierge par Holbein est admirable : visage et le bleu de la draperie
de la St-Vierge. Une grande salle de Rubens de même de quoi étudier le
clair-obscur de Rembrandt. Une petite salle de Dürer, dont les 4 apôtres aux
visages si expressifs et aux couleurs incomparables, du
cristal.
En allant à
la gare pour voir l’heure de mon train, je traverse la place à un moment où il
ne faut pas, un agent commence à m’attraper sérieusement, je déclare à son grand
étonnement que je ne comprends pas, j’explique : je suis français, aussitôt
sourire, ya, ya, gut, et un vigoureux salut : H.H.
Je vais
déjeuner à la Hofbräuhaus, la Festsaal est fermée, je vais à la basse salle du
rez-de-chaussée, où il y a beaucoup moins de monde qu’hier au
soir.
Comme je
vois faire, je prends un bock, je vais à la fontaine et le lave, et je vais me
le faire remplir et payer. Mon lourd bock à la main je m’installe et mange ce
que j’ai réussi à acheter à l’extérieur, sorte de pain avec je ne sais trop quoi
dedans et très bourratif.
A ma table
s’installent un couple assez jeune et un homme mûr. Je finis par lier
conversation : le monsieur est interprète anglais, ignore à peu près le
français, ils sont tous les trois Hambourgeois, viennent donc de faire 700 km en
moto. Ils ne paraissent manifester aucun enthousiasme pour le Reichparteitag.
Notre conversation se borne à cela.
Je remarque
le soin avec lequel on essuie les tables, ramasse les papiers. Une vendeuse
vient faire marcher un petit bonhomme mécanique qui danse et qui boit
alternativement, symbole des munichois !!
Et 15
h : en route pour Regensburg.
Une dame
d’une quarantaine d’année s’installe devant moi, comme bagage elle a un sac de
montagne.
Nous
engageons vite la conversation : elle vient de passer ses vacances en
Suisse, dans le canton de St-Gall, mais vite la politique : la
guerre ? « Dans les discours on ne parle que de paix, mais partout on
prépare la guerre, en Allemagne. » Et je me souviens des boutiques de
jouets : tanks mécaniques…
« La
guerre est une maladie », me déclare-t-elle.
Je lui
demande si on aime les gouvernants. « Il est défendu de parler, me
répond-elle, partout on est surveillé ». – « Hitler encore oui, mais
Goering, Gobbels » - « Ah, si les Français connaissaient les vrais
sentiments des vrais Allemands, comme on serait près les uns des
autres ».
« Partout que la force en
Allemagne, plus de culture, que les sports ».
« Berlin, Leipzig, villes pas
belles, de même la place des mausolées de Munich, art cubique,
affreux.
La vie en
Allemagne : beurre très cher : 3 R.M.50 le kg, la viande : 1,20
la livre, une maison ou un étage : de 140 à 200 R.M. par mois, deux pièces
et une cuisine : 50 R.M. par mois. Les vêtements masculins sont très chers,
les vêtements féminins le sont moins, et les étoffes deviennent meilleures.
Cette dame
s’exprime bien en français ; quand je lui dis que je vais à Nuremberg, elle
s’écrit en riant : « Vous allez au
théâtre ».
Elle
descend à Landshut.
Le temps se
couvre, et bientôt c’est une pluie torrentielle, une grosse allemande qui vient
de monter dans mon compartiment avec de grands paniers, a l’air de vouloir
pousser des exclamations et entrer en conversation avec moi, je bats en
retraite.
Le ciel se
dégage et c’est avec le soleil qu’apparaît Ratisbonne. Devant moi Ratisbonne
avec, derrière, la Forêt bavaroise, dont les pentes tombent dans le Danube, qui
doit obliquer. Dominant le Danube et faisant une trouée blanche dans la forêt
noire, le Wahalla, élevée en 1930 aux « gloires germaniques » en
imitation du Panthéon antique, il a la forme d’un temple dorique, il est de
marbre blanc, c’est une œuvre bien allemande, mais qui de loin est agréable à
voir.
A l’hôtel,
j’ai affaire à un patron qui sait très bien le Français. Je n’ai que peu de
temps, vite en route, il est 5h1/2. La cathédrale est fermée, je me contente
d’admirer ses flèches (101 m), c’est du beau gothique.
Me revoilà
sur le Danube, cette fois il n’est plus petit, le pont de pierre de 1136 à 305
mètres de long, il était considéré, paraît-il, au moyen âge comme une des sept
merveilles du monde. C’est à partir de Ratisbonne que le Danube devient
navigable et très fréquenté. Une photo et en route pour la
ville.
L’hôtel de
ville est un bijou gothique. Pas loin la maison : « goldenes
treus », sorte de forteresse, genre espagnol, peinte en jaune. Les vielles
rues demanderaient qu’on puisse flâner, c’est d’un
pittoresque.
L’Eglise
St-Jacques de 1100 est de style roman, le portail a de curieuses
sculptures : fantastiques figures d’êtres humains et d’animaux. L’intérieur
a un plafond plat en bois. Il y a comme des ambons, on se croirait dans une
basilique de Rome moins le marbre. Je me perds dans un dédale de rues, aboutit à
de belles allées.
Au dîner,
ce n’est pas commode de s’expliquer, je n’arrive pas à déchiffrer la carte à
l’écriture pointue.
A ma table
vient s’installer un jeune homme de 18 ans, j’espère lier conversation, mais
rien à faire, il ignore le Français. On finit tout de même par parler un peu et
il me conseille le défilé des H.J. demain à Nuremberg. Il m’explique où se tient
la Volkfest, la Foire.
Bien que
marchant de plus en plus difficilement, je veux aller un jeter un coup d’œil.
Par un vent assez froid je traverse le Danube. La Forêt se tient dans les
faubourgs et j’ai pu voir avant le dîner la quantité d’ouvriers qui s’y
rendaient.
A l’entrée
de la Foire, deux mâts à avec
d’un côté l’inscription : soyez les bienvenus, de l’autre : au
revoir.
Il y a des
montagnes russes, les sièges sont dans les espèces de dragons : 10 pf. le
tour.
Une grande
roue : 15 pf.
Des autos
en tous sens : 20 pf. pour deux.
10 pf. le
coup de carabine; 20 pf. la séance de prestidigitation. il y a un endroit
couvert où quelques danseurs valsent. Deux grandes tentes renferment chacune un
orchestre et on boit . Avec cela on vend de tout : articles de ménage,
vêtements… Ce n’est pas formidable : 3 attractions, plus un ensemble de
trucs à surprise : toboggan, escalier roulant…
Les
spectateurs rient assez facilement.
Je repasse
le Danube, les multiples clochers de la ville se détachent sur un fond
noir.
Mercredi,
9 Septembre
Regenburg
Nürnberg
101 km
(75.000 h)
(420.000 h)
Nürnberg
Kehl
366 km
A 5h1/2
debout, à 6h je vais rentrer à la cathédrale; comme j’ai l’air de chercher et ai
l’air un guide à la main, une dame et une jeune fille m’abordent pour
m’expliquer que ce n’est pas le moment de visiter, car c’est le
« gottesdienst », le service divin. Je les remercie et leur dis que
justement je veux aller à la messe, j’ai l’air de les
surprendre.
J’entre
dans cette vaste église encore un peu obscure, elle est très belle, quelle
élégance ! Il n’y a pas encore de messe, je peux aller faire une rapide
visite : le chœur assez surélevé (comme celui de la cathédrale de
Strasbourg) laisse voir un maître-autel brillant, il est « intégralement
recouvert d’argent », me dit mon guide. Dans chaque bas-côté à mi-hauteur
de la nef, une chapelle : un bel autel gothique flamboyant sans peinture,
c’est la dentelle de pierre grise comme tout l’édifice.
Dans la
nef : un monument en bronze dédié à un cardinal, évêque de Ratisbonne, fort
bien sculpté. Le plus curieux, c’est sans contredit le puit près de la porte
latérale, il est surmonté d’un très élégant baldaquin (1.500), il a paraît-il 17
m de profondeur. Beaux vitraux. La messe commence, quatre ou cinq
psaumes.
Je rentre
rapidement par la Neupfarrplatz, où le marché s’installe et
s’anime.
A 7h1/4 je
roule vers la dernière étape de mon voyage : le patron de l’hôtel m’a
regardé partir avec un sourire de compassion, quand je lui ai dit que j’avais vu
la ville.
Je
m’installe devant un homme d’une quarantaine d’années portant l’insigne ,
dans notre compartiment ne va pas tarder à s’endormir un officier aviateur en
très élégante tenue gris perle.
J’engage la
conversation avec mon vis-à-vis, il a fait la guerre, il a été à St Mihiel,
Verdun, Douaumont, Fleury, il ne veut pas recommencer, d’ailleurs, me dit-il,
« Le Führer veut être ami avec la France », et pour concrétiser sa
pensée, il me sert la main. Il me vante l’Allemagne où il n’y a pas de
communiste, combien je l’aurai entendu : Keine
Kommunismus.
Il a
conservé des amis en France, et il me dit : les Français sont cultivés,
plus que les Allemands. En France, haute culture, en Allemagne : technique.
Les deux se complètent très bien, et sont indispensables l’une à
l’autre.
Notre
conversation franco-allemande cesse, mon compagnon descend, il est professeur
dans une école populaire de campagne : Volkschule.
Plus loin
deux couples montent : un d’une trentaine d’années, ce sont deux ouvriers
ou employés, l’autre d’une cinquantaine d’années, ce sont de petits
bourgeois.
Nous
approchons de Nuremberg, et tout-à-coup, tout un village de tentes grises
apparaît, c’est un camp de H.J. qui vont au congrès. Nous essayons de parler,
mais personne ne sait le Français, et c’est très amusant de chercher à se
comprendre.
Nous
longeons un immense stade, ce doit être le Zeppelin Wiese, construit pour
« le service du travail », il est décoré d’immenses croix gammées et
des soldats verdâtres font l’exercice en ordre impressionnant, c’est
massif.
L’ouvrier
quittant sa compagne me conduit à la consigne et m’indique le chemin pour
assister au défilé des H.J.
9h :
En sortant de la gare, vision extraordinaire : vieilles tours d’où pendent
d’immenses ,
multitude de mâts.
Pas moyen
de traverser l’avenue, qu’en passant sur un pont de bois qui ne laisse rien voir
et évite ainsi des stationnements.
Un cordon
de S.A. noirs font la chaîne aux bords du trottoir. Plusieurs rangs de
spectateurs se pressent.
Je remonte
lentement cette belle avenue. J’aborde un S.S. pour lui demander quand va passer
le Führer, il me renseigne et se montre très aimable en apprenant ma
nationalité, malheureusement il ignore le français et la conversation est
difficile. Une dame se retourne sur nous et me demande en Français si j’ai
besoin d’un renseignement, elle porte l’insigne .
Je lui demande s’il est permis de photographier, elle se renseigne à un gradé
noir qui répond : seulement la presse.
Au loin des
bras se tendent, un bruit de pas se rapproche, une musique militaire dans le
lointain, enfin commence devant nous le défilé des H.J., jeunes hommes de 17 à
20 ans : un premier groupe est composé de porte-drapeaux, grands étendards
rouges, avec ,
parfois avec aigle, les bras de tendent dans un silence impressionnant, tant que
passe ce groupe. Puis c’est un groupe sans?,
les jeunes sont sac au dos, gamelles et couvertures, ils marchent raides, je
n’en ai vu que 4 ou 5 qui tournaient la tête, ils sont environ par rang de 15
bien au pas. Puis ce sont des drapeaux et ainsi ont défilé, certainement des
milliers, les H.J. devaient être 100.000 de toute l’Allemagne, combien ont
défilé C’est
inoubliable.
Le défilé
des H.J. a dû durer une 1/2 heure, il s’est terminé par une musique. En passant
devant nous, la grosse caisse a craqué, ce fut le fou-rire, même pour le service
d’ordre, tandis qu’imperturbable le tambour continuait à taper de l’autre
côté.
J’ai eu
durant le défilé des velléités de prendre une photo, j’ai été vigoureusement
remis à ma place par la nazie : « c’est défendu, c’est défendu, il
faut obéir ».
Maintenant
on attend le Führer. Une forte averse survient, tous les spectateurs se
réfugient dans les maisons et des S.A. reçoivent aussi l’ordre de s’abriter au
bout de quelques minutes, seuls quelques-uns continuent à assurer le service,
imperturbables, quelques-uns aussi se revêtent d’une pièce rectangulaire de
caoutchouc, percée d’un trou pour la tête. Les marchands ambulant sont
étroitement surveillés, des S.S. bruns leur demandent leur autorisation de
vendre, ils la portent même parfois au cou.
En passant
par le pont de bois, je gagne l’autre côté de l’avenue, je croise des B.D.M.
(chemise blanche et cravate noire, vareuse brune sans chapeau), du Chili,
Brésil, Belgique, Inde…
J’atteins
la hauteur de l’Hôtel du Führer. Les gens se pressent, et de l’autre côté du
fossé des remparts se dresse une estrade.
Les gens
crient : « Notre Führer, montrez-vous », puis ils chantent. Tout
à coup une fenêtre s’ouvre, tous ceux qui m’entourent tendent le bras et crient
« Heil Hitler », Hitler survient salué de tous côtés. Un chant fort
beau, majestueux s’élève, puis Hitler rentre.
Je vais
essayer de m’approcher de la barrière, simple morceau de bois transversal posé
sur des trépieds et gardé de place en place, tous les deux mètres par un garde
noir casqué, les gardes noirs à la casquette plate ne font plus chaîne aux
abords de l’hôtel du Führer, et d’ailleurs les passants ne peuvent plus aller
sur le trottoir d’en face.
Je dis que
je suis français et désire photographier le Führer, aussitôt on me laisse
approcher.
Les chefs
du Reich passent au fur et à mesure devant nous et je me les fais nommer; à
chaque fois les bras se tendent et : H.H.. Ce sont Goering, le svelte
Goebbels, Von Roehm, Hess… chacun a une voiture élégante, luxueuse et
puissante.
Tout à
coup, c’est le délire devant l’hôtel de Führer, qui passe en revue sa garde
« noire » aux ceinturons blancs, et monte en auto. Il s’assoit, mais,
devant la frénésie qui se manifeste au fur et à mesure que son auto avance
lentement, il se lève : en brun, casquette brune, il est à côté du
chauffeur, derrière deux « bruns » et un « noir ». Il est
passé, je l’ai photographié, mais il n’y a pas eu un rayon de
soleil.
J’accroche
deux S.S. (bruns) gradés, ils ne savent presque pas le français. Je vais en
ville avec eux. Un a fait la guerre et son plus grand souvenir, c’est
que : »les chasseurs français sont de fameux soldats ». Ils me
demandent ce que je suis venu faire en Allemagne, seul sans camarade. Ils me
demandent si je suis content de mon voyage, des Allemands. Nous nous quittons
sur une vigoureuse poignée de mains.
Quelle
belle ville : remparts aux vieilles tours, musée germanique que je n’ai
malheureusement pas le temps de visiter, mais dont la chapelle est si fine et
qui est le plus important musée allemand. Vieilles rues, maisons gothiques.
Malheureusement des à
toutes les fenêtres, des mâts dans les rues. Autour des fenêtres :
guirlandes de feuillage vert.
Je flâne et
monte jusqu’à la maison «du plus célèbre des enfants de Nuremberg », Albert
Dürer, maison de style gothique en gris rougeâtre : elle n’a pas de ,
seulement ses fenêtres sont entourées de feuillage doré. Cette maison est tout à
côté des remparts, dont à 3 mètres du sol on voit le chemin de ronde couvert et
un peu sur le côté elle est dominée par le château impérial, d’où pendent de
longues bannières .
Je passe
devant le fameux estaminet de la « Cloche au saucisson rôti » qui est
adossé à une chapelle.
La visite
de l’Eglise St Sébald est pleine d’intérêt (XIIIe s) : sculptures de Kraft
et Veit Stoss. Deux chœurs, dans l’un : les fonts baptismaux de bronze de
Visher- dans l’autre : le reliquaire de St Sébald, en liton de Peter
Vischer : admirables petits bonhommes très fins et au-dessus du
maître-autel : le crucifiement (grandeur naturelle) en bois sculpté Veit
Stoss. Une porte de cette église s’appelle « porte nuptiale », parce
qu’elle a des sculptures représentant les vierges folles et les vierges sages,
elles sont expressives, mais plus petite que celles de la cathédrale de
Strasbourg.
A midi, je
me trouve sur la place Adolf Hitler, près de la charmante fontaine dorée et
colorée et en face de l’Eglise Notre-Dame. Cette place contient un vaste
amphithéâtre à ciel ouvert pour les concerts du congrès, chaque soir. Les gens
sont amassés, on remarque beaucoup d’élégants officiers de l’armée, un peu
raides et qui, armés d’une jumelle attendent le triple défilé du collège des 7
électeurs devant l’empereur Charles IV à midi, juste au-dessus de l’horloge de
l’Eglise, «Liebfrauenkirche » qui, n’imitant pas St Sébald, n’a pas de
drapeau à
son clocher, mais seulement un drapeau aux couleurs de la
ville.
Après
m’être ravitaillé en peu en fruits et pain à un marché très bien achalandé,
malgré l’affluence (en comptant sur un excédent de 500.000 personnes) et avoir
vu la fontaine merveilleuse du « bonhomme à l’oie », statuette
derrière Notre-Dame. J’atteins l’église St Laurent quand j’entends une musique
militaire et vois les gens se précipiter, j’en fais autant, c’est une
cinquantaine de soldats Verdeau, qui défilent ; j’essaie de photographier
le fameux « schellenen-haum », insigne des musiciens très
compliqué : une hampe sur laquelle est d’abord fixée une cloche au-dessus
sur deux barres transversales terminées par des queues de crin ou d’autre
chose se trouve une série de grelots, enfin au sommet un aigle tenant une croix
gammée, le tout argenté. Je ne l’ai pas photographié, j’ai pris les soldats qui
suivaient.
Cette
église St Laurent est extérieurement merveilleuse, quelle grâce, quelle envolée
vers le ciel ! Elle est du XIIIe et XIVe. L’intérieur
est non moins beau que l’extérieur. Elle est très vaste, très
harmonieuse.
Des autels
avec de magnifiques tableaux, tableaux sur verre autour de l’abside une
délicieuse cage d’escalier, le tabernacle, dentelle de pierre qui raconte la
Passion, et qui a 20 m de haut, ce qui oblige sa flèche à s’incurver un peu pour
suivre la chute, c’est une œuvre de Adam Kraft.
Le groupe
de la Salutation, angélique, presque en grandeur naturelle, en bois doré et
peint, œuvre de Veit Stoss. Seul défaut : le maître-autel œuvre moderne
bien que de style gothique et un peu perdu. On ne sortirait bien
pas.
Dehors, de
place en place des hauts parleurs diffusent probablement la bonne parole de
Hitler, et de petits groupes se forment ça et là écoutant silencieusement le
discours ponctué de vigoureux « Heil Hitler ».
Je me
retrouve devant la gare juste au moment où le service d’ordre après un ordre
reçu se retire, les S.A. en un clin d’œil se groupent par
trois.
Je croise
des jeunes filles hitlériennes portant sac, couvertures, gamelles, elles n’ont
pas 20 ans.
Puis je
suis les S.A., qui forment maintenant un indéfini serpent noir et d’un pas
scandé de « links » se dirigent vers leur camp, puis ils chantent
d’une voix grave. J’ai le frisson de voir ces hommes aussi disciplinés. Avec
quel sérieux est salué le gradé qui marche en tête de la colonne, et sans se
lasser, à chaque minute, il répond. J’admire leurs mouvements tournants
impeccables.
Les
laissant, je gagne le « Luitpolarena », stade énorme, qui dans les
tribunes doit contenir au moins 100.000 personnes, sur le pourtour des mâts
lèvent au ciel d’immenses étendards, tandis qu’au fond trois grandes tentures
rouges avec dominent
la tribune oratoire, je me mets à la place qu’a dû occuper Hitler. Je visite
avec une vingtaine de S.A. lorsqu’une averse nous surprend, nous nous réfugions
ensemble sous les tribunes, où se trouve les installations de T.S.F., dès que
nous arrivons les portes des salles se ferment.
Je regagne
la ville par de belles maisons ouvrières. Voulant aller au
« Rathaus », je demande mon chemin à un S.S. brun, on ne se comprend
pas facilement, alors passant son bras droit autour de mon cou, il me met sur la
voie.
Je passe
devant un cinéma où une foule se presse, c’est un film où il est question de
« traître » de l’armée.
Je visite
une exposition sur les bienfaits du :
terreur rouge : nombreuses photos. Une carte d’Europe représente les pays
où le « Mein Kampf » a été traduit, en France : vide.
Statistiques des progrès des S.A., des S.S., des H.J., et je constate que de
fait à part quelques régions de la Bavière, le a
plus de succès dans le Nord de l’Allemagne. A la sortie, je reçois des
prospectus.
Je traverse
pour la 4ème fois un des ponts de la « basse Pegnitz » si
pittoresque et dont l’un est couvert : « le
Henkersteg ».
Devant la
Rathaus, les gens stationnent stoïques sous la pluie, ils pensent que le Führer
viendra. La façade de cet édifice est fastueuse, gothique et renaissance, avec
trois immenses portails.
Et comme
toujours : la cave de cet hôtel de ville est aménagée en
restaurant.
Je ne
m’arrête pas davantage et je flâne au milieu de cette foule où on rencontre tant
d’uniformes : soldats et officiers de l’armée : en verdâtre, ou gris
perle. S.A. noirs, à la casquette plate portant devant la tête de mort et deux
tibias argentés- S.S. bruns au culot ou à la casquette étroite. Beaucoup de
librairies et marchands en plein air vendent livres sur terreur rouge et les
juifs.
Vers 6 h je
me trouve devant l’hôtel du Führer, des gens stationnent, le soleil luit, des
chefs entrent et sortent, salués de H.H., mais pas de Hitler. J’interroge des
gradés bruns sur une sortie du Führer, ils attendent, mais ne savent pas, ils
s’enquièrent de savoir si je l’ai vu, je l’ai vu : cela va bien. Ils me
signalent ce que j’ai vu sur les journaux ce matin : un mouvement de grève
en faveur de l’Espagne, en France, et ils s’apitoient sur la pauvre
France.
J’ai une
dernière fois la sensation peut-être erronée de l’exactitude peut-être fausse de
la formule que j’ai vue en allant au Luitpolarena dans une boutique
d’alimentation :
Ein Volk (une
foule)
Ein Wille (une
volonté)
Ein Führer
(un chef)
Les
journaux du soir annoncent une grande proclamation du Führer, j’apprendrai
demain qu’en France ce sont des revendications.
Je gagne la
gare, comme je suis en avance, j’erre et tombe sur trois hommes, qui me
demandent quelque chose, ne comprenant pas, ils me sortent des papiers, je
comprends que ce sont mes papiers qu’ils veulent. Ils m’entraînent dans une
salle souterraine : un examine mon passeport, un autre inspecte ma valise
et un troisième me demande si j’ai des armes et tâte mon pouls. Ma qualité
d’étranger les gêne un peu finalement et ils font des excuses. Comme je dis que
je cherchais à me rafraîchir, un m’amène au buffet boire un bock, on se quitte
après avoir parlé de la beauté du congrès.
Le train
arrive, il vient de Tchécoslovaquie et est laissé dans un état de saleté tel par
les tchécoslovaques qu’on le nettoie avant de repartir : trognons de
fruits… De plus les banquettes ne sont pas rembourrées.
A 7h1/2 je
pars, ayant dans mon compartiment un jeune allemand et un couple d’une
40 années.
L’Allemand
âgé de 28 ans, est représentant en chocolat, dont les allemands sont très
friands. Il a étudié un peu le français, il me montre des photos de son service
militaire, il a fait 8 semaines de service, comme tous ceux que n’a pas atteint
la loi du service obligatoire.
L’autre
allemand me parle du communisme en France, il me dit que l’Allemagne a été
autrefois encore plus bas que la France, mais en France qui pourrait ressusciter
le pays. Il ne peut pas y avoir un autre homme comme le Führer, le Führer, une
seule fois, pas deux. Je lui parle pourtant de notre Révolution et de Napoléon.
Je l’amuse beaucoup en lui parlant du national-communisme.
A 8h1/2 ils
descendent tous les trois et je serai seul jusqu’à
Strasbourg.
Long arrêt
à Stuttgart.
Vers 4h et
4h1/2, un phare balaie le ciel.
A 4h3/4,
nous sommes à Kehl : visite de la douane allemande : un douanier vise
mon passeport, un autre ne s’inquiète pas de ma valise, mais de mon
portefeuille, il ne paraît pas absolument satisfait.
Puis douane
française : grande différence de tenue, ils ont l’air d’avoir envie de
dormir et bientôt le train s’ébranle pour franchir le Rhin sur ce fameux pont
métallique, dont il y a quelques années la traversée m’avait tant fait envie.
Cette fois ça y est, je suis rompu, mais enchanté ayant fait 1.028 km de chemin
de fer et combien à pieds ?
Réflexions
Sur
le pays
J’ai pu
constater l’extrême diversité du sol allemand, depuis les pentes douces et
sombres de la Forêt noire jusqu’aux falaises abruptes et blanches du Jura de
Souabe, jusqu’à la grande plaine de Bavière à la terre presque noire et barrée
au loin par les cimes neigeuses des Alpes.
J’ai vu le
soin avec lequel ce sol était entretenu : au sommet du Feldberg, sur lequel
tant de touristes passent, je n’ai pas trouvé de vieux journaux ni de boites à
conserves. J’ai pu constater le bon état des bancs sur ce sommet ainsi que sur
les bords du Titisee, alors que nous étions en fin de
saison.
Les
villes : le Père Bethmann m’a demandé en classe quelle impression m’avait
produite Augsburg. J’ai pu lui répondre que deux choses m’avaient beaucoup
frappé : d’abord la propreté : les rues même dans les quartiers
pauvres sont d’une extrême propreté, et je n’ai pas vu de chiens. Ensuite la
couleur : non seulement les maisons sont crépies, mais elles sont
recouvertes de peintures, que ce soit une couleur uniforme, que soit des
fresques. Et cela donne à la ville un aspect bien gai, très accueillant :
peintures murales anciennes comme à l’hôtel des Fugger ou peintures murales
modernes comme à la « Maison des Tisserands » sont très
pittoresques : les unes rapportent l’histoire des Fugger et de Maximilien
qui souvent à court d’argent venait leur en emprunter en échange de
distinctions, privilèges. Les autres racontent la façon dont on
tisse.
C’est ce
pittoresque qui manque, à mon point de vue, à Munich, qui ressemble trop à une
ville de chez nous.
Sur
les gens
Selon un
préjugé courant, je m’attendais à voir des Allemands gros et gras et à tête
carrée et tondue, des Allemands non moins puissants, j’ai été agréablement
surpris de constater qu’il n’en était rien. Sans doute rencontrait-on des
Allemands bedonnants, à tête carrée et rasée et des Allemands rebondis, mais ils
sont la minorité. Vraiment comme plusieurs me l’ont dit, nous sommes tous des
hommes, et les Français ne se distinguent des Allemands que par leur langue, si
bien que la plupart du temps, je n’ai pas eu le sentiment de me trouver en terre
étrangère, et j’étais fort surpris parfois de ne pouvoir me faire
comprendre.
Ils ont
cependant un costume pittoresque qui les distingue de nous, mais si cette
culotte courte si souvent portée, choque un peu au premier abord, on a vite fait
de ne plus la remarquer et de trouver cela très naturel.
Ils sont
généralement bien mis et élégants sans lourdeur.
Ils
respirent la santé et la joie.
Que dire de
leur amabilité ? Les élèves du Père Bethman ont paru surpris que je fasse
l’éloge des Allemands sur leur amabilité, ils ont eu l’air sceptique. C’est
peut-être comme si des étrangers nous faisaient l’éloge des Français, alors
qu’entre nous, nous sommes si peu affables et prévenants.
En tous
cas, je n’ai pas eu à me plaindre d’un seul Allemand rencontré et interrogé.
Mais il ne faut pas oublier le mot d’ordre impératif du gouvernement de bien
recevoir les étrangers.
Alors
quelle est la part de naturel et quelle est la part d’artificiel, de joué dans
cette amabilité ? Il est très difficile de le dire et il ne faudrait
peut-être pas trop se leurrer.
Je ne peux
que reconnaître l’apparence de désintéressement de cette attitude, avec
quelquefois le désir de vanter le régime.
Toujours
est-il aussi qu’ils paraissent très touchés de ce qu’un Français se dérange pour
venir parler, vivre avec eux, ainsi les S.S. bruns de Nuremberg qui me
demandaient le but de ma visite.
Sur
la politique
La-dessus
que de divergences ! Depuis les fanatiques, tout dévoués au régime et qui
ne croient plus qu’au racisme, jusqu’à ceux qui le supportent avec
peine.
Mais quelle
est la proportion des fanatiques et des mécontents ? Quelle était même la
sincérité de ceux qui levant la main criaient H.H. à Nuremberg
J’ai
rencontré en général une grande indifférence, froideur, à l’égard du
Reichparteitag, de la part de ceux auxquels je disais m’y rendre ; cela
n’avait pas l’air de les intéresser beaucoup. Des munichois pourtant si près
n’avaient l’air d’éprouver aucun désir d’y aller.
Toujours
est-il que l’œuvre du gouvernement est là : c’est dans la rue l’ordre, la
discipline, j’ai reçu l’assurance que laissant une bicyclette dehors, je pouvais
la retrouver à la même place plusieurs jours après.
Beaucoup
m’ont dit : voilà la vraie liberté, ne pas faire tout ce qui passe par la
tête, mais respecter un ordre.
Arbeitdienat : les étudiants
doivent travailler 6 mois en usine ou aux champs.
Du point de
vue social, le gouvernement est bien socialiste, ce n’est pas un vain mot dans
son programme. En effet il protège avant tout les petites gens, les ouvriers.
Arbeitfront, maisons ouvrières, il cherche à résoudre le chômage, bien qu’il y
ait encore plus d’un million de chômeurs. Mais il se heurte à beaucoup de
difficultés dont les financiers ne sont pas les moindres.
Il ne peut
empêcher la vie chère : habitation, la pénurie de certains aliments comme
le beurre.
Pour avoir
de l’argent il fait de grands efforts pour attirer les étrangers et c’est encore
les Allemands qui en paient les frais, comme avec malice me le faisait remarquer
le protestant de Beuron.
A côté de
cela, il est mal vu par la surveillance qu’il exerce sur tous, par la pression
qui fait qu’un fonctionnaire ne put avancer ou même est renvoyé s’il
n’appartient pas au ^parti ou si ses enfants ne sont pas des H.J. Le
gouvernement ne souffre aucune critique.
Cependant
avec les avantages qu’il donne et il ne faut pas oublier qu’il a relevé
l’Allemagne tombée dans l’anarchie après la guerre, on comprend qu’il soit aimé,
qu’il finisse par pénétrer partout, car il est obsédant- Partout la .
J’ai pu remarquer la progression des :
à Friburg, peu, de même à Ulm, un peu plus à Augsburg, beaucoup à Munich, enfin
une débauche à Nuremberg.
Partout
aussi le portait de Hitler : à Friburg, Ulm, Augsburg : dans les
librairies, à Munich : dans toutes les boutiques. A Nuremberg : dans
toutes les maisons, sans compter dans chaque classe de
l’école.
Parlout
aussi le salut hitlérien qui remplace : bonjour, bonsoir, pardon,
merci…
Ainsi le
nazisme s’infiltre partout, imprègne tout.
Par
ailleurs le nazisme est allemand et j’ai pu constater combien tous tenaient à la
patrie allemande, qu’ils soient de Bavière, de la Sarre, de Hambourg, de
Stuttgart, de Berlin : ils sont avant tout allemands, et ils parlent pas
des Autrichiens, mais des Allemands d’Autriche…
Du point de
vue intérieur, on ne peut contester les avantages de ce régime, accompagné
malheureusement de graves inconvénients, mais je crois que du point de vue
extérieur, c’est encore un régime plus dangereux : concentré sur lui-même,
jaloux et ambitieux, fier de sa force, il constitue un explosif au cœur de
l’Europe.
Sur
le catholicisme
Si l’école
est confessionnelle, si aucun évêque n’est emprisonné, la situation n’est pas
brillante pour le catholicisme.
Si tout
allemand doit pour arriver à quelque chose faire partie
du,
cela devient autrement dangereux pour un catholique, car les idées dusont
loin d’être catholiques : la charité ? pas contre les juifs,
l’humilité ? jamais, il faut être fort à tout point de vue : corporel,
moral, aussi le corps a-t-il une grande place, on ne saurait nier le bienfait de
son développement, mas on ne s’arrête pas là, on en fait un dieu. C’est un
retour au paganisme.
De plus
cette obligation pour les catholiques d’appartenir aux associations,
c’est la ruine des associations catholiques : comment lutter contre les
avantages accordés aux membres de l’arbeitfront, des H.J. auxquels sont accordés
de grandes réductions sur les voyages, les moyens de passer de bonnes vacances
et d’autres.
Mais ce
n’est pas tout, il y a aussi la saisie des quelques revues catholiques qui ont
réussi à subsister, si elles émettent quelques idées défavorables au,
ainsi furent saisies les semaines religieuses de Berlin et de X lorsqu’elles
publièrent la lettre des évêques de Fulda qui pourtant condamnaient le
communisme, mais devaient aussi toucher au racisme.
Il y a
encore la propagande qui se sert de tout pour ruiner le catholicisme, qui
exploite les scandales vrais ou supposés.
Ainsi, à la
façon des groupes de H.J., j’ai accompli « ma montée vers Nuremberg »
ou « nach
Nürnberg ». En effet de chaque ville d’Allemagne, à pieds, des groupes de
H.J. s’étaient acheminés vers Nürnberg, et les journaux chaque jour parlaient de
leur avance, c’était comme un pèlerinage au sanctuaire du national-socialisme et
à son Prophète.
J’ai fait
ce pèlerinage, j’ai cherché à pénétrer cette religion, je n’ai pu ramener que
quelques pâles lumières, si elles ne se suffisent pas pour la connaître, elles
me suffisent pour reconnaître qu’en dehors de l’Evangile il n’y a qu’errements,
qu’aucune formule humaine ne peut donner le parfait
bonheur.