Saloua Charfi

Tunis

Dossier

Publié par

Réalités N763 du 3 au16 août 2000

Le Hezbollah libanais après la victoire

« Et maintenant que vais-je faire ? »

Avec le retrait d’Israël du Liban Sud, la côte du Hezbollah  fut hissée au firmament. Mais alors que le monde entier, de Kofi Annan à Israël en passant par les USA, encensait cette ancienne « famille Adams" jadis abhorrée et qualifiée de "Hachachine. Le Hezbollah, tout en essayant de donner le change, barbote dans sa victoire. En se retirant du Liban Sud, Israël, tout en le sachant parfaitement, a signé en même temps l'arrêt de mort du Hezbollah. Le Hez baussi le savait parfaitement. La preuve, les USA et Israël consentirent à lui offrir l’extrême onction.

 

Le Hezbollah est l’un des rares partis politiques islamistes à qui on a rarement jeté la pierre, exception faite de du premier ministre français Lionel Jospin qui fut « lapidé » pour ce « crime. Ce privilège que lui concédèrent même les plus laïcs des arabes, le Hezb l’a acquis de haute-lutte en versant la dîme de sang nécessaire au combat contre l’occupant israélien jusqu’à ce que libération s’ensuive.

Le Hezb n’était donc pas aux yeux du monde un quelconque parti politique islamiste, mais un mouvement national de libération. Aujourd’hui auréolé de sa victoire, le héros de la libération ne sait trop quoi faire de sa couronne de lauriers. C’est que le Hezb est né dans un contexte précis, avec une mission déterminée, validée et bénie par une fatwa de Khomeiny : libérer el Qods et servir de poumon à l’Iran étouffé par l’embargo américain. Khomeiny  chargea donc son ambassadeur en Syrie et son futur ministre de l’intérieur,le terrible Hojatolislam Ali Akbar Mohtachami de veiller à l’application de la fatwa. Il est claire que la fatwa est devenue caduque suite au départ des Israéliens.

Cela signifie-il pour autant que le Hezb va plier bagage, rendre les armes et rentrer dans l’ordre ? Que va faire le Liban de ce monstre sacré, chaotique et tentaculaire à cent bras et cents yeux, plus puissant que toutes les confessions du Liban réunies ?

Le Hezbollah n’est pas seulement un simple parti politique doublé d’un mouvement de résistance, le Hezb c’est l’Iran et la Syrie réunis et pesant de tout leur poids sur les 10000 km2 libanais !

Avec ses15000 adhérents, ses 7000 combattants, son millier de martyrs, ses dix-huit années de combat, ses roquettes Katiocha, ses missiles anti-chars, ses stingers, son spectaculaire réseau d’institutions socio-économiques et ses ouailles chiites qui constituent le tiers de la population libanaise, émiettée en dix-sept confessions, le Hezb se contentera-il de quelques sièges au parlement et dans l’exécutif ? Continuera-il à supporter Nabih Berri et son mouvement chiite laïc Amel, son ennemi juré et son concurrent sérieux ?

Et l'Iran, avec sa nouvelle politique de paix et de dialogue et avec sa grave crise économique, se permettra-t-il le luxe de poursuivre le financement et le soutien du Hezbollah, qu'il a créé juste pour faire un pied du nez au "grand Satan", les USA ?

La Syrie, sans Assad et sous le frêle Bachar, soucieux de s'implanter d'abord chez lui et ayant perdu la carte d'atout du Liban Sud, a-t-elle encore intérêt à soutenir et à armer le Hezb, enfant terrible et gâté de l'Iran ?

Le Hezbollah est le seul parti politique libanais qui n'hésitait pas à attaquer la Syrie de front et à l'humilier chaque fois que leurs intérêts divergeaient. Les reins consolidés par la toute puissante république islamique iranienne, il n'avait pas peur de titiller de temps à autres la toute petite Syrie isolée.

Ainsi décrite, la situation a l'air apocalyptique pour le Hezb et certains peuvent penser que nous forçons un peu les traits. Pourtant les choses se présentent, matériellement parlant, de cette manière. Une réalité crue, insoutenable, que le Hezbollah prévoyait d'ailleurs. C'est la raison pour laquelle il a lutté de pied ferme toute l'année passée pour empêcher Israël de quitter le Liban !

A l'annonce de ce retrait unilatéral (et peut-il d'ailleurs être autrement ?) Le Hezbollah prit conscience de l'ampleur de la catastrophe qui se préparait. Il s'est soudain aperçu que sa survie et la survie de la manne iranienne dépendent de la survie de l'occupation.

Israël était en fin de compte un mal nécessaire pour le Hezbollah . De plus, les points forts du Hezbollah durant la guerre de libération constituent aujourd'hui ses points faibles. I’idéologie islamiste est passée de mode, l'Iran a jeté les oripeaux du radicalisme à la poubelle et Israël est prêt à négocier sur la base de la terre contre la paix. Le Hezbollah, tout comme la cigale n'avait malheureusement rien prévu pour l'hiver !

Ce Hezbollah, condamné à une métamorphose en mieux ou en pire, et qui a marqué pendant dix-huit ans toute la région du Moyen-Orient, mérite d'être présenté. Voici donc l'itinéraire d'une épopée pré- fabriquée et la chronique d'une mort annoncée d'un parti, qui paradoxalement, se vouait à Dieu et non aux hommes.

Itinéraire d’une épopée préfabriquée

En 1982, au lendemain de l'invasion israélienne du Liban, un religieux iranien on ne peut plus radicalement anti-occidental, Ali Akbar Mohtachami, ministre de l’intérieur de Khomeiny, fonda le Hezbollah, -parti de Dieu- libanais.

Mohtachami qui était l’un des premiers à adhérer à la doctrine de Khomeiny visant à répandre la révolution islamiste, n’avait fait que ce que lui dictait son maître. Khomeiny avait émis à l’époque une fatwa (exégèse) obligeant les musulmans à combattre l’occupant israélien et son protecteur le « grand satant »  Les USA venaient juste de débarquer avec leurs Marines sur les plages libanaises pour protéger l’accord de paix libano-israélien, avorté depuis.

Le Hezbollah va donc travailler sous les ordres du Majlis iranien.

Mais ce parti qui était à l’origine une simple émanation des services spéciaux iraniens, est parvenu à infliger de lourdes pertes à l’armée la plus puissante du Moyen Orient, Israël, et à devenir l’enfant gâté des deux Etats les plus influents et les plus radicaux de la région : la Syrie et l’Iran.

Pourquoi Khomeiny a-t-il jeté son dévolu sur le Liban ?

On disait à l’époque à juste titre d’ailleurs, qu’il était marié à l’Iran et amoureux du Liban.

Et pourquoi a-t-il choisi la Syrie comme partenaire etles chiites comme cobayes ?

Et quelles ont été les répercussions de cette machination sur le Hezbollah et sur le Liban ?

Le Liban, un poumon pour l'Iran

Khomeiny est tombé sous le charme du Liban en 1982, dans un contexte caractérisé par un vide politique à donner froid dans le dos:

Le départ forcé de l'OLP, l'affaiblissement des forces libanaises progressistes, le massacre de Sabra et Chatila et l'assassinat du Président Béchir Gemayel. C'était aussi l'époque où l'Iran étouffait sous les coups de butoir d'une armée irakienne triomphante et soutenue par le monde entier, excepté la Syrie.

La jeune république révolutionnaire se trouvait donc amputée de ses traditionnels alliés stratégiques et de ses profondeurs historiques. Il lui fallait un poumon!

Le Liban était livré à lui-même et ouvert aux quatre vents. Deux cœurs meurtris. On ne pouvait mieux trouver.

Et voilà Khomeiny installé au cœur du monde arabe, soutenant la résistance contre Israël pour libérer Jérusalem. Il détruisait ainsi la thèse d'une guerre arabo-persane propagée par l'Irak, et avait son mot à dire dans une partie du monde à laquelle s'intéressent les grandes puissances. Avait-il aussi prévu d'obtenir les armes du «Grand Satan» en personne, en contre-partie d'une poignée d'otages capturés par des adolescents comme dans un jeu d'enfant qu'on appela pompeusement «Irangate»?

Machiavélique Khomeiny qui réussit à tirer d'un pays de 10.000 km2 ce que Saddam Hussein n'avait pas pu réussir à faire avec tous les puits de pétrole du Golfe réunis!

Notons au passage que bon nombre d'Iraniens qui avaient fui le régime du Shah s'étaient réfugiés au Liban depuis le début des années 70. Ils étaient installés précisément au sud, dans leur communauté spirituelle chiite et participaient à la guérilla contre Israël sous le commandement du Fath, qui sans s’en douter avait formé les futurs leaders de la république islamique.

Ils avaient pour noms Mehdi Bazargan, l'Ayatollah Behechti, Sadeq Qotbzade, Mustapha Chamarane, respectivement futurs, Premier ministre, ministre de la Justice, ministre des Affaires étrangères et ministre de la Défense de Khomeiny!

Il était donc légitime pour eux de revenir au Liban pour reprendre la lutte et soutenir leurs frères chiites.

Le Liban contre le Golan

La Syrie avait pour sa part établi une alliance stratégique avec l'Iran au cours de la guerre irano-irakienne, sur la base du principe «l'ennemi de mon ennemi est mon ami», d'autant plus que cet ami lui offrait du pétrole gratuitement.

Etant déjà maître du Liban par la sacro-sainte décision des Arabes et sous le prétexte de jouer le rôle de forces arabes de dissuasion, la Syrie était un passage obligé pour l'Iran, politiquement et géographiquement. Sans son consentement, ni armes ni hommes ne pouvaient transiter. Mais pouvait-elle refuser ce service à un ami si généreux?

Pourtant la Syrie est connue pour être maladivement possessive. Elle ne partage pas le Liban qu'elle considère comme une partie intégrante de son territoire.

De plus rien ne la prédisposait à s'allier aux islamistes contre lesquels elle menait juste à ce moment là une lutte à mort à Hama.

Ajoutons à cela que la Syrie, contrairement à l'Iran, est soucieuse de maintenir l'équilibre des forces confessionnelles au Liban. Elle se comporte comme le maître du pays dans son intégralité et n'a donc aucun intérêt à privilégier une confession.. A l'opposé, l'Iran, dont le territoire est délimité uniquement par les chiites, souhaitait les voir devenir maîtres du Liban. Mais la Syrie ne pouvait se permettre le luxe de refuser le projet iranien, justement parce que seuls les chiites, majoritaires au Liban, sont capables de lui tenir tête. Avec le soutien de l'Iran, ils constitueraient une force implacable. Assad, aussi machiavélique que Khomeiny, décida qu'il valait mieux les avoir avec lui que contre lui!

Avait-il prévu la montée fulgurante du Hezbollah, qu'il utilisera comme moyen de pression dans ses négociations sur le Golan et comme boîte aux lettres de ses messages adressés à Israël?

Toujours est-il qu'en 1982 et sur la base du calcul des pertes et profits, des centaines de gardes révolutionnaires iraniens traverseront la Syrie pour s'installer dans la plaine de la Bekaa au Liban. Et ce fut la genèse du Hezbollah, un mouvement de résistance nationale composé exclusivement de chiites, comme si le Liban appartenait à une seule confession!

Malheureusement, il ne pouvait pas en être autrement dans un pays comme le Liban, où l'appartenance à une communauté confessionnelle l'a toujours emporté sur l'adhésion à la collectivité nationale. D'autant plus que les chiites ont longtemps été exclus de l'association interconfessionnelle (entre sunnites, maronites et druzes) qu'on appelait l'Etat. Ils étaient en outre marginalisés socialement et économiquement, misérables, livrés à eux-mêmes et méprisés par les sunnites qui les considèrent comme des hérétiques. Au Liban, un sunnite pose sans pudeur une question formulée ainsi: «Es-tu musulman ou chiite? .

Confession donc sans Etat, les chiites reçurent Khomeiny à bras ouverts. Les voilà dotés d'un chef et d'un Etat tous deux forts, célèbres et riches. Ils connurent, depuis, une montée vertigineuse sur tous les plans. Des «déshérités» de l'Imam Moussa Sadr, fondateur du mouvement Amel en 1974, les chiites devinrent en l'espace de dix- huit ans les maîtres du pays. Ils se sont à leur tour dotés d'une large classe moyenne et d'une solide bourgeoisie.

Dans les décombres d'un pays en ruine, après le départ des Palestiniens et l'apocalyptique siège de Beyrouth, les chiites ont enfin réussi à conquérir une place au soleil.

Chaque église a son Vatican

La densité démographique de cette confession, particulièrement prolifique, au sud sur la frontière israélo-libanaise, l'a prédisposée à ce rôle de leader et la manne iranienne a renforcé ce rôle.

Le Hezbollah reçoit de l'Iran une centaine de millions de dollars par an. Sobhi Toufaily, le premier secrétaire général du Hezb, recevait à lui seul et jusqu'en janvier 1997, date de son limogeage, 20.000 dollars par mois. Les combattants sont payés entre 700 et 350 dollars par mois.

Le secrétaire général actuel du Hezb, Hassen Nasrallah, déclare sans sourciller. «Je n'ai pas honte de recevoir une aide de l'Iran, les Iraniens ne le nient pas non plus. Il jure en outre publiquement «une fidélité absolue à notre leader, l'ayatollah Ali Khamenei, leader de l'Iran".

De tels propos ne choquent pas au Liban où chaque église a son Vatican. Les relations organiques sur le plan spirituel entre les hommes de religion chiite remontent à la genèse de cette confession, dont la loi religieuse transcende la loi nationale. U Morjaa taqlid (référence) des chiites, où qu'ils soient, peut être Irakien ou Iranien ou même Libanais. De plus la région de Jebel-Amel au Liban Sud a été traditionnellement liée à l'Iran par les fokaha iraniens. Le plus illustre est sans doute l'imam Moussa Sadr, chef spirituel des chiites libanais, Iranien d'origine. Le lien religieux avec l'Iran est donc si fort qu'à chaque fois qu'une crise menace l'unité de la confession chiite au Liban, le Hezbollah et le gouvernement libanais font appel à Khamenei pour émettre une exégèse permettant de rétablir la paix. Ce fut le cas en 1997 lors de «la révolte des  affamés», organisée par Toufaily à Baalbek et qui menaçait de séparer la communauté chiite du Sud de celle de la  Bekaa.

Ce lien utérin, renforcé par un lien sonnant et trébuchant- et ce téléguidage, ne sont évidemment pas sans conséquences sur l'autonomie du Hezbollah. Certains affirment que le Hezbollah n'est que le bras de la Syrie et de l'Iran. Tous deux mènent la guerre contre Israël pour des raisons qui leur sont propres. Les premiers pour leur Golan et les seconds pour le prestige. Cette guerre se déroule aussi par peuple libanais interposé, souvent utilisé comme «chair à canon". Pour preuve la coïncidence des périodes de l'utilisation de la katioucha avec les négociations syro-israéliennes ou les crises irano-américaines. Evidemment et en réponse, Israël leur renvoie l'ascenseur en mettant les bouchées doubles. Le terrible massacre de civils libanais à Cana en 1996 est le résultat de ce jeu malsain. C'est ce qui explique ,et ne justifie guère évidemment, les déclarations  de Laahd, chef de l'ALS, collaborateur d'Israël: «Nous luttons contre l'Iran et la Syrie pour libérer notre terre, quitte à pactiser avec le diable, comme d'autres ici le font! .

Chronique d'un Hezb sous influence

1982 : constitution du Hezbollah par le ministre de l'intérieur iranien Ali Akbar Mohtachami.
Octobre 1982 : un milicien du Hezbollah lance son camion bourré d'explosifs contre la base des Marines US stationnés à Beyrouth, tuant 214 soldats Au même moment, un poste de soldats français est pulvérisé: 58 tués.
Avril 1983 : attentat suicide contre l'ambassade américaine, provoquant la mort de presque tous les chefs de poste de la CIA du Proche-Orient.
Au cours de l'année 1983 : trois attentats suicides contre l'armée israélienne et attentat contre le siège militaire israélien à Tyr: 62 morts.
1984 : L’armée américaine quitte le Liban.
1985 : Détournement d'un appareil de la TWA: un mort.
Entre 1985 et 1988: Prises en otage de nombreux Occidentaux, dont le journaliste Gerry Anderson, William Buckley responsable de la CIA et du colonel William Higgins, tous deux assassinés après leur enlèvement.
1989: Premier congrès du Hezbollah et élection de Soubhi Toufaily Secrétaire Général. Toufaily est proche de Mohtachami
1986 : Pour obtenir la libération des otages américains au Liban, l'administration Reagan a fourni des armes à l'Iran et financé les contras nicaraguayens avec les bénéfices de l'opération. Affaire connue sous le nom de Irangate.
1986 - 1989 : Pas d'opérations sur le front sud. Sinon contre les Palestiniens. C'était la période de la guerre irano-irakienne et plus précisément la période au cours de laquelle Israël ravitaillait l'Iran en armes.dans ce quisera appelléé affaire irangate
1991 : Le Hezbollah reçoit le visa sous le gouvernement Rachid Karamé, proche de la Syrie. Election de Moussawi comme secrétaire général du Hezb, proche des modérés iraniens de l'époque, aujourd'hui conservateurs. Le Hezb, à l'image des changements survenus en Iran après la mort de Khomeiny, commence à s'ouvrir aux autres partis libanais.
1992 : Abbas Moussawi est assassiné par Israël. Dans les heures qui suivent Said Hassen Nasrallah est élu par le Majliss Choura. Il est depuis secrétaire général du Hezbollah.
1993 - 1995 : Calme total sur le front suite aux négociations israélo- syriennes.
Mai 2000 Israël se retire du Liban Sud.
Remarque Le Hezbollah perdait 70 combattants en moyenne par an contre 31 seulement pour Israël.

Le Hezb possède une chaîne de télévision et deux organes de presse, un grand réseau d'institutions sanitaires et éducatives. Il gère à lui seul le faubourg de Haret Hreik, son quartier général au sud de Beyrouth. Il y détient même le pouvoir judiciaire. Ses dépenses sociales s'élèvent à 20 millions de dollars par an.