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Poésies

Philosophiques & Morales

 

 

 

 

 

 

 

Casimir Pertus "Le Livre de l'Homme"

(1875)

 

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L'Âme Le Temps L'Infini Le Beau
Les Passions Le Vrai L'Amour L'Amitié L'Idéal

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L'Âme

 

Pour l'Âme notre corps n'est pas une prison;
Mais elle a revêtu cette forme fragile,
Afin qu'on vît briller en son obscure argile
L'étincelle divine animant sa raison.

En l'ornant des vertus chez elle en floraison,
A tous ses mouvements elle le rend docile,
Et peut aller ainsi, libre et toujours agile,
Au but mystérieux du lointain horizon!

Je ne te comprends pas, toi qui veux qu'elle meure
Avec ce corps qui fut quelque temps sa demeure,
Et qu'elle ne soit plus qu'un muscle racorni.

Tandis que ton scalpel, au sein de la matière,
Prétends insolemment lui tracer sa frontière,
Immortelle, elle vole à travers l'infini!

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Le Temps

 

Le Temps est l'Océan qui n'a ni fond ni rive,
Où chaque siècle à peine est une goutte d'eau,
Où l'Humanité vogue, où chaque monde arrive
Et ne fait que glisser, comme un frêle radeau!

Par son flot emporté, tout peuple, ombre plaintive,
A le frémissement du fragile roseau;
Notre globe est pour lui moins encor qu'un oiseau
Pour les airs que franchit son aile fugitive!

Dans son cours éternel le nombre de nos jours,
Sans lui rien ajouter, s'accumule toujours,
Puis soudain la lumière à nos yeux est ravie.

Son onde, qui parcourt l'espace illimité,
Roule en vain au néant toute postérité:
Sans cesse après la mort vient affluer la vie!

 

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L'Infini

 

Il embrasse à la fois et le temps et l'espace;
Il doit rester, ainsi qu'il a toujours été,
Immuable devant tout ce qui change et passe,
Et sans nulle mesure, en son éternité!

Pour l'oeil qui l'entrevoit, toute grandeur s'efface:
Dans les replis profonds de son immensité,
Chaque monde géant à la large surface
Est tel qu'un grain de sable à travers l'air jeté!

Cet Infini, dont rien ne borne le domaine,
Éblouit et confond notre faiblesse humaine
Par son vaste horizon, gouffre mystérieux!

Comment donc son idée en nous pénètre-t-elle?
Il jette un vif rayon dans notre âme immortelle,
Comme en notre regard le soleil radieux!

 

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Le Beau

 

C'est, pleine de grandeur, la suprême harmonie
Que l'artiste poursuit avec enivrement,
Et que, seul, à son oeuvre imprime le génie,
Dans le bonheur fiévreux d'un rude enfantement!

C'est de l'Être incrée la puissance infinie,
Qui nous lance l'éclair du rapide moment
Où la pensée humaine à la sienne est unie
Par l'élan passager d'un saint ravissement!

C'est, sublime avant-goût d'une haute existence,
Le ciel, pour un instant, effaçant la distance
Qui le tient séparé de ce terrestre lieu.

C'est le Bien qui, sortant de l'âme frémissante,
Et prenant sous nos mains sa forme éblouissante,
Est un rayonnement de la splendeur de Dieu!

 

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Le vrai

 

L'homme, ce noble esprit à la matière uni,
Porte immense en son coeur le besoin de connaître:
Aux premiers pas qu'il fait, il sent aussitôt naître
Le désir de sonder l'insondable infini.

Il voudrait qu'à jamais le Doute fût banni,
Et pénétrer au fond du secret de son être;
Il comprend qu'il lui faut les leçons d'un grand maître
Qui lui montre du doigt un chemin aplani;

Aussi, comme en son sein l'âme vit de lumière,
Outre l'astre dardant ses feux sur sa paupière,
Un autre, encor plus vif, brille à plus de hauteur:

C'est le soleil que Dieu forma de son essence,
Le Vrai, qui, flamboyant dans notre intélligence,
Eclaire à ses regards les traits de son auteur!

 

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Les Passions

 

Ce sont de vifs coursiers, chez qui la fièvre allume
Des yeux rouges ainsi que des charbons brûlants;
Le feu semble sortir de leur bouche qui fume;
Leur souffle s'accélère et soulève leurs flancs;

Ils vont impétueux, faisant jaillir l'écume
Qui sans cesse blanchit leurs poils tout ruisselants:
Tant qu'on lâche le frein, l'ardeur qui les consume
Leur imprime toujours de plus fougueux élans;

Mais, dès que nous savons, d'une main exercée,
Donner une autre allure à leur course insensée,
Qui nous eût entraînés, pâles d'effarement,

Au lieu de nous lancer à travers les abîmes,
Ils nous portent alors sur les plus hautes cimes
Où toutes les Vertus ont leur rayonnement!

 

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L'Amour

 

Son foyer est en Dieu: c'est lui qui fait éclore
Le germe universel par sa flamme activé,
Depuis l'énorme chêne au sommet élevé
Jusqu'aux plus humbles fleurs, qu'à nos yeux il colore.

Il rejaillit sur nous; son doux feu nous dévore,
Et dans nos sens émus sans cesse est ravivé
Pour la femme au coeur pur qui, le sein soulevé,
Sent que l'Humanité dans ses flancs s'élabore.

L'amour est donc divin; mais nous le dépravons:
Le souillant dans l'orgie où nous nous énervons,
Nous en stérilisons la puissance féconde;

Quand nous l'avons ainsi profané sans remord,
Il se dégrade et n'est qu'un appétit immonde:
Loin de donner la vie, il engendre la mort!

 

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L'Amitié

 

C'est un reflet du ciel tombé dans l'âme humaine;
C'est le pacte sacré de deux coeurs assortis,
Dont les élans jamais ne se sont démentis,
Et que, comme un lien, le sentiment enchaîne.

Leur étroite union élargit son domaine:
S'ils confondent les biens qui leur sont départis,
Tous deux souffrent des maux par l'un d'eux ressentis,
Et résistent au choc que toutes épreuve amène.

L'Amitié, dont le temps n'attiédit point l'ardeur,
Fait dans son doux regard, où brille la candeur,
Un seul rayonnement d'une double pensée!

 

Elle ne connaît pas les discours superflus;
Mais elle est agissante et désintéressée:
Dès que le calcul vient, elle n'existe plus!

 

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L'Idéal

 

Il précède tout homme emporté par le vent
Sur l'océan des jours, où s'agite sa voile,
Et, même sous l'orage, à ses yeux il dévoile
Le vrai bonheur, objet d'un espoir décevant.

Charmant le peintre, il met à son pinceau savant
Les brillantes couleurs dont s'anime sa toile;
Sous la main du sculpteur, il luit, comme une étoile,
Dont l'éclat resplendit sur son marbre vivant.

Le poète a par lui son âme illuminée:
Lorsque au-dessus des fronts de la foule étonnée
Il prend un large vol d'un coup d'aile hardi,

Et qu'il sent triompher son effort énergique,
Il a sous le regard cet idéal magique,
Miroir où le réel se reflète agrandi!

 

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