Attention ! vous êtes sur une page des archives.
Pour retourner au sommaire à jour du site Catholique et Royaliste, cliquez
ici.

 
SICAV MACHT FREI
 
 

Devinette : qu’est-ce qui est gros, qui fait beaucoup de bruit, mais qui se révèle ridicule dès qu’on s’en approche un peu ? Le premier qui répond « un rappeur américain » a un gage : réfléchissez un peu.

La réponse est : une belle rafarinnade de légumes, comme un certain premier ministre aime à les cuisiner. C’est appétissant, ça pourrait presque faire envie, mais, comme on en a déjà goûté avant, on se méfie de l’arrière-goût bien amer que ces plats laissent subsister au palais.

Parmi les plus importantes mesures que l’on ait évoqué ces derniers temps, l’une d’elles a fait couler beaucoup d’encre, ce qui compensera sans doute un avenir bien compromis, il s’agit de la fameuse et très attendue « baisse des impôts ». Ce thème est un classique du genre, puisqu’on y a droit à chaque campagne électorale. Curieusement, d’ailleurs, il n’a jamais réussi à lasser personne, bien que de très nombreuses majorités parlementaires, et une foule de ministres des finances y aient laissé des dents (ou aient feint d’y laisser des dents, ce qui, pour le contribuable gamma, revient exactement au même).

« Baisse des impôts »… l’expression peut laisser rêveur, et les banalités se bousculent au portillon de mon esprit endormi… Le poids du fisc a toujours été déploré sur toutes les parties du globe. Quoi de plus normal, puisque, dès lors que les crocs à phynance de l’Etat interviennent, le contribuable en est quitte pour une perte sèche, sans contrepartie immédiate. De l’autre coté, évidemment, les thuriféraires de la puissance publique assènent traditionnellement la nécessité de l’impôt, etc. Quel ennui.

Cette fois, donc, c’est l’IRPP (pour les ignares : Impôt sur le Revenu des Personnes Physiques) qui était principalement visé. Oh, il y avait bien quelques baisses ponctuelles de TVA, histoire d’acheter quelques niches électorales (politique-mafia). Dans ce domaine, les socialistes avaient fait assez fort. La TVA, impôt maudit puisque fortement inégalitaire, était montré du doigt par les roses, qui proposaient de le révolutionner en appliquant le taux réduit à de très nombreux produits de consommation. Enfin… à part les CD (où l’on reconnaît la subtile patte d’un ancien ministre de l’enculture), et quelques bibelots du même acabit… la révolution fiscale pouvait bien attendre.

Mais voilà : les socialistes ont perdu, les amateurs de Star Académie et autres Poptrucs ont quand même acheté leurs disques au prix fort avec leurs 19,6% de TVA, et personne n’a manifesté. La logique égalitariste des anciens potes de la gauche-très-plurielle ayant été (enfin) jetée dans les poubelles de la petite histoire, la TVA est restée comme telle, et c’est l’IRPP qui a trinqué.

Si quelqu’un est encore capable de me rappeler les modalités exactes de la baisse de l’IRPP, je l’en félicite. Je pourrais organiser un concours avec quelques récompenses très onéreuses sans prendre trop de risques : on a furieusement l’impression que même le gouvernement et les instigateurs de la Baisse providentielle ne savent pas où ils vont. Il serait aussi long qu’inutile de retracer les périples de cette mesure, entre scandales annoncés et souris avortées. Entre réalisme économique et électoralisme pourri (même après les élections !), les ministres n’ont pas eu l’occasion de briller par leur clarté. Un observateur attentif aurait même pu croire que la campagne continuait au sein même de Bercy, puisque le ministre des finances et celui du budget se sont à plusieurs reprises contredits, au sujet, notamment, de la fameuse « prime pour l’emploi ». Comment concilier la baisse d’un impôt avec le concept, assez novateur, d’impôt négatif ? On a fermement débattu, sans finir par s’entendre, semble-t-il.

Ce qui est sûr, c’est que dès cette année 2002, le contribuable verra son impôt baisser de 5%. A peu près, puisque cette réduction sera opérée sur le revenu global, c’est-à-dire avant les autres réductions d’impôt (pour personne à charge, gros travaux etc.). Voilà pour la technique. Concrètement, comment cela va-t-il se traduire ? Simplement par une ligne en plus sur la feuille. Vous n’en aviez pas assez ? En voilà une de plus.

Dans le langage politique, ça s’appelle une relance de la consommation. Pour les techniciens, c’est un bidouillage de plus (certes pas le plus révoltant qu’on ait vu). Pour une bonne partie des contribuables, c’est du foutage de gueule. Quoique cette dernière appréciation pourrait (le conditionnel s’impose) être nuancée dans l’avenir si les sous-fifres du candidat Chirac tiennent leurs promesses de reconduire la chose à chaque année de la présente législature, soit pendant 5 ans (à moins qu’elle ne soit brutalement interrompue par quelque dissolution intempestive). Rien n’est moins sûr pour l’instant, puisque, 1) on connaît la philosophie du président quant aux promesses, et 2) le grand sourire qu’affichaient les ministres lorsque l’on évoquait cette mesure phare du nouveau gouvernement a laissé sa place, depuis que les chiffres internationaux sont tombés, à un rictus crispé. Un « tiens » vaut mieux que deux « tu l’auras » : voilà une nouvelle occasion de se prouver que la sagesse des anciens peut encore être de bon conseil. En attendant, avant de réinvestir l’économie d’impôt potentielle, allez consulter Elizabeth Tessier.

Soyons désagréables, à présent. Que sont ces 5% de moins ? Une pâle copie de ce qu’on fait, partout autour de nous, les sociaux-démocrates européens. Un pas timide et réticent, à reculons, vers la société moderne que nous promet une certaine classe, soixante-huitarde et néolibérale. Moins d’impôts, plus d’initiative. Trop beau pour être vrai.

Moins d’impôt, c’est moins de ressources pour l’Etat. S’engager dans le soi-disant cercle vertueux des baisses d’impôts et de la relance spontanée de la consommation, c’est donc en tirer une conséquence d’une logique éblouissante : baisser les dépenses de l’Etat. Mais ce qui est éblouissant pour les uns ne l’est pas forcément pour les autres, puisque, tout en baissant les impôts, le gouvernement annonce chaque semaine de nouvelles dépenses, et se met à trembler dès qu’il s’agit de toucher à la fonction publique. Courage exemplaire. Mais ça, on le sait déjà, et si même la presse sérieuse le dit, c’est que ça doit être vrai.

Il y’a, soit dit en passant, une nette différence entre « moins d’impôt » et « moins d’impôts ». Dans le premier cas, c’est la facture qu’on allège. Dans le second, c’est le Code des Impôts. Gros avantage du premier : on peut le pratiquer dans les Trésoreries Publiques à effectifs constants, à condition que la baisse du montant des prélèvements ne s’accompagne pas d’une simplification perceptible. Inconvénient corrélatif du second : diminuer le nombre (ou la complexité, ça revient au même) de nos impôts mettrait dans l’embarras les responsables des Perceptions, qui devraient trouver de nouveaux jeux pour occuper la pléthore de leur personnel. Réformer à chiantise constante, donc, est un impératif majeur.

On pourra donc toujours attendre le Grand Soir fiscal cinq ans de plus. A vrai dire, bien peu de politiciens actuels apparaissent à la hauteur de ce grand défi que représente une véritable réforme de la fiscalité. Parce que les enjeux sont bien au-delà des querelles de techniciens ou de la simple logique mathématique. Parce que la fiscalité française est aujourd’hui, non seulement monstrueuse, non seulement incompréhensible (et pas seulement au profane), mais elle est surtout socialement criminelle. Et, comme on l’apprend aux apprentis-commissaires depuis des siècles, « cherche à qui le crime profite ». Un exemple vaudra mieux que de longs discours.

Prenons un contribuable lambda, qui gagne 80.000 euros par an (pour ceux qui, comme moi, éprouvent une réticence épidermique à cette monnaie de singe, ça fait un peu plus de 500.000 francs). On exclue toutes les réductions, le quotient familial. Résultat :

- S’il est salarié, et que ce revenu est versé sous forme de salaire, il est imposé à environ 50% (charges sociales incluses), soit jusqu’à 40000 euros.

- S’il est actionnaire, et perçoit cette somme sous forme de dividendes, son taux d’imposition tournera, grâce à l’avoir fiscal, dans les 40% (32.000 euros).

- S'il boursicote, et fait 80.000 euros de plus-value, il ne paiera plus que 26% d’impôt sur le revenu (charges sociales incluses), ce qui nous fait 20.600 euros.

- Mais le contribuable le plus ingénieux, qui investira plutôt dans certains fonds de placement (SICAV de capitalisation), verra son IRPP tomber très largement sous les 10%, parfois même sous les … 5%, soit une royale addition de 4.000 euros.

Est-il encore utile de reprendre les extrêmes ? Le plus taxé : le travailleur. Le moins taxé : le rentier, le financier international, celui qui ne fout rien, mais se permet un petit caprice aux Bahamas lorsqu’il s’ennuie, et s’offre une nouvelle Rolls quand l’ancienne a pris un PV (il n’y a pas de petit profit). Parce qu’il faut préciser, à ce stade, que généralement, ces gens qui payent 5% d’IRPP gagnent beaucoup plus que les 80.000 euros de l’exemple.

Moralité : en France, ce n’est pas le travail, mais la SICAV qui rend libre. Il y a, entre cette réalité, et les discours fumeux de tous les cotés, un gouffre dont les dirigeants n’ont apparemment pas intérêt à ce qu’il soit connu. Quel coté, de la droite ou de la gauche, a déclaré vouloir redonner sa valeur au travail ? Les deux. Qui, de la droite ou de la gauche, a pris le taureau par les cornes, et a tenté de dépénaliser le travail ? Personne. Qui, de la gauche ou de la droite, aura le courage de cesser d’obéir au doigt et à l’œil à la classe de rentiers qui dirige ce pays en sous-main ? Personne.

Conclusion : que l’on soit socialiste, libéral, centriste ou ex-trotskiste, il y a une certaine catégorie de la population, pourtant fort peu nombreuse, que l’on respecte, et dont on préserve un privilège sacré : le droit de gagner du fric sans rien faire, et sans avoir de compte à rendre à quiconque. Vous trouvez ça révoltant ? C’est normal… Vous faites quoi, le 4 août prochain ?

(R.A.)

 

[retour au sommaire des archives au 08-09-2002]

[retour au sommaire général des archives de C&R]

[retour au sommaire à jour de C&R]