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La colonisation à rebours a commencé : Berger est son dieu, Benjamin est son prophète !
(29/08/2002)

- Et toi, pétrisseur de merde, que viens-tu chercher ici ?
- Emmène-nous avec toi, je t'en prie !
- Aujourd'hui, je te le dis, tu seras avec moi au paradis.
- Aujourd'hui ? fit le pauvre homme, bouleversé.
Et Ballan lui sourit tendrement.

(Jean Raspail, Le Camp des Saints, VI)

 

Il est mimi ce curé ! il nous dit que Dieu n’est pas du tout roi… qu'on a mal compris, depuis des siècles ! lui qui sait ! Berger, curé traître, vendu, archiprêtre, archivendu… chut ! pas le dire trop fort… respect ! Le respect dû à l’habit ecclésiastique, Môssieu ! Respect ? rien à foutre ! d’abord l’habit il ne le porte plus Berger ! suffit de voir comment il enlève son aube dans le chœur même… hop ! il est pressé de s’en défaire, pas vraiment l’amour de l’habit qu’il a lui, ce serait plutôt la sainte horreur… il remet juste un peu ses cheveux… on se demande : est-ce qu’il y croit ? la transsubstantion, finalement, hein ? pendant la messe on l’a bien vu, il a essayé de vaguement remettre des formes… son espèce d’acolyte sbire concélébrant barbu, il a vaguement essuyé le plat à hosties avec ses doigts pour faire tomber les miettes. C’est la recette à la mode ! l’hostie sur le plat ! corps du Christ sauce Berger… mais on voyait bien qu’ils n’avaient pas l’habitude de tant de simagrées : leurs mains rapiates qui grapillaient les hosties dans le ciboire avant de les porter à la communion… ça ne trompe pas. Ils avaient voulu nous amadouer, remettre quelques formes vagues, faire un peu semblant de respecter. Bref : s’il restait un peu du corps du Christ sur les doigts de berger il s’est retrouvé dans ses cheveux gras quand il s’est recoiffé après avoir jeté son aube par dessus les ambons. Est-ce qu'on consacre le corps du Christ pour finir en gomina à curetons ?

Après on devait lui parler à Berger. Là ça a commencé à devenir drôle : il a bredouillé on sait pas quoi sur un temps de dialogue et de partage. C’est quoi un temps de dialogue et de partage ? il allait nous demander comment on se partageait les sous de la quête ?

Des bancs en rond, on s’est assis. Et les autres se sont rapprochés de nous. On les avait bien vus à l’extérieur : des mines à faire peur… patibulaires en diable ! on en avait cinq plus une petite bonne femme qui nous surveillaient pendant la messe, des fois qu’on l’attrape et qu’on lui fasse sa fête au Berger ! ou qu’on veuille parler… entre le chœur et nous ! ils nous regardaient, n’avait pas l’air de prier beaucoup… on a beau savoir qu’il faut évangéliser, je  me demande un peu  ce qu’ils faisaient là ses nervis à Berger…

Pendant qu’on parlait ils se sont rapprochés… façon vraiment visqueuse et traîtresse ! ils figureraient bien, je trouve des sortes de tentateurs fourbes dans les tableaux vivants, faudrait proposr à Berger d’en organiser pour l’édification des foules analphabètes qui peuplent son église !

On a eu droit à tout : les pauvres palestiniens qui subissent la même chose que les sans-papiers, le front national qui a baissé à Saint-Denis ! parole ! on vous le dit ! tellement c’est l’entente entre les ethnies qui peuplent la ville ! ethnies ? mais ?… on croyait qu’il n’y avait que des égaux, y’a donc des ethnies ? autant dire des différences, et pourquoi pas des inégalités ! pas le temps de relever, on est pris dans un tourbillon : une prof d’histoire athée qui cite Jésus le doigt en l’air, une grande bringue folasse qui « dit bravo l’Eglise de faire quelque chose », celle qui nous surveillait pendant la messe dit qu’elle est conseillère municipal communiste de Saint-Denis et donne sa langue au bûcheron, un légionnaire dit que la légion est un modèle qu’il faudrait copier pour vivre ensemble… ça devient n’importe quoi Berger maîtrise plus, il doit donner un coup ! rappeler ! alors il appelle ceux qu’il connaît par leur prénom… « Benjamin ! »

Benjamin il est mignon, il dodeline de la tête en bon indien et en expliquant que ses parents sont partis d’Inde au Honduras… prophète en notre pays il est Benjamin ! le père l’encourage,  il finit par nous dire Benjamin, en bavochant et avec un accent indéfinissable, mi-banlieue mi-Bombay mâtiné de Hondurien… il  nous dit, bien posé, un peu hilare, que c’est le juste retour des choses, que la colonisation s’est faite dans un sens maintenant elle se fait dans l’autre… A son air il pourrait tout aussi bien nous dire comme ça : « c’est notre tour et nous on vous ratera pas ! jusqu’au trognon mes amis ! jusqu’au trognon ! » c’est si simple ! un mouvement tout naturel… il en rigole qu’on comprenne pas : un sens, l’autre ! hop ! tu m’as colonisé je te colonise !

(D.F.)