René Guénon
Le Catalogue | La
Revue | Henry Montaigu
- René Guénon
- (1886-1951)
- René Guénon fut l'un des plus brillants intellectuels
du XXième siècle. C'est essentiellement grâce
à lui que les doctrines orientales authentiques (et tout
particulièrement le Vedanta) ont pu être connues
en Occident. Il fit redécouvrir à de nombreux catholiques
la dimension métaphysique et symbolique de leur tradition.
Enfin, son oeuvre, est sans aucun doute la plus magistrale condamnation
du monde moderne et de ses perversions intellectuelles.
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- René Guénon
et la Tradition Primordiale
- par Luc-Olivier d'Algange
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- Exerçant avec une souveraine lucidité cet art
de l'Universel qu'est la métaphysique, René Guénon
sut convier notre intelligence à se déprendre de
toute partialité et de tout assujétissement aux
absurdes débats du monde moderne. Dès lors que
l'on se situe à la hauteur des Principes, le paysage apparaît
dans son ensemble et nous comprenons, par exemple, en quoi et
pourquoi des forces politiques, qui paraissent s'opposer, conspirent
en réalité au même but, fut-ce en toute ignorance
de cause.
Voici longtemps que la terrible rivalité des fascismes
et des communismes ne dissimule plus davantage leur identitéque
celle-ci ne se distingue de l'identité démocratique
et bourgeoise.
La définition guénonienne du monde moderne en tant
que Règne de la Quantité nous donne à comprendre,
dans sa sereine et lumineuse démonstration, les mêmes
précises raisons d'être des fulgurantes intuitions
de Bernanos. Il existe ainsi des moments de grâce ou le
langage du coeur entre en parfaite concordance avec le langage
de l'lntellect. Cette concordance est pure musique, langue
des oiseaux, comme disent les Alchimistes, dont le secret
appartient aux poètes.
L'ldée Royale, au regard de la primordialité de
la Tradition dont l'oeuvre de René Guénon porte
témoignage s'amplifie et s'approfondit pour trouver enfin
sa véritable dimension qui n'est plus d'ordre politique.
La vérité et la vertu du Symbole dépassent
toute interprétation pragmatique. Le roi n'est pas seulement
celui dont l'intéret personnel se confond avec l'intéret
de la nation, il est d'abord le trés-obéissant
Serviteur de l'Unique souveraineté de l'Esprit, l'auguste
et principal témoin de la sainteté de l'Esprit
vers laquelle toute oeuvre politique et artistique doit s'orienter.
Dans cette perspective, l'ldée Royale est la clef de voute
du principe d'apesanteur des sociétés humaines
dont la vocation primordiale fut toujours de s'arracher à
la matière et au temps.
La Tradition Primordiale dont nous entretient l'oeuvre de René
Guénon ne se situe pas à l'origine de l'Histoire
mais en son coeur qui est hors du temps. La diversité
des formes symboliques et religieuses n'est autre que cette périphérie
dont chaque point détermine un rayon dont la juste méditation
peut nous reporter vers le centre pour peu que nous en pressentions
l'existence.
On peut dire, à cet égard, de l'oeuvre de René
Guénon, qu'elle nous délivre à tout jamais
de ce piège, - de grande malignité, - qui consiste
à opposer les traditions les unes aux autres et à
faire ainsi l'oeuvre du Diviseur. La division précède
l'uniformité de même que le sens de l'unité
sauve, du syncrétisme et de la confusion moderniste, la
légitime beauté singulière de la forme et
du style.
Oeuvre française, l'oeuvre de René Guénon
serait ainsi, de par les actes et les constitutions d'une chevalerie
française, I'exaucement de l'intelligence et la délivrance
de ce feu royal qui glorifie de ses chatoyements l'unificence
des traditions dans le creuset de la France Aurélienne.
L'ésotérisme de René Guénon, sa gnose,
dont certains feignent de s'inquiéter, si, de fait, elle
abolit le particularisme qui absurdement préconcoit un
"salut" différent selon les religions, ne fut
jamais que la recherche éminemment traditionnelle de la
vérité intérieuredes religions, qui
n'est autre que la sophia perennis.
Loin de rejoindre les amalgames formalistes de l'oecuménisme
moderne, - contre lequel les intégristes auraient raison
de nous alarmer s'ils ne le faisaient avec des arguments aussi
pauvres et une morale aussi misérable, - cette recherche
ésotérique n'est pas sans analogie avec les réflexions
de Saint Augustin sur la "religion vraie" laquelle,
je cite: "n'a jamais cessé d'exister depuis l'origine
du genre humain ". De même pour le Cardinal Nicolas
de Cuse: " Il y a donc une seule religion et un seul culte
pour tous les êtres doués d'entendement et cette
religion est présupposée à travers la variété
des rites." Chacun se souvient également de la phrase
fameuse de Joseph de Maistre: " La vraie religion a bien
plus de dix-huit siècles, elle naquit le jour ou naquirent
les jours."
Semblablement, la vérité de l'ldée Royale
échappe à tout particularisme. Sa splendeur même,
dans la mémoire francaise, est le miroir d'une vérité
qui dépasse toute mémoire et tout pays et, par
cela même, donne à cette mémoire et à
ce pays une légitimité et une mission qui ne se
réduisent pas au coup de force ou à l'ambition
personnelle ou collective.
En établissant la distinction primordiale entre l'Autorité
et le pouvoir, l'oeuvre de René Guénon nous établit
au coeur de ce dessein limpide qui nous éveille au retour
vers le centre, vers l'Unité, qui est cette Norme métaphysique,
véritablement sacrée et royale qui seule
peut nous délivrer de l'esprit de secte et de division
que le moderne a favorisé au-dela de toute mesure: "
L'esprit, écrit René Guénon, est unité,
la matière est multiplicité et division et plus
on s'éloigne de la spiritualité, plus les antagonismes
s'accentuent et s'amplifient."
Qu'elle parlât au nom du "progrès" ou
de la "tradition", la bourgeoisie fut toujours, avant
toute chose, soucieuse de ses intérêts. Le progrès
n'est jamais pour elle que celui de ses affaires et jamais la
tradition, selon son propos, n'eut d'autre but que de conserver
ses biens. Usant de la vieille stratégie qui consiste
à diviser pour régner, la bourgeoisie inventa des
appartenances et des identités afin de tirer profit de
leurs antagonismes.
Or, on ne saurait concevoir oeuvre plus étrangere aux
sinistres stratégies de la bourgeoisie, et donc promesse
plus royale, que l'oeuvre de René Guénon dont le
centre de gravité est radicalement ailleurs. La culture
elle-même, - telle que la bourgeoisie s'en délecte,
une culture d'objets, susceptible d'être analysée,
expliquée et vendue, - est dans l'oeuvre de René
Guénon tout simplement hors de propos, comme désormais
elle est devenue hors de propos pour tout auteur digne
de ce nom. Comment nommer un écrivain qui ne voit dans
son oeuvre qu'un travail? Comment oeuvrer avec le langage
si l'on méconnait ses vertus de divine spéculation.
Notre génie n'est autre que notre confiance et notre transparence.
L'oeuvre de René Guénon, qui dépasse magnifiquement
la politique et la littérature tout en les éclairant,
peut se lire comme une oeuvre de purification. Afin de recevoir
et d'être reçu, et d'être au vrai sens le
récipiendaire de l'Ordre de l'Esprit-Saint, l'âme
doit conquérir, par l'ardent désir de ne rien posséder,
la diaphanéité de l'aube première, véritable
primordialité de la Tradition.
- Luc-Olivier d'Algange
Extrait du numéro 25 de La
Place Royale © 1994